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Adhésion de la Turquie à l’Union européenne : où en est-on ?

Candidate à l’adhésion depuis 1987, la Turquie entretient une relation complexe avec l’Union européenne. Toute l’Europe revient sur des années de négociations entre Bruxelles et Ankara et sur ce dialogue, révélateur de l’évolution des enjeux géopolitiques et des lignes de fracture diplomatiques qui se jouent depuis plus de 30 ans entre les deux puissances.

En octobre 2020, le Conseil de l'UE a considéré que les négociations d'adhésion avec la Turquie étaient "au point mort" - Crédits : alperguzeler / iStock
En juin 2019, le Conseil de l’UE a considéré que les négociations d’adhésion avec la Turquie étaient “au point mort” - Crédits : alperguzeler / iStock

La Turquie est candidate depuis 1987 pour adhérer à l’Union européenne. Un statut officiellement reconnu par les Européens en 1999. Depuis, la perspective de son intégration a suscité de vifs débats liés à la taille et à la position géographique du pays, au poids de la religion musulmane dans sa société ou encore à sa position sur la question chypriote.

Avec le durcissement du régime de Recep Tayyip Erdoğan ces dernières années, la perspective d’une adhésion turque à l’UE s’est éloignée. Premières étapes vers ce refroidissement des relations entre les deux puissances : le blocage des négociations par la France et l’Allemagne en 2007, l’aggravation du conflit avec les Kurdes depuis le début des années 2010 et la répression des manifestations de la place Taksim en 2013.

La dynamique s’est encore accélérée ces dernières années. Purges et emprisonnements arbitraires après la tentative manquée de coup d’Etat en juillet 2016, extension des pouvoirs de Recep Tayyip Erdoğan, insultes vis-à-vis des autorités allemandes, néerlandaises ou encore françaises, interventions militaires en Syrie et instrumentalisation politique des flux migratoires…, le pays s’est considérablement éloigné de ses partenaires européens, si bien que le Conseil de l’UE a estimé en juin 2019 que les négociations étaient “au point mort” avec Ankara.

La visite de Charles Michel et Ursula von der Leyen, présidents du Conseil européen et de la Commission, en avril 2021, est intervenue dans un contexte de reprise du dialogue entre Bruxelles et Ankara. Lors du Conseil européen du 22 mars 2021, les 27 chefs d’Etat et de gouvernement s’étaient même félicités de la “récente désescalade” avec Ankara.

Carte Union européenne - Turquie
En bleu foncé : Union européenne. En bleu clair : Turquie

L’adhésion de la Turquie, une question politique

Après la reconnaissance officielle de la candidature turque en 1999 lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement d’Helsinki, l’ouverture des négociations avec le pays en 2005 correspond à un tournant historique pour le projet européen. En effet, si l’élargissement aux Etats de l’ex-Union soviétique ne s’est pas fait sans douleur, leur adhésion n’a pas suscité les vives réactions qui entourent la candidature turque.

Pourquoi ? Les enjeux liés à l’entrée de la Turquie soulèvent des questions à la fois historiques, démographiques, religieuses et géopolitiques. De quoi susciter des débats récurrents depuis plus de 20 ans.

La situation géographique de la Turquie

Au-delà des préoccupations purement géographiques, soulevant la question des frontières du continent européen (97 % du territoire turc est situé sur le continent asiatique à l’est du Bosphore), c’est également la nature du projet européen qui est questionnée avec la perspective d’une adhésion turque. Sur quelle histoire commune et quelle proximité géographique doit se fonder la construction européenne ? Le projet est-il à vocation universaliste, avec pour objectif de rapprocher les peuples autour de valeurs et d’institutions ?

Le poids de l’islam en Turquie

La Turquie est un Etat laïc depuis les réformes menées par le président Mustafa Kemal Atatürk dans les années 1920. Une laïcité qui ne signifie pas la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais le contrôle de la religion dominante, l’islam, par l’Etat. Depuis son arrivée au pouvoir, l’AKP a ébranlé cette conception laïque de la société. En 2016, le président du Parlement turc Ismaïl Kahraman affirmait notamment : “Nous sommes un pays musulman. Par conséquent, il faudrait faire une Constitution religieuse”. Bien que l’islam ne constitue pas une nouveauté sur le territoire européen, son poids augmenterait fortement.

La question est revenue sur le devant de la scène en octobre 2020 lorsque le président turc a mis en doute la “santé mentale” d’Emmanuel Macron et appelé au boycott des produits français. Des paroles outrancières faisant suite aux déclarations du président français, qui avait annoncé ne pas vouloir renoncer à la publication des caricatures de Mahomet suite à l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine. Les propos ont été unanimement condamnés par les dirigeants européens mais l’incident témoigne de la sensibilité attachée à la question de l’islam dans les relations entre la Turquie et les Européens.

Le poids démographique et l’impact sur les institutions européennes

Quel serait le poids politique de la Turquie dans les institutions et donc les décisions européennes ? Avec 84,7 millions d’habitants en 2022, la Turquie serait le pays le plus peuplé de l’UE devant l’Allemagne (83,2 millions d’habitants), ce qui lui donnerait une place importante dans les institutions européennes où le poids démographique des Etats est pris en compte dans les méthodes de prise de décision. Ainsi, en terme de représentativité, la Turquie jouerait dans la cour des grands au sein du Parlement européen avec l’Allemagne (96 eurodéputés), la France (79) ou encore l’Italie (76).

Entre 2009 et 2019, sa population a d’ailleurs augmenté de 14,7 % selon Eurostat, contre seulement 1,5 % en moyenne dans les 27 Etats membres de l’UE sur la même période. Une dynamique qui explique la jeunesse de sa population. En 2019, 23,6 % des Turcs étaient âgés de moins de 15 ans, contre à peine plus de 15 % dans l’UE.

Une question géopolitique

La candidature turque interroge donc l’Union européenne sur la nature de son projet politique. Elle la questionne également sur un plan géopolitique, la Turquie étant à la fois un partenaire stratégique au Levant, membre de l’Otan comme nombre de pays européens, mais aussi une puissance aux intérêts qui divergent parfois considérablement de ceux de l’UE, comme en Syrie, en Libye ou plus récemment, dans le Haut-Karabakh.

Voici les principaux dossiers internationaux sur lesquels Bruxelles et Ankara sont en désaccord.

La question chypriote

Aux yeux du droit international, Chypre est un pays uni. Mais depuis 1974, l’île est divisée entre une partie sud, hellénophone et orthodoxe, et une partie nord, turcophone et musulmane, la République turque de Chypre du Nord (RTCN). La communauté internationale ne reconnaît pas cette dernière, à l’exception de la Turquie, qui la soutient militairement. A ce titre, l’élection le 18 octobre 2020 à la tête de la RTCN du nationaliste turc Ersin Tatar, favorable à une solution à deux Etats au détriment d’une réunification avec le reste de l’île, renforce l’influence de la Turquie dans la région. Un contexte diplomatique qui complique largement les relations d’Ankara avec l’Union européenne, d’autant plus depuis l’adhésion de Chypre à l’UE en 2004.

Cette situation pousse la Turquie à refuser d’appliquer à Chypre le protocole dit d’Ankara. Conclu en 2005 lors de l’ouverture des pourparlers avec l’Union européenne, il prévoit l’extension de l’union douanière Turquie-UE aux dix nouveaux Etats membres. La Turquie, exigeant au préalable la fin de l’isolement et de l’embargo qui touche la République turque de Chypre du Nord, interdisait encore récemment aux navires et avions chypriotes grecs l’accès à ses ports et aéroports.

En janvier 2017, des pourparlers ont eu lieu à Genève sous l’égide des Nations unies afin d’abattre cette frontière qui traverse de part en part Nicosie, la dernière qui divise encore une capitale européenne. Mais le président turc Recep Tayyip Erdoğan a coupé court aux discussions en affirmant qu’il n’ordonnerait pas le retrait des soldats turcs au nord de Chypre. Début 2018, les tensions se sont à nouveau accrues entre l’île européenne et la Turquie. Celle-ci a en effet bloqué un navire italien dans les eaux chypriotes, une violation du droit international selon Nicosie. A l’été 2019, malgré les menaces de l’UE de réduire les aides de pré-adhésion et les prêts de la Banque européenne d’investissement à la Turquie en 2020, la Turquie a pénétré illégalement dans la zone économique exclusive de Chypre qui contient des gisements gaziers.

Chypre n’est par ailleurs pas le seul Etat de l’UE avec lequel les relations posent problème. La Grèce, membre de l’Union, et la Turquie connaissent régulièrement des conflits diplomatiques, liés à une hostilité historique entre les deux pays.

La question migratoire

La crise migratoire a fait apparaître une nouvelle dimension à la relation UE-Turquie. La situation inédite en mer Méditerranée a poussé les Etats membres de l’UE, et en premier lieu l’Allemagne, à passer un accord controversé avec Ankara le 18 mars 2016.

Selon ses termes, tous les migrants irréguliers (qui ne demandent pas l’asile ou dont la demande d’asile a été jugée infondée ou irrecevable) qui ont traversé la Turquie vers les îles grecques depuis le 20 mars 2016 sont renvoyés dans le pays. Et pour chaque Syrien renvoyé vers la Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien - fondé à demander l’asile en Europe - est réinstallé de la Turquie vers l’Union européenne, dans la limite de 72 000 personnes maximum.

Un an après cet accord, le nombre d’arrivées de migrants sur les îles grecques avait considérablement reculé, diminuant de 98 %. Cependant, plusieurs voix s’élevaient déjà pour dénoncer les conditions de vie des réfugiés. “Leur accès aux services de base est en croissance mais reste limité”, observait encore la Commission européenne en août 2019. En mars 2018, Bruxelles avait néanmoins donné son accord pour débloquer la deuxième tranche d’aide de trois milliards d’euros promis à la Turquie en contrepartie de cet accord.

Un nouveau chapitre de négociations sur les questions budgétaires avait également été ouvert en juin 2016. Mais depuis, la relance du processus d’adhésion a été largement freinée par la situation politique en Turquie (lire ci-dessous). De même, le processus de libéralisation des visas européens pour les Turcs semble avoir été stoppé.

En février 2020, après avoir subi un revers militaire en Syrie et essuyé les critiques de l’Union européenne qui refuse de soutenir ses actions dans le pays, la Turquie a réagi en favorisant un afflux de migrants à la frontière grecque. Recep Tayyip Erdoğan a promis que “3,6 millions” de réfugiés allaient s’introduire sur le territoire européen. Un “chantage” dénoncé par le Conseil des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne et qui témoigne du niveau de tension élevé dans les relations turco-européennes. Le sommet entre le président du Conseil européen Charles Michel, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen et le président turc Recep Tayyip Erdoğan qui s’est tenu à Bruxelles le 9 mars 2020 n’a pas débloqué la situation.

La question syrienne

Corrélé à la question migratoire, le dossier syrien fait également partie des points de friction entre la Turquie et l’UE. Depuis 2011 et les premières manifestations à Damas contre le régime de Bachar el-Assad, le pays est en proie aux divisions. Les mouvements de contestation du régime, réprimés par ce dernier se sont militarisés, donnant lieu à des affrontements armés et les populations kurdes se sont soulevées en vue d’obtenir leur indépendance. L’Etat islamique, lui, fait son entrée dans le conflit dès 2013.

Dans cette situation, la Turquie en a profité pour se déployer dans le nord de la Syrie majoritairement occupé par les rebelles kurdes. Si l’objectif déclaré du gouvernement turc est de contrer la présence de l’Etat islamique, les opérations successives lancées par Ankara semblent davantage viser les forces kurdes. La Turquie réclame un soutien des Européens à son intervention en Syrie. Mais l’Union européenne cherche davantage à favoriser une transition politique par la voie diplomatique que par un engagement militaire.

La question libyenne

Turcs et Européens s’opposent également sur la situation en Libye. En 2011, la vague révolutionnaire a chassé du pouvoir Mouammar Kadhafi mais la succession du dictateur ne s’est pas faite sans heurts. En 2014, un gouvernement de transition issu de la révolution émerge sans parvenir à mettre fin aux tensions dans le pays. Plusieurs milices ont mis en place des fiefs locaux, profitant du vide politique et du développement du trafic d’armes.

Dans le même temps, le maréchal Haftar, un ancien officier de Kadhafi passé dans l’opposition, a constitué un gouvernement rival installé à Tobrouk et qui contrôle l’est du pays. Signés entre les deux parties, les accords de Skhirat de décembre 2015 prévoient la formation d’un gouvernement d’union, basé à Tripoli et dirigé par Fayez el Sarraj. Le gouvernement n’est finalement pas reconnu par le parlement de Tobrouk. Envoyé spécial de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé en a alors appelé à de nouvelles élections dans le pays, qui n’ont toujours pu se tenir en raison des conflits. Le 23 octobre 2020, les deux parties annoncent un cessez-le-feu permanent. Une mesure fragile plusieurs fois remise en cause par les deux camps.

Dans ce dossier, alors que la communauté internationale a décidé d’un embargo sur les armes à destination de la Libye, les Européens ont accusé la Turquie de violer cet embargo en livrant des armes au gouvernement de Tripoli et de faire ainsi preuve d’ingérence.

La question du Haut-Karabakh

Le dégel du conflit dans le Haut-Karabakh à la fin du mois de septembre 2020 contribue également à alimenter les tensions entre l’UE et la Turquie. Majoritairement peuplée d’Arméniens, la région a été rattachée à l’Azerbaïdjan pendant la période soviétique. Depuis la chute de l’URSS, la province lutte pour son indépendance ou son rattachement à l’Arménie, ce à quoi s’oppose l’Azerbaïdjan. Des combats éclatent et une trêve est négociée en 1994 mais les tensions persistent.

En septembre 2020, de nouveaux affrontements ont lieu et le gouvernement turc fait immédiatement savoir qu’il apportera son soutien aux forces azéries. Cela se traduit par un envoi de mercenaires syriens, bien que ce fait soit démenti par la Turquie. L’Union européenne de son côté, appelle à la fin des combats et à une reprise des pourparlers dans le cadre du Groupe de Minsk, chargé d’aboutir à une résolution pacifique du conflit.

La rue Istiklal à Istanbul © Guillén Pérez

En Syrie, comme en Libye ou au Haut-Karabagh, les Européens ont demandé des “gestes crédibles” et des “efforts durables” de la part d’Ankara. 

La question de l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan

Si ce sujet n’est pas directement lié à la candidature de la Turquie à l’UE, il contribue à tendre leurs relations. Dans le sillage de la guerre en Ukraine, la Suède et la Finlande, sorties de leur neutralité historique, se sont simultanément portées candidates à l’adhésion à l’Otan en mai 2022. Si leur intégration a été acceptée dès le mois suivant, elle doit maintenant être ratifiée par l’ensemble des Etats membres de l’organisation. Mais la Turquie traîne des pieds, reprochant notamment à la Suède l’accueil d’immigrés kurdes dont certains sont considérés comme des “terroristes” proches du PKK par Ankara. Sur les 30 Etats membres de l’Alliance atlantique, dont 21 appartiennent à l’UE, la Hongrie et la Turquie sont les seules à ne pas avoir ratifié l’intégration de la Suède et de la Finlande. 

Une question de normes

Plus concrètement encore, la candidature turque à l’adhésion à l’UE bloque car la Turquie ne satisfait pas aux exigences européennes. Ces critères d’adhésion ou “critères de Copenhague” ont été définis en 1993 et renforcés en 1995. Au nombre de trois (politique, économie et mise en œuvre de l’acquis communautaire), ils définissent les conditions pour qu’un pays puisse devenir membre de l’Union européenne et illustrent bien l’écart grandissant entre la Turquie et les normes européennes.

Les critères politiques : des blocages persistants

Les critères politiques à satisfaire sont les suivants : des institutions stables garantissant la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme et le respect des minorités et leur protection. Autant d’exigences que la Turquie est encore loin de satisfaire.

La question du respect et de la protection de la minorité kurde

Malgré une amélioration de la situation entre 2013 et 2014 saluée par la Commission européenne dans un rapport (signature d’un cessez-le-feu en 2013 et proposition de loi en juin 2014 permettant d’étendre la diffusion de la langue kurde, en l’autorisant dans les écoles et les institutions), la répression contre les Kurdes n’a pas cessé.

Depuis son entrée en guerre “contre le terrorisme” en 2015, le gouvernement turc continue à bombarder les positions des forces armées kurdes liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré en tant qu’organisation terroriste par la Turquie et l’Union européenne et qui combat Daech. Des membres du parti kurde HDP sont en outre détenus aujourd’hui, soupçonnés d’avoir des liens avec le PKK. Ils représentent pourtant plus de 10 % du Parlement turc, avec 54 sièges en 2015 puis 67 sièges depuis les élections de juin 2018. A cet égard, l’UE et les dirigeants européens condamnent régulièrement les frappes turques ainsi que les arrestations des députés et journalistes kurdes.

En octobre 2019, une nouvelle offensive turque contre les forces kurdes au nord de la Syrie (YPG) relance les critiques européennes à l’encontre d’Ankara. Lors du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019, l’Union européenne décide de mesures de représailles. Sans infléchir pour autant la position de la Turquie, ce qui a poussé le vice-président du Parlement européen Dimítrios Papadimoúlis à appeler “à des mesures plus strictes” contre le pays en mars 2020.

La question du respect de l’état de droit

En mai 2013, un mouvement de protestation d’une ampleur inédite a émergé à Istanbul. Opposé dans un premier temps, notamment pour des motifs écologiques, à la destruction du parc Gezi au profit de la construction d’un centre commercial, il s’est rapidement transformé en un vaste mouvement de protestation contre le régime en place. Les répressions policières ont été massives, utilisant notamment des gaz lacrymogènes et des jets d’eau. Ces évènements ont marqué un tournant pour le gouvernement d’Erdoğan : la Commission a condamné “tout usage excessif et disproportionné de la force”, tandis que le Parlement européen a adopté une résolution en 2013 qui condamnait l’usage de mesures de répression contre des manifestants pacifiques et rappelait que les violences policières devaient être poursuivies par la justice.

Par la suite, le gouvernement turc a engagé en janvier 2014 une réforme judiciaire controversée : celle-ci a élargi la composition du Haut-conseil des magistrats (HSKY) en y renforçant le poids du gouvernement et accordé au ministre de la Justice le dernier mot concernant les nominations de magistrats à des institutions judiciaires clé comme la Cour constitutionnelle. L’Union européenne a critiqué ces mesures, faisant part de son inquiétude quant à l’indépendance de la justice et à la séparation des pouvoirs en Turquie.

La question de la stabilité de la démocratie

L’instabilité politique liée à la tentative de coup d’Etat par l’armée turque en juillet 2016 a accéléré la dérive autoritaire du régime du président Erdoğan. En réaction, la Turquie a déclaré le 21 juillet qu’elle “dérogerait temporairement” à la Convention européenne des droits de l’homme pendant la durée de l’état d’urgence, qui a pris fin le 18 juillet 2018, mais qui est cependant en partie entré dans le droit commun depuis.

Le gouvernement a procédé à de larges arrestations, suspensions et licenciements, sous couvert de l’implication du mouvement de l’opposant Fethullah Gülen dans le putsch. Le coup de filet a été étendu aux pro-kurdes ainsi qu’aux voix d’opposition. Dans son rapport sur la Turquie de 2018, la Commission européenne rappelait que pendant cette période, plus de 150 000 personnes avaient été placées en détention et 78 000 autres arrêtées. Dans le même temps, selon les autorités turques, 40 000 fonctionnaires auraient été réintégrés, dont 3 600 par décret.

L’ONG Reporters Sans Frontières qualifiait, en janvier 2017, la Turquie de “plus grande prison du monde pour les professionnels des médias”. Elle dénonçait les emprisonnements des journalistes et de leurs collaborateurs, la censure d’Internet et des réseaux sociaux ainsi que le blocage des outils de contournement de la censure tels que les VPN ou le réseau Tor.

Le président Recep Tayyip Erdoğan a vu son rôle déjà central renforcé depuis le coup d’Etat. Ce rôle s’est traduit dans la constitution grâce à la victoire du “oui” au référendum constitutionnel du 16 avril 2017. Le texte a permis de remplacer le système parlementaire par un régime présidentiel fort.

Critiques et inquiétudes de l’Union européenne

L’état de droit serait d’autant plus mis à mal que le président turc s’est déclaré favorable à la peine de mort en 2017. La réponse européenne à cette déclaration ne s’est pas fait attendre, le président de la Commission européenne de l’époque Jean-Claude Juncker (2014-2019) ayant répondu que “si la peine de mort [était] réintroduite en Turquie, cela entraînera[it] la fin des négociations”.

Dans son rapport annuel sur la candidature turque rendu en mai 2019 , la Commission européenne assure que “la Turquie reste un partenaire clé de l’Union européenne”. Si elle salue un “dialogue de haut niveau” sur certains dossiers (transports, économie, labellisation de produits), l’exécutif européen a surtout rappelé que “les graves préoccupations de l’UE quant à la dégradation de l’état de droit, des droits fondamentaux et du pouvoir judiciaire n’ont pas été prises en compte”.

La Commission européenne a encore marqué sa froideur vis-à-vis de l’évolution de l’Etat turc en affirmant : “Le pays continue de s’éloigner toujours plus de l’Union européenne, avec un sérieux recul dans les domaines de l’état de droit et des droits fondamentaux et un affaiblissement des contre-pouvoirs au sein du système politique résultant de l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle”.

Cette froideur est encore plus marquée dans la dernière édition du rapport annuel publié en octobre 2022. Celui-ci insiste sur les “graves déficiences dans le fonctionnement des institutions démocratiques de la Turquie”. Et indique une “détérioration des droits de l’homme et des droits fondamentaux” qui continue. 

Autre signe de la dégradation de la situation dans le pays : en mars 2021, l’exécutif turc décide de se retirer de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite convention d’Istanbul. Ankara justifie sa décision par l’atteinte au modèle de la “famille traditionnelle”.

Les critères économiques : une croissance élevée mais une inflation record

Selon les critères de Copenhague, le pays candidat à l’adhésion doit être doté d’une économie de marché viable et être capable de faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’Union.

Après des années de croissance stable (entre 5 et 8 % du PIB à l’exception de la récession de 2009), l’économie turque traverse de fortes zones de turbulence. En cause notamment, la crise de la livre turque, largement dévaluée en 2015. La croissance est en dents de scie à compter de cette année : 6,1 % en 2015, puis 3,3 % en 2016, un rebond à 7,5 % en 2017, puis 3 % en 2018 et seulement 0,8 % en 2019, selon le FMI. En dépit de la pandémie de Covid-19, le PIB a augmenté de 1,9 % durant l’année 2020. Avant de considérablement repartir en 2021, en connaissant une progression de 11,4 %. La croissance s’est enfin établie à 5 % en 2022. Mais la Turquie et son économie se trouvent confrontées à un autre fléau, que la guerre en Ukraine est venue accélérer et renforcer : l’inflation. En novembre 2022, elle atteignait 84,4 % sur un an, soit un taux près de huit fois supérieur à celui rencontré à l’échelle de l’UE, 11,1 % à la même période.

Autre enjeu sur lequel la Turquie doit encore progresser pour satisfaire aux exigences du processus d’adhésion, le taux d’accès à l’emploi pour les femmes. Il reste le plus faible des pays de l’OCDE, avec 29,6 % en 2020.

L’acquis communautaire : un pays “modérément” préparé

Le critère de l’acquis communautaire désigne l’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion à l’Union européenne. Celles-ci concernent notamment la capacité à mettre en œuvre avec efficacité les règles, les normes et les politiques qui forment le corpus législatif de l’UE (l’acquis) et à souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

Concernant l’adéquation de ses politiques avec celles de l’Union européenne, la Turquie a continué de s’aligner sur l’acquis, bien qu’à un rythme limité, comme en atteste notamment le rapport de la Commission de 2020. Plusieurs exemples de recul sont cependant à noter, dans des domaines essentiels (libre circulation des capitaux, concurrence, politique économique et monétaire, relations extérieures…). En revanche, la Turquie a progressé dans les domaines de la libre circulation des marchandises, du droit de la propriété intellectuelle, des services financiers ou encore de la consommation.

Un tag pendant les émeutes de Gezi en mai 2013

Des négociations “au point mort

L’acquis communautaire est composé de 35 chapitres. Avant le début des négociations avec un pays tiers qui souhaite adhérer à l’Union, la Commission publie un rapport d’examen de ces chapitres et recommande d’entamer les négociations pour certains d’entre eux. Le Conseil décide ensuite à l’unanimité d’ouvrir ou non un chapitre de négociation. Lorsque le Conseil estime que suffisamment de progrès ont été réalisés par le pays, il décide à l’unanimité de clore provisoirement le chapitre.

Aujourd’hui, sur un total de 35 chapitres de négociations avec la Turquie, 16 ont été ouverts dont les deux derniers en 2015 et 2016 (le premier concerne la politique économique et monétaire et l’autre les dispositions financières et budgétaires). Seul le chapitre concernant la science et la recherche a été clôturé.

La Commission européenne et la Turquie avaient adopté un “agenda positif” en mai 2012, avant les événements de la place Taksim. Celui-ci prévoyait notamment une concertation accrue sur les grands sujets de politique étrangère, une meilleure coopération dans le domaine de l’énergie, ainsi que des discussions directes entre la Commission et Ankara pour permettre un alignement progressif des normes turques sur celles de l’UE.

Mais depuis l’été 2016, les négociations ne progressent plus. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a même estimé en novembre 2016 que “tout ce que font les autorités turques aujourd’hui me fait croire que finalement la Turquie ne veut pas” respecter les conditions requises pour la poursuite des négociations. Le 25 mars 2017, le président turc a mis un nouveau coup de frein à la poursuite des discussions, en déclarant vouloir organiser un référendum sur la poursuite des négociations d’adhésion à l’Union européenne.

Un processus d’adhésion maintenu mais à l’arrêt

Le 24 septembre 2017, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré lors d’un débat télévisé à l’occasion des élections législatives “que la Turquie ne doit pas devenir un membre de l’Union européenne”. Une déclaration ferme, suivie par Emmanuel Macron, qui a estimé en janvier 2018, à l’occasion de la visite du président turc en France, qu’il fallait “sortir d’une hypocrisie qui consisterait à penser qu’une progression naturelle vers l’ouverture de nouveaux chapitres est possible, ça n’est pas vrai”. Pour le président français, l’adhésion ne serait plus à l’ordre du jour et une forme de “partenariat” serait préférable. Une position réaffirmée près de trois ans plus tard par son secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune qui a déclaré en octobre 2020 lors d’une interview télévisée que “la Turquie [n’avait] pas vocation à rentrer dans l’UE” et qualifié la perspective d’adhésion à l’UE de “fictive” .

Si une réunion du Conseil d’association UE-Turquie avait été organisée à Bruxelles en mars 2019 après plusieurs années d’interruption, Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne de l’époque, n’avait pas manqué d’exprimer ses “vives préoccupations” pour l’état de droit en Turquie. Une position partagée par le Parlement européen qui avait, une nouvelle fois le 13 mars 2019, souhaité la suspension des négociations avec Ankara.

En juin 2019, le Conseil de l’UE note ainsi “que la Turquie continue de s’éloigner un peu plus encore de l’Union européenne”. “Les négociations d’adhésion avec la Turquie sont par conséquent au point mort”.

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    MANI

    LA TURQIE EST INCONTOURNABLE MAIS DOIT FAIRE BEAUCOUP, BEAUCOUP DE PROGRÈS ET RESPECTER LA DEMOCRATIE. IL LUI FAUT UN SECOND ATATURK.