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Affaire Alstom : pour Edouard Martin, il faut favoriser les “fusions d’entreprises européennes stratégiques”

Le 4 octobre, le gouvernement français a officialisé le sauvetage de l’usine de Belfort d’Alstom, géant français du ferroviaire, menacée d’une restructuration qui aurait coûté plusieurs centaines d’emplois. Un épilogue heureux pour les salariés, mais qui laisse en suspens la question beaucoup large de l’avenir industriel de la France et de l’Europe à l’heure où ce secteur d’activité ne cesse de décroître. S’emparant de cet enjeu, les députés européens ont à cet égard voté, le 5 octobre, une résolution portant sur la réindustrialisation de l’Europe.

Edouard Martin, eurodéputé français membre des socialistes et démocrates et ancien syndicaliste en première ligne lors de la fermeture des hauts-fourneaux de Florange, a répondu aux questions de Touteleurope.eu. Selon lui, la Commission européenne doit “mettre en place de vrais outils de défense des industries”, si elle souhaite atteindre l’objectif d’un secteur industriel pesant 20% du PIB à l’horizon 2020.

Train allemand fabriqué par Alstom

Touteleurope.eu : Quel est votre sentiment à propos de la résolution sur la réindustrialisation de l’Europe qui vient d’être votée par le Parlement européen ?

Edouard Martin : Nous sommes satisfaits qu’elle ait été votée. Nous en étions à l’initiative. Mais maintenant, nous devons l’utiliser comme levier, pour faire pression sur la Commission européenne afin qu’elle finisse par faire une proposition législative pour mettre en place de vrais outils de défense des industries.

Lors des débats ayant précédé le vote de la résolution, les politiques d’austérité, la financiarisation de l’économie, le déficit de compétitivité vis-à-vis de la Chine ou encore la fiscalité européenne inadaptée ont, tour à tour, été évoqués pour expliquer les difficultés de l’industrie européenne. Partagez-vous ces éléments de diagnostic ?



Edouard Martin
a été élu eurodéputé sous les couleurs du Parti socialiste en 2014. Ancien syndicaliste de la CFDT, il s’est fait connaître pour son engagement contre la fermeture des haut-fourneaux de Florange à partir de 2009.

Oui, mais ces éléments d’explication ne sont pas suffisants. Concernant la fiscalité, elle n’est effectivement pas homogène au sein de l’Union européenne. Il existe une concurrence fiscale déloyale entre les Etats membres. Ceci étant dit, il nous faut désormais la possibilité de favoriser, d’inciter des partenariats, des collaborations, voire même des fusions d’entreprises européennes stratégiques. Nous devons être en mesure de créer, demain, des Airbus du ferroviaire, de la chimie ou de l’acier, pour faire face à des mastodontes, notamment chinois. Ces derniers sont des méga-industries dotées de fonds publics et qui peuvent peser plus de 50% de parts de marché mondiales dans certains secteurs.

Aujourd’hui, les traités européens nous interdisent ces collaborations d’entreprises, car la direction générale de la concurrence les considérerait comme des positions dominantes. Ce que l’on souhaite c’est que la Commission européenne prenne enfin conscience que l’économie est globalisée et qu’il ne suffit pas d’avoir des outils pour s’assurer d’une concurrence libre et non faussée au niveau européen, mais qu’il faut ces outils au niveau mondial.

Le Plan Juncker, qui doit être prolongé et doublé à partir de 2018, peut-il servir à la politique de réindustrialisation européenne ?

Le Plan Juncker ne peut servir la politique industrielle de l’Europe que si, en parallèle, la Commission oblige les multinationales souhaitant fermer des sites à chercher un repreneur pour maintenir l’activité, ou encore impose des délais de démantèlement et de dépollution d’un site abandonné de manière à pouvoir revitaliser le territoire. L’Europe doit statuer sur ces éléments, car dans le cas contraire le Plan Juncker sera de la poudre aux yeux.

L’Europe se veut une économie sociale de marché. Mais dans le cas d’Alstom en France ou encore de Caterpillar en Belgique, les annonces de restructuration ou de fermeture n’ont pas été précédées d’une phase de concertation sociale. L’Europe doit-elle légiférer en la matière ?

Effectivement, au moins dans le cadre des marchés publics, il faut ajouter des clauses environnementales, des règles sociales et ne pas chercher le moins-disant en la matière. A cet égard, un rapport est en cours d’élaboration pour permettre de davantage associer les organisations syndicales et les travailleurs dans les choix stratégiques des entreprises, notamment afin d’anticiper fermetures et restructurations. Le but n’est pas d’enlever du pouvoir aux patrons, mais de pouvoir mieux se préparer à des difficultés, que ce soit par des politiques de formations ou des réflexions sur la réadaptation ou la diversification des sites de production. Dans le cas d’Alstom, les représentants du personnel avaient des propositions pour permettre à l’entreprise de passer ce cap difficile.

Affaire Caterpillar : le 2 septembre 2016, la direction de Caterpillar annonce la fermeture de son unique usine belge, située à Gosselies, dans le cadre d’un plan de restructuration globale. Outre les employés du site, de nombreux sous-traitants de l’entreprise devraient fortement touchés. Au total, 6 000 emplois pourraient être détruits.

Par ailleurs, ce qui m’étonne, c’est que dans les cas d’Alstom et de Caterpillar, une partie de la production est évacuée vers des pays “low-cost” en dehors d’Europe, dont on sait qu’ils ne respecteront pas ces normes environnementales et sociales. Il faut cesser d’être schizophrène et mettre en adéquation les votes du Parlement européen, les engagements de la COP21 et les accords économiques. Pour le moment on cloisonne nos débats, alors que climat, économie et industrie sont intimement liés.

Que pensez-vous du plan de sauvetage d’Alstom annoncé par Manuel Valls le 4 octobre ?

Je suis heureux qu’on ait donné du temps à Belfort. Cela va donner une bouffée d’oxygène et de la visibilité au site, à la fois pour la direction et pour les salariés, mais cela ne suffira pas. Car si l’on s’arrête à ça, c’est reculer pour mieux sauter. Si la seule chance de survie du site de Belfort c’est l’attente des commandes publiques, malheureusement je crains des lendemains difficiles. L’Etat, d’autant plus car il est actionnaire d’Alstom, doit encourager des discussions sur comment mieux s’adapter aux exigences des marchés, comment se diversifier, comment former le personnel pour se réorienter vers d’autres activités etc…

Sans la perspective de l’élection présidentielle, le gouvernement aurait-il sauvé le site de Belfort ?

Je ne pense pas. Ou du moins pas sous la même forme. Mais, derrière le cas Alstom, c’est surtout comment l’Etat va défendre et pérenniser une activité stratégique qui compte. Savoir construire des locomotives de TGV, on ne trouve pas ça à chaque coin de rue.

Affaire Alstom : le 7 septembre 2016, la direction d’Alstom annonce la fermeture de l’usine de Belfort à compter de 2018 faute de commandes suffisantes. Après plusieurs semaines de discussions, le gouvernement de Manuel Valls officialise un plan de sauvetage le 4 octobre, par le biais d’une commande de 15 TGV. Environ 400 emplois étaient en jeu.

Ce que je souhaite, tout comme les organisations syndicales ainsi que, je crois, le secrétaire d’Etat à l’Industrie Christophe Sirugue, c’est que M. Poupart-Lafarge [PDG d’Alstom, ndlr] et la direction d’Alstom mettent à profit le temps accordé à Belfort pour en faire un site davantage diversifié.

Il faut que ce soit le début d’une vraie politique industrielle en France et en Europe. Je crains par exemple que, d’ici quelques semaines ou quelques mois, on doive faire face au même problème avec Areva. On ne peut fonctionner au coup par coup.

Les commandes publiques faites à Alstom pour faire fonctionner son site de Belfort seront-elles vues, selon vous, comme des aides d’Etat, normalement interdites, par la Commission européennes ?

C’est très probable. Mais, comme nous le disons dans la résolution votée le 5 octobre, la Commission a permis ce type de subvention publique indirecte pour sauver les banques. Pour quelle raison la Commission n’autoriserait-elle pas une aide ponctuelle pour sauver un secteur industriel stratégique pour la France et pour l’Europe ?

Jean-Claude Juncker a même fait de l’industrie une priorité de son mandat. Il veut arriver à l’horizon 2020 à ce que le secteur industriel représente 20% du PIB. Nous sommes à 12%. Il faut que la Commission mette en cohérence ce qu’elle déclare et ce qu’elle fait.

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