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Ana Navarro Pedro : “Le Portugal n’est pas la Grèce, mais ses perspectives restent sombres”

La dégradation mardi 26 avril des notes de la Grèce et du Portugal par l’agence de notation américaine Standard and Poor’s a fait souffler un nouveau vent de panique dans la zone euro. Si le gouvernement portugais s’escrime à répéter que la situation du pays n’a rien à voir avec celle de la Grèce, l’évènement fait à nouveau craindre une contagion de la crise grecque à l’ensemble de la zone euro. Journaliste pour l’hebdomadaire portugais Visão, Ana Navarro Pedro est plutôt pessimiste sur l’avenir de son pays.

Touteleurope : Hier l’agence de notation Standard and Poor’s a dégradé la note du Portugal de A+ à A-. Qu’est-ce que cela signifie ? Quelles en sont les conséquences ?


Après avoir travaillé 15 ans comme envoyée spéciale à Paris du grand quotidien portugais Publico, Ana Navarro Pedro est aujourd’hui journaliste pour l’hebdomadaire généraliste Visão.
Ana Navarro Pedro : Cela signifie déjà qu’il sera plus difficile d’emprunter de l’argent et de lancer de nouveaux emprunts au Portugal. D’autre part le service de la dette, c’est-à-dire les taux d’intérêts que l’on a à payer sur l’argent déjà emprunté, va augmenter.

Cette augmentation doit être quantifiée, mais déjà on peut penser qu’une partie des efforts de rigueur qui sont faits actuellement au Portugal (augmentation des impôts, réduction des dépenses de l’Etat, plafonnement des prestations sociales comme les allocations chômage, les retraites, la sécurité sociale…) sera absorbé par cette augmentation du service de la dette. Donc les effets de tous ces efforts seront quasiment nuls.

Evidemment au Portugal vous entendez les autorités dire (d’une façon que je trouve assez inélégante d’ailleurs) : “Nous ne sommes pas dans le même cas que la Grèce, il faut bien regarder nos fondamentaux, notre économie, nous n’avons pas vécu comme des cigales” .

Et de fait nous avons un plan de rigueur depuis 2005, pour redresser les indicateurs économiques. Nous n’avons pas dépensé sans compter. Mais apparemment, ça ne sert à rien…

TLE : Cette notation peut encore se dégrader ?


Estimant que le Portugal connaîtrait d’importantes difficultés à rembourser sa dette, l’agence de notation américaine Standard & Poor’s a abaissé mardi 27 avril la note souveraine du Portugal de deux crans, à “A-” contre “A+” . Dans le même temps elle a placé la note souveraine de la Grèce dans la catégorie spéculative à BB+. En conséquences, les bourses européennes ont fortement chuté.
A.N.P. : Elle peut évidemment se dégrader, on voit que c’est à nouveau le cas pour la Grèce.

Cela est du au fait que la situation de la Grèce semble être beaucoup plus mauvaise que celle du Portugal, mais aussi parce que la dégradation continue de leur notation augmente leurs frais. Ils sont en ce moment en train d’emprunter à plus de 9%, ce qui est énorme : le seul règlement des taux d’intérêt absorbe tout les efforts financiers et budgétaires qu’on peut faire par ailleurs dans le pays.

Donc oui, le Portugal craint une nouvelle baisse de sa notation. D’autant plus que derrière tout cela se jouent des bénéfices très certains faits sur la spéculation : les banques qui ont emprunté au Portugal, à la Grèce, à l’Irlande, à l’Espagne… sont aussi les clientes des agences de notation qui réduisent les notes de ces mêmes pays, et font donc des bénéfices avec ces mêmes taux d’intérêts, donc c’est le serpent qui se mord la queue.

Le problème n’est pas tant les fondamentaux des pays, parce qu’on a vu des pays, comme la France il y a 20 ans, dans des situations économiques beaucoup plus graves. Le problème, c’est la volonté des marchés de prêter ou non de l’argent. Il y a deux semaine le Portugal a effectivement lancé un emprunt en obligations du trésor d’une valeur de 4 milliards d’euros, et celui-ci a trouvé preneur en deux jours.

Qu’est-ce qui a donc pu se dégrader en deux semaines de façon si dramatique ? Si ce n’est une dimension de spéculation, ou des éléments nouveaux auxquels nous n’avons pas accès sur l’économie portugaise ? Ou alors un mélange de spéculation et d’attaques contre l’euro comme le pensent beaucoup de politiciens européens ?

TLE : La situation du Portugal est-elle différente de la Grèce ?

A.N.P. : Depuis 2005 le Portugal a vraiment fait des efforts. Il y a eu un programme de réduction du déficit budgétaire, qui en 2005 dépassait largement les 3% des critères de Maastricht : celui-ci est passé d’environ 6% en 2005 à 2,6% en 2007-2008.

Cela a impliqué d’énormes efforts : non remplacement des fonctionnaires partant à la retraite, réforme (voire dénaturation) de la sécurité sociale, les pensions de retraite ont été quasiment plafonnées, les déductions d’impôts amoindries …

Le Portugal avait déjà fait tout ce qu’on a demandé ensuite à l’Irlande, qui est désormais le “benchmark” concernant les réformes face à la dette. Un seul élément diffère : le Portugal n’a pas baissé les salaires, mais ceux-ci sont déjà extrêmement bas : il est difficile de baisser un salaire minimum de 450 euros et un salaire moyen de 600 euros…

Là-dessus est venue se greffer la situation de récession qu’on a connue en 2006-2007 en Europe, puis la crise de 2008-2009. Et là, les comptes publics ont dérapé, peut-être par mauvaise gestion, mais en grande partie par les prêts du gouvernement aux banques qui étaient en état de faillite, à l’industrie automobile (dominée par des entreprises étrangères) qui exigeait des aides identiques à ce dont elle a pu bénéficier aux Etats-Unis, en France, en Allemagne…

Ce dérapage du déficit budgétaire, qui a atteint 8% en 2009, était justement du à ces prêts et à ces dépenses exceptionnelles du gouvernement à cause de la crise financière lorsqu’elle s’est répercutée sur le secteur de l’économie réelle.

Ces fondamentaux ne sont pas rappelés dans la crise actuelle, évidemment parce que la spéculation n’a pas de regard dessus, mais aussi parce qu’à mon avis derrière cette spéculation c’est aussi l’euro qui est visé… mais cela mériterait un autre chapitre !

TLE : Le Portugal va-t-il devoir demander de l’aide aux autres membres de la zone euro ?

A.N.P. : Pour l’instant on ne le sait pas : le Portugal a présenté un nouveau programme de stabilisation et de réduction budgétaires, le “PEC” (plan de stabilité et de croissance). Celui-ci prévoit à nouveau une réduction des fonctionnaires, un déplafonnement des pensions de retraite, des allocations chômage et allocations familiales, de nouvelles coupures dans les prestations de sécurité sociales (notamment au niveau de la caisse maladie), une augmentation des impôts.

Il n’a pas encore touché aux salaires, qui correspondent au Portugal à 50%, voire 40%, de la moyenne européenne, pour un niveau de vie plutôt entre 80 et 90% de cette moyenne.

La Commission européenne, dirigée par le Portugais M. Barroso, a déclaré que ces mesures permettaient de faire face à la situation. Mais c’était avant la dégradation de sa note hier.

On a donc pour l’instant une double crise : un état d’appauvrissement de la population, qui provoque des grèves, extrêmement rares dans le pays, ainsi que de profondes divisions y compris au sein du parti socialiste. Toutes les mesures de rigueur dont j’ai parlées ont été prises par des socialistes (qui sont il est vrai beaucoup plus de centre-gauche que la plupart des socialistes européens), mais les dernières mesures annoncées sont considérées comme inadmissibles même par les socialistes les plus libéraux. Parce qu’au bout de 5 ans de rigueur, on voit une population absolument exsangue.

Pour l’instant il y a une situation d’urgence et le principal est de colmater les brèches. Un peu comme le fait le gouvernement en répétant à l’envie que ce n’est pas le cas de la Grèce… puisque nous n’avons pas comme la Grèce vécu à crédit depuis pas mal d’années.

TLE : Combien de temps la crise peut-elle durer au Portugal ? Quelles sont les prévisions en termes d’emploi, de croissance ?

A.N.P. : Si déjà le pouvoir d’achat de chaque Portugais diminue, la croissance par la demande ne peut augmenter, c’est automatique.

La croissance portugaise est aussi tenue par les exportations, mais 75% de ces exportations sont à destination de l’Union européenne, or on connaît la situation dans laquelle elle se trouve. Donc les perspectives en termes de croissance sont plutôt sombres.

Concernant l’emploi, le taux chômage est déjà assez élevé. Officiellement le il est à 8 ou 9%, ce qui est énorme, mais en réalité certaines personnes sont rayées du chômage, parce que, un peu comme en France, on oblige les personnes à travailler quelques heures par semaine donc elles sont rémunérées et n’entrent pas dans la case chômage. Le chômage réel est en réalité plus élevé, et on s’attend à ce qu’il augmente encore.

Quant à la crise dans son ensemble, celle-ci durera tant que les marchés continueront à avoir une attitude de peur et/ou à gagner de l’argent sur cette crise… qui est un mélange des deux, sans compter les attaques assez certaines contre l’euro.

En savoir plus :

La crise économique dans la zone euro (2010) - Touteleurope.fr

Site du journal Visão

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