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Agnès Bénassy-Quéré : “Les problèmes bancaires sont loin d’être terminés dans l’UE”

Un accord de principe a été trouvé le 25 mars entre le président chypriote Nicos Anastasiades et ses bailleurs de fonds internationaux sur le sauvetage de Chypre, qui prévoit notamment la fermeture de la deuxième banque du pays. L’aide européenne, d’un montant de 10 milliards d’euros, doit permettre d’éviter la faillite immédiate de l’île. En échange, les autorités chypriotes signeront dans les prochaines semaines avec la troïka un protocole d’accord prévoyant des réformes structurelles, des privatisations et une hausse de l’impôt sur les sociétés qui passera de 10 à 12,5%. Dans un entretien à Touteleurope.eu, Agnès Bénassy-Quéré, Présidente déléguée du Conseil d’analyse économique, revient sur cette crise bancaire inédite.

Quel regard portez-vous sur le plan adopté par Chypre et les dirigeants de l’Union européenne, de la BCE et du FMI ?

Agnès Bénassy-Quéré : Le plan adopté pour Chypre présente deux aspects positifs. Tout d’abord, il pose le concept de séparation entre “une bonne banque” et “une mauvaise banque” avec l’idée d’une banque qui puisse remplir ses fonctions c’est-à-dire recevoir les dépôts et prêter aux entreprises. C’est un point très important qui n’est d’ailleurs pas très commenté.

Ensuite, ce plan revient sur un schéma de résolution de la crise bancaire plus conforme à ce qui est discuté depuis quelques mois au niveau européen. Il y a un ordre, c’est-à-dire que l’on commence par les actionnaires, ensuite on se tourne vers les créanciers obligataires, et enfin on s’attaque aux dépôts non sécurisés et on protège les dépôts assurés.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles se trouve confrontées Chypre aujourd’hui ?

Agnès Bénassy-Quéré : La principale difficulté concerne la fuite des capitaux. Les Russes vont retirer leurs capitaux, ce qui veut dire une réduction drastique de la taille de la banque de Chypre et donc de l’économie chypriote. Le PIB de Chypre va alors se réduire énormément, beaucoup plus que ce qui a été prévu, et entraîner plus de chômage.

Tant que les banques sont solvables, la Banque centrale européenne est là pour compenser la fuite des capitaux, avec un système de refinancement et normalement l’Union monétaire est équipée pour faire face à cette fuite. Mais que se passera-t-il si ces fuites de capitaux entraînent une anticipation d’insolvabilité bancaire ?

L’autre problématique de ce plan concerne la dette publique. Le montant de l’aide des bailleurs de fonds (Union européenne et Fonds monétaire international) qui s’élève à 10 milliards d’euros est très élevé. Si le PIB diminue, ce à quoi on peut s’attendre, l’UE va avoir du mal à récupérer son chèque. Même si ce montant est absorbable, il y a un risque de crise souveraine.

Enfin, il manque une aide à Chypre pour reconvertir son économie, soit une aide à la mobilité de la main d’œuvre pour trouver un emploi ailleurs, soit un recours au fonds européen d’ajustement à la mondialisation ou encore par exemple des investissements de la Banque européenne d’investissement. L’économie chypriote marchait certes sur la tête mais il faut bien avoir conscience que la population va souffrir et qu’il faut l’aider.

Le rôle de la BCE est-il remis en cause ?

Agnès Bénassy-Quéré : Aujourd’hui, le rôle de la BCE est d’assurer la continuité de l’Union monétaire, de refinancer sans limite les banques qui sont considérées comme solvable. C’est ce que la BCE va faire pour Chypre mais cela va entraîner de nouvelles critiques sur le thème de l’euro et sur un système qui accumule des créances sur des pays qui éventuellement sortiront un jour de la zone euro. On peut donc s’attendre à une crise politique.

Chypre va-t-elle se retrouver dans la même situation que la Grèce ?

Agnès Bénassy-Quéré : Oui et non. La Grèce a connu une crise de dette souveraine avec une réduction de cette dernière qui a été imposée, négociée avec le secteur privé. Dans le cas de Chypre, c’est une crise bancaire et les 10 milliards du plan concernent directement le secteur public. D’une certaine manière c’est plus simple et plus douloureux à la fois, c’est-à-dire que ce sera le contribuable européen qui paiera. C’est pourquoi il ne faut absolument pas dire qu’il n’y a de solidarité en Europe.

Même si beaucoup sont surpris de cette crise à Chypre, ce n’est pas une découverte. Il ne faut pas oublier que l’UE négocie depuis deux ans avec l’île. Il y a eu un malentendu terrible avec les marchés qui pensaient que l’UE allait éternellement se caler sur le modèle irlandais et que ce serait le cas avec Chypre. Mais ce qui s’est appliqué à l’Irlande ne pouvait pas s’appliquer à Chypre.

Le scénario de la crise chypriote peut-il se répéter ailleurs ?

Agnès Bénassy-Quéré : Chaque pays est un cas particulier. Chypre, c’est l’Irlande au carré et au cube en termes de secteur bancaire dans l’économie. Des pays avec un secteur bancaire qui pèsent autant, il n’y en a pas beaucoup.

Il y a le cas de la Slovénie, qui rencontre aussi un problème bancaire mais celui-ci n’est pas aussi caricatural qu’à Chypre. Ce qui est particulier à Chypre, c’est que le passif des banques était essentiellement des dépôts.

Les problèmes bancaires sont loin d’être terminés dans l’UE. D’autres grands pays devraient également être touchés. On critique beaucoup l’Eurogroupe, mais donner la voie pour trouver une solution aux crises bancaires qui vont arriver, ce n’est pas forcément une mauvaise idée. C’est une manière de forcer un peu l’édification des procédures en cas de crise bancaire.

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