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Andris Piebalgs : “La mise en place d’une politique européenne de l’énergie cohérente aura nécessairement un coût”


Touteleurope.fr a interrogé Andris Piebalgs, le commissaire européen en charge de l’Energie, sur les enjeux et les perspectives de la politique énergétique de l’UE.

La Commission propose pour l’Europe une véritable “révolution” en matière d’énergie en préconisant une transition vers des énergies générant peu d’émissions de carbone. Par quelles grandes étapes politiques cette mutation devra-t-elle passer, et combien de temps cela pourrait-il prendre ? Ces mesures ne risquent-elles pas d’entraîner une hausse du prix de l’énergie ?

La première étape décisive sera constituée par la réunion du Conseil européen de printemps les 8 et 9 mars. En effet la Commission attend des chefs d’État et de gouvernement qu’ils se prononcent aussi clairement que possible sur les propositions contenues dans le paquet énergie. A la suite de cette réunion, la Commission formulera des propositions législatives qui devront être approuvées par le Parlement européen et le Conseil.

Les premiers objectifs chiffrés que l’Union s’est fixé sont à l’horizon 2020. Cette date est ambitieuse certes, mais empreinte de réalisme. Il est urgent d’inverser les tendances actuelles, notamment en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Il est vraisemblable qu’à court terme la mise en œuvre de ces mesures se traduise par une certaine hausse du prix de l’énergie. Il n’est toutefois pas possible de quantifier cette hausse avec précision. Celle-ci est en effet influencée pour une large part par le prix du baril de pétrole dont la volatilité est à la fois une menace permanente pour nos économies et un incitant à réduire notre dépendance vis-à-vis de cette énergie. Le cours du carbone est également un élément qui aura une influence importante, notamment pour les investissements dans des technologies à faible émission.

La mise en place d’une politique européenne de l’énergie cohérente aura nécessairement un coût et nécessitera des efforts de la part de tous les acteurs. L’inaction présenterait cependant un coût économique, politique et environnemental nettement supérieur, comme cela a été démontré à plusieurs reprises au cours des derniers mois, que ce soit par Sir Nicholas Stern ou par le rapport du panel intergouvernemental sur le changement climatique. Si nous voulons être en mesure de disposer à plus long terme d’un prix de l’énergie qui soit acceptable, nous devons admettre aujourd’hui de payer un peu plus afin de développer des sources d’énergie durables.

En quoi l’intensification de la concurrence sur le marché de l’énergie, proposée par le plan d’action, est-elle une solution aux problèmes identifiés par la Commission ?

La Commission est soucieuse de réaliser un marché intérieur européen, ce qui suppose l’intégration des marchés nationaux en un seul marché. Pour y parvenir, il faut réunir les conditions afin qu’une saine concurrence puisse s’exercer, en donnant les mêmes chances à tous les participants au sein de ce marché. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Un marché intérieur de l’énergie concurrentiel favoriserait l’établissement de prix de l’énergie équitables, garantira le choix des consommateurs, la recherche de l’efficacité énergétique et la réalisation d’investissements plus importants tant dans la génération que dans les interconnexions.

Un réel marché intérieur contribuerait aussi à une meilleure sécurité d’approvisionnement de chacun des États membres et à une plus grande solidarité. Il est aussi la condition préalable d’une approche commune de l’Union vis-à-vis de ses partenaires internationaux, à commencer par la Russie.

L’avenir de l’énergie nucléaire civile divise profondément les Etats membres. Quelles sont au juste les propositions de la Commission sur cette question ?

Il est vrai que le recours à l’énergie nucléaire pour la production d’électricité divise les États membres. La Commission considère qu’il appartient à chaque État de décider de recourir ou non à l’énergie nucléaire. Il faut toutefois faire preuve de pragmatisme en ce domaine. L’énergie nucléaire représente aujourd’hui environ un tiers de l’électricité produite au sein de l’Union européenne. Il s’agit d’une des principales sources d’énergie exemptes de CO2 en Europe. A ce titre, elle pourrait faire partie d’un scénario énergétique prévoyant des réductions importantes des émissions au cours des prochaines décennies. La Commission a souligné qu’un abandon éventuel du nucléaire devrait être accompagné, au sein de l’État membre qui a pris cette décision, par l’introduction d’autres sources d’énergie à faibles émissions de carbone pour la production d’électricité.

Afin de favoriser un débat clair et transparent au niveau de l’Union, la Commission a présenté dans le cadre de son Paquet énergie un projet de programme indicatif nucléaire. Il s’agit d’une possibilité offerte à la Commission par le traité Euratom. Ce document arrive à la conclusion qu’il conviendrait de poursuivre au niveau communautaire le développement d’un cadre juridique avancé, notamment dans le domaine de la sûreté au sens large c’est à dire incluant la gestion des déchets radioactifs et le démantèlement mais aussi la non-prolifération, pour l’énergie nucléaire dans les États membres qui ont fait ce choix. Afin de progresser dans ce domaine, la Commission a proposé qu’un groupe à haut niveau composé de représentants des États membres soit créé afin d’élaborer progressivement une vision commune et à terme des règles européennes supplémentaires dans ces domaines.

Dans l’analyse du ‘Paquet Energie’, les observateurs se sont davantage concentrés sur la lutte contre le changement climatique. Cependant, les événements des derniers mois ont montré que la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne était également un problème pour l’UE. Que préconisez-vous dans ce domaine ?

Il ne fait aucun doute aujourd’hui que les politiques de protection de l’environnement et de l’énergie sont intimement liées. L’un des objectifs stratégiques du Paquet énergie concerne d’ailleurs la réduction de 20 % des gaz à effet de serre à l’horizon 2020, et même 30 % si un accord international peut être trouvé avec les principaux pays émetteurs de la planète.

Il est normal que les observateurs se soient focalisés sur les objectifs stratégiques du Paquet énergie. Mais ces objectifs ont l’avantage de servir également la sécurité d’approvisionnement et la compétitivité. Des mesures importantes afin de garantir la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne sont ainsi prévues. Elles s’articulent autour de deux axes. D’une part la voie diplomatique. Il est fondamental pour l’Union européenne de diversifier ses sources d’approvisionnement. Des mesures sont nécessaires pour que les États membres qui dépendent massivement d’un seul fournisseur de gaz puissent diversifier leur approvisionnement. Cette diversification nécessite d’approfondir davantage les dialogues que l’Union entretient déjà avec des pays fournisseurs et des pays de transit. La voie diplomatique passe également, cela va sans dire à la lumière d’événements récents, par la mise en place de nouvelles bases dans le cadre de nos relations avec la Russie. Il nous appartient de sécuriser les approvisionnements en gaz et en pétrole russes dans le cadre d’un accord de partenariat plus global qui permettra de placer les industriels de l’Union et de Russie sur un plan d’égalité. La réciprocité doit être la pierre angulaire de cet accord.

Au-delà de la voie diplomatique, des mesures techniques sont également nécessaires pour garantir la sécurité d’approvisionnement de l’Union, notamment en termes d’interconnexions. La Commission a élaboré un plan d’interconnexion prioritaire. Ce plan fixe cinq priorités, parmi lesquelles la nécessité de répertorier les infrastructures manquantes les plus importantes.

Les interconnexions sont une condition importante pour que le marché intérieur de l’énergie fonctionne. Il n’est pas normal qu’aujourd’hui encore certains États membres constituent des îlots énergétiques. En outre, la constitution de stocks stratégiques de gaz, comme il en existe déjà pour le pétrole, est également à l’étude. Des mécanismes de concertation avec les États membres sont déjà en place, comme le Groupe de coordination du gaz ou le groupe d’approvisionnement pétrolier qui ont pu intervenir lors des différends de l’Ukraine et du Belarus avec la Russie.

Est-ce que selon vous les questions énergétiques et environnementales peuvent aujourd’hui être la source d’une relance de la construction européenne du fait de la nécessité, pour les États, de travailler conjointement sur ces problématiques ?

Il est incontestable que les questions énergétiques et environnementales peuvent contribuer à la relance de la construction européenne. Pour autant, il me semble qu’il ne faut pas faire de confusion entre la construction européenne et la nécessité de travailler ensemble.

Il ne faut pas perdre de vue en effet que c’est le Conseil européen qui a demandé à la Commission de faire des propositions concrètes tendant à mettre en œuvre une politique européenne de l’énergie. Beaucoup de choses se sont passées au niveau communautaire ces derniers mois bien que le traité constitutionnel soit bloqué depuis maintenant deux ans. Ce blocage est regrettable mais l’Union continue malgré tout d’avancer sur la base des traités actuellement en vigueur qui permettent à l’Union européenne de prendre des mesures.

Les Etats membres sont en effet pleinement conscients que certaines questions ne peuvent être traitées de façon efficace que si l’Union agit d’un commun accord et parle d’une seule voix. J’espère que les prochains mois démontreront cette volonté d’avancer ensemble. Et nous ne pourrons que nous féliciter si, de surcroît, cette coopération dans le domaine de l’énergie au sein des structures actuelles de l’Union a une influence positive pour la construction européenne.

La première semaine de l’Energie durable s’est tenue du 29 janvier au 2 février. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Bien qu’il soit encore trop tôt pour tirer un bilan définitif, nous pourrons déjà dire que cette première semaine a été un vrai succès. En termes de participation, on a frisé l’overbooking : plus de 6000 personnes ont participé à au moins un événement de la semaine, dont plus de 2000 à plusieurs événements. En outre, un bon nombre d’événements ont été diffusés en direct via internet (‘web-streamed’), mais nous n’avons pas encore les données statistiques pour savoir combien de personnes ont suivi la semaine en-ligne. En termes d’impact médiatique, plus d’une centaine de médias ont été présents, mais nous n’avons pas encore l’étude d’impact médiatique permettant d’estimer la diffusion publique.

De notre point de vue, la réussite la plus importante de la Semaine n’est pas l’événement proprement dit mais ce qui l’a précédé et ce qui va s’ensuivre : pour la première fois, 44 organisations et institutions publiques et privées, internationales, nationales, régionales et locales, ont uni leurs efforts pour promouvoir un avenir énergétique durable. La réponse à l’invitation de la Commission à rejoindre la Semaine a été remarquable : beaucoup d’acteurs, d’institutions majeures ont rallié à notre initiative avec enthousiasme. La plupart des secteurs d’activité concernés par l’énergie durable ont présenté leurs initiatives. La Semaine peut devenir le ferment d’une alliance entre les principaux acteurs qui permet d’envisager un meilleur avenir en Europe.

La Commission procédera à une évaluation de la Campagne et de la Semaine afin de décider de la suite de ces initiatives. Les premiers échos que nous avons reçus appellent sans ambiguïté à renouveler l’expérience !

Propos recueillis le 26/02/07

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