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Albrecht Sonntag : “Si les équipes nationales sont des symboles, il faut qu’elles soient représentatives”

Alors que la Coupe du monde au Brésil se rapproche de son terme, les équipes encore engagées commencent à retenir leur souffle. Les peuples, toujours aussi enthousiastes et passionnés dans ce genre d’événement, également. Albrecht Sonntag, animateur du Centre de recherche en intégration européenne à l’ESSCA Ecole de Management d’Angers, coordinateur du projet FREE (Football Research in an Enlarged Europe) et membre du conseil scientifique du think tank européen Sport et Citoyenneté, nous éclaire sur les liens entre football et patriotisme.

Equipe de Belgique de football

Dans quelle mesure et de quelle manière le football et la Coupe du monde tendent-ils à exacerber le nationalisme ?

Albrecht Sonntag : Lorsqu’on parle du concept de nationalisme, on a tendance à lui apposer l’adjectif “exacerbé” . Alors que ce qui relève du patriotisme exacerbé pour les uns sera du patriotisme sain pour les autres. C’est très subjectif. Il faut donc être prudent car les lignes entre nationalisme et patriotisme sont très ténues. Selon moi, il n’existe pas de différence significative entre les deux termes. On donne au premier un caractère exclusif et une connotation de suprématie, tandis que le second est plus positif. Moi je n’en suis pas du tout certain.

Albrecht Sonntag anime le Centre de recherche en intégration européenne à l’ESSCA Ecole de Management d’Angers, coordonne le projet FREE (Football Research in an Enlarged Europe) et est membre du conseil scientifique du think tank européen Sport et Citoyenneté.

Ce qui existe à coup sûr, en revanche, c’est le besoin d’un groupe social de se rassembler dans l’autocélébration. Comme dans toute manifestation à forte connotation émotionnelle, ça peut parfois aller trop loin. En Europe occidentale, région qui n’est pas réputée pour avoir des nationalismes très prégnants, nous avons les mêmes réflexes que n’importe qui quand il s’agit de football. Ce sport a des ressorts dramatiques tels qu’ils trouvent un écho dans la société. Les groupes ont besoin d’exprimer leur appartenance à une communauté et la Coupe du monde leur donne une excellente opportunité pour le faire.

A l’heure actuelle, dans le monde, il n’y a quasiment plus que des nations fragilisées. Ces dernières sont, pour la majorité d’entre elles, de très grands groupes sociaux dans lesquels les liens entre les membres sont presque impossibles en raison de leur nombre. Par conséquent, les communautés nationales sautent sur des occasions comme la Coupe du monde pour célébrer une nation, qui est une entité en réalité tout à fait fictive. Pour que les sociétés résistent à l’usure de la fragmentation et de l’individualisation, il faut des périodes durant lesquelles ériger cette fiction d’une nation unie, autour d’un symbole. Durant la Coupe du monde, c’est l’équipe nationale de football. Il est à la fois pathétique et touchant qu’au XXIe siècle, nous ayons encore besoin de ce type de comportements irrationnels pour assurer le fonctionnement de nos Etats-nations.

Cela voudrait-il dire que l’engouement national et transcommunautaire qui entoure l’équipe de Belgique durant cette Coupe du monde n’est que conjoncturel ?

Equipe Belgique Football

Equipe de Belgique de football

En effet, pour moi, cela n’a rien de durable. Le football n’est qu’un sport et une grande compétition engageant les équipes nationales a lieu tous les deux ans. L’engouement peut ne pas être le même pour l’Euro 2016 et l’équipe de Belgique peut tout simplement ne pas être aussi forte. Nous assistons en Belgique à un ersatz de symbole national, dans un pays qui n’est plus une nation. La Belgique est la nation d’Europe où la fragmentation et le clivage dans la société sont les plus visibles. Les opportunités symboliques de célébrer une appartenance commune, qui dans la vie de tous les jours est éclipsée, sont rares. Les Belges n’ont aujourd’hui pas tellement la possibilité de se réunir autour de quoi que ce soit. Cette équipe nationale est donc un substitut, mais qui sera insuffisant pour pallier les problèmes du pays.

Au Royaume-Uni, il n’existe pas d’équipe nationale. Ce sont l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Ecosse et l’Irlande du Nord qui sont représentés. Selon cette même logique, cela veut-il dire que c’est sans incidence sur le sentiment national britannique ?

Au Royaume-Uni, les fédérations de football n’ont jamais été unies pour représenter la Couronne. Alors que le pays est un Etat-nation tangible depuis plus de 300 ans. On peut donc penser que le fait d’avoir des équipes séparées n’agit ni de manière positive ni de manière négative sur le sentiment national britannique. Dans le contexte concret du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, cela n’a donc aucune importance. D’autant moins que les Ecossais, qui ne sont pas qualifiés pour la Coupe du monde, soutiennent majoritairement l’équipe d’Angleterre, n’en déplaise aux séparatistes.

Dans le cadre de vos recherches, vous avez beaucoup travaillé sur l’Allemagne, votre pays de naissance. Dans quelle mesure la Nationalmannschaft, l’équipe allemande de football, a-t-elle contribué à consolider la reconstruction nationale et culturelle du pays après la Seconde guerre mondiale ?

Equipe Allemagne Football

Equipe d’Allemagne de football

En fait, c’est assez comparable à ce que j’ai dit précédemment. L’Allemagne, de la même manière qu’en Belgique, mais pour des raisons historiques évidemment différentes, était un pays où les symboles nationaux étaient disqualifiés. Et dans ce désert symbolique, il n’y a que deux éléments qui sont restés présents : le deutsche mark et la Nationalmannschaft. J’ai grandi dans un pays où l’adjectif “national” était quasi-tabou, sauf pour le football. D’ailleurs en Allemagne, on ne dit jamais simplement “Mannschaft” : le préfixe “National” est toujours présent. Ce déficit symbolique a donc été en partie comblé par une équipe qui, le hasard a bien fait les choses, gagnait souvent [Coupes du monde 1954, 1974 et 1990, ndlr]. Cela a donc contribué à créer, dans un pays troublé par l’histoire et fortement fédéraliste, un fort sentiment d’appartenance commune.

En 1998, après la victoire de la Coupe du monde, on a parlé d’une France unie, d’une France black-blanc-beur. Depuis, on a l’impression que le concept a vécu et que les supporters français ne soutiennent l’équipe nationale que quand elle gagne…

Je ne suis pas tout à fait sûr que les Français ne soutiennent leur équipe nationale que quand elle gagne. La France, comme la plupart des autres pays, soutient son équipe si elle est perçue comme étant représentative du pays. Si une équipe n’est pas représentative des valeurs principales, des attentes, des auto-stéréotypes d’une communauté nationale, elle n’attirera pas de sympathie pour elle. Même en gagnant. Et je peux donner l’exemple de l’équipe d’Allemagne de 1982, qui a terminé vice-championne du monde. Tout le monde était embarrassé. Elle ne correspondait pas à l’image que le pays se faisait de lui-même. C’est-à-dire plutôt fair-play alors que les joueurs ont arrangé le “match de la honte” avec les Autrichiens. C’est-à-dire désireuse de gagner, mais pas à tout prix, alors que Schumacher a massacré Battiston. C’est-à-dire compétitive, mais sans arrogance, comme l’avaient été les équipes des Coupes du monde 1966, 1970 et 1974. Tout concordait à ce que cette équipe de 1982 soit mal-aimée. Si les équipes nationales sont des symboles, il faut qu’elles soient représentatives. L’équipe de France est, et doit être, qu’on le veuille ou non, black-blanc-beur, mais il faut en plus qu’elle soit sympathique et humble, comme elle cherche à l’être en ce moment. Les amateurs de football et au-delà doivent pouvoir se reconnaitre dans l’équipe nationale.

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