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Iran : que peut l’Europe face aux sanctions des Etats-Unis ?

Le 8 mai 2018, le président des Etats-Unis Donald Trump annonçait le rétablissement de sanctions contre l’Iran. Bien qu’elles ne soient pas normalement soumises au droit américain, les entreprises européennes qui continuent de commercer avec Téhéran risquent des représailles. Pour s’en protéger, l’UE a mis en place plusieurs mesures… avec quel succès ?

Un match de boxe entre les Etats-Unis et l’Union européenne
Crédits : Zerbor / iStock

Qu’est-ce que le principe d’extraterritorialité des lois ?

En principe, la loi d’un pays s’applique seulement à l’intérieur de ses frontières. Mais dans certains cas spécifiques, un pays peut poursuivre des personnes ou des entités pour des faits commis hors de son territoire : c’est le principe d’extraterritorialité des lois. Il est souvent appliqué pour des raisons de sécurité nationale, si le crime ou le délit a une incidence sur le pays ou s’il concerne des ressortissants nationaux. Un ressortissant français ayant commis un crime de pédophilie à l’étranger peut ainsi être jugé devant un tribunal en France.

Pourquoi le cas des États-Unis est-il particulièrement controversé ?

De nombreux pays reprochent à Washington de sur-appliquer le principe d’extraterritorialité. En 2016, le rapport parlementaire français Lellouche-Berger le qualifiait même d’ “instrument de politique étrangère et de promotion des intérêts économiques américains” . En cause : les amendes records infligées à de nombreuses entreprises et banques européennes par les autorités américaines. La justice des États-Unis applique en effet une conception très large des personnes et entités qui peuvent être considérées comme “rattachées au territoire américain” , et qui sont donc susceptibles d’être poursuivies.

C’est ainsi qu’en 2014, la banque française BNP Paribas s’est vue contrainte de payer une amende de 8,974 milliards de dollars par la justice américaine. Elle était alors accusée d’avoir contourné les embargos américains sur Cuba, l’Iran, la Libye et le Soudan. La BNP étant une banque française, elle n’a en principe aucune obligation de respecter ces embargos. Mais elle a effectué des transactions en dollars avec ces pays… une condition suffisante, selon la justice américaine, pour être sanctionnée.

Toute opération en dollars doit en effet passer des “chambres de compensation” , qui sont en quelque sorte un intermédiaire entre les banques. Or ces chambres de compensation sont toutes situées sur le territoire des États-Unis. Puisque les transactions en dollars passent par des institutions américaines, elles doivent être conformes au droit américain, selon la jurisprudence du pays.

Les entreprises ayant des filiales ou étant cotées sur les marchés financiers américains sont également considérées comme “rattachées au territoire américain” et peuvent ainsi être sanctionnées de la même façon. Toute entreprise ayant un quelconque lien, plus ou moins important, avec la monnaie américaine peut donc se retrouver sous le coup de sanctions.

Une situation qui limite la souveraineté des pays touchés par les sanctions américaines. Les Etats-Unis “vont jusqu’à interdire au monde de commercer avec des pays” qu’ils décident de sanctionner, ce qui “pose un vrai problème en terme de droit international” , précise Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Iran.

Pourquoi le débat sur l’extraterritorialité des lois américaines refait-t-il surface ?

Pour comprendre, il faut remonter au 8 mai 2018, jour où le président américain Donald Trump annonce le désengagement des États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. L’accord avait été signé en 2015 par les pays du P5 + 1 (Les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU : États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni + l’Allemagne), par l’Iran ainsi que par l’Union européenne. L’Iran s’engageait à limiter sa production nucléaire à un usage civil pour 10 ans et renonçait donc temporairement à concevoir une bombe nucléaire. En contrepartie, les autres pays signataires de l’accord devaient lever progressivement les sanctions économiques qui frappent le pays depuis 1979.

En annonçant le retrait des États-Unis de l’accord, Donald Trump a également promis le rétablissement des sanctions américaines contre Téhéran. Parmi celles-ci figure notamment l’interdiction pour les entreprises ou les banques d’investir et de commercer avec l’Iran. Quant aux entreprises qui se trouvaient déjà engagées dans des contrats au sein du pays, elles avaient entre 90 et 180 jours pour s’en retirer.

Mais à cause du principe d’extraterritorialité des lois américaines, l’injonction ne concerne pas seulement les entreprises américaines : toutes les entreprises étrangères ayant des liens avec les États-Unis sont visées. Ainsi l’entreprise Airbus, qui possède un grand nombre d’usines sur le territoire américain, s’est vue contrainte d’annuler ses contrats iraniens d’une valeur de 18 milliards de dollars avec l’Iran : seuls trois avions ont été livrés alors que plusieurs centaines avaient été commandées.

Peugeot, Renault ou encore Daimler ont suspendu leurs activités en Iran. De son côté, Total a arrêté d’acheter du pétrole iranien et s’est retiré d’un grand projet gazier iranien, South Pars, pour lequel l’entreprise avait décroché un contrat de plusieurs milliards d’euros. Plus généralement, les relations commerciales entre l’UE-28 et l’Iran se sont écroulées depuis l’annonce américaine de se retirer de l’accord.

Quelle solution pour les banques et entreprises européennes ?

En réaction, l’Union européenne a dans un premier temps décidé de lancer la procédure d’activation de la loi dite “de blocage” pour contourner les sanctions américaines. A l’origine, le règlement avait été créé pour permettre aux entreprises européennes de contourner les embargos américains sur Cuba, la Libye et l’Iran.

Appliquée depuis le 6 août 2018 - fin du délai accordé aux entreprises pour se retirer de l’Iran - cette loi interdit aux entreprises européennes de se conformer aux prescriptions américaines, sous peine de sanctions de la part de l’UE. L’Union européenne peut également donner une indemnisation à toute entreprise affectée par les lois américaines.

Cette mesure a néanmoins un rôle bien plus symbolique qu’économique : elle n’a à ce jour jamais été appliquée, malgré le retrait des entreprises européennes en Iran.

Le 31 janvier 2019, l’UE a également annoncé la création d’Instex, un mécanisme qui permettrait à l’avenir aux entreprises européennes (hors secteur pétrolier) de commercer avec l’Iran en contournant l’embargo américain. Cet outil complexe, semblable à une chambre de compensation, est basé sur le principe du troc. Il doit donner la possibilité à une entreprise iranienne de vendre des produits à une entreprise européenne, en se voyant ensuite ouvrir un crédit qui pourra servir à acquérir des biens européens. Ainsi, aucune transaction n’est effectuée en dollars. Les transferts monétaires de l’argent crédité restant seront effectués en euros et sans passer par les banques.

La mise en œuvre de cet outil devrait toutefois prendre plusieurs mois et des discussions techniques sont en cours.

Le problème est-il toutefois réglé pour les entreprises européennes ?

Dans le cadre d’Instex, une entreprise pourrait reprendre son commerce avec l’Iran… mais demeurerait sujette à caution pour les Etats-Unis : si elle est “détenue par des actionnaires américains, a d’importantes relations avec des banques américaines, etc. toutes ces relations peuvent s’arrêter” , note Thierry Coville. Et bien entendu l’entreprise peut se voir appliquer une sanction financière.

Par ailleurs, Instex “vise surtout à permettre la fourniture de nourriture, de médicaments et d’aide humanitaire à Téhéran, et non à faciliter les transactions liées au pétrole particulièrement affectées par les sanctions américaines” , note Reuters.

En novembre 2018, le “représentant spécial” américain pour l’Iran au département d’Etat, Brian Hook, a clairement mis en garde les entreprises européennes. “Les banques et les entreprises européennes savent que nous appliquerons vigoureusement des sanctions contre ce régime brutal et violent” , avait-il déclaré. Les Etats-Unis ont par ailleurs créé un service chargé de vérifier la rupture des liens commerciaux avec l’Iran.

La volonté européenne de créer Instex montre qu’il y a une prise de conscience sur ce sujet, estime Thierry Coville. Pour autant, “il y a une difficulté des Européens à s’opposer aux Etats-Unis car un certain nombre de dossiers - les relations commerciales transatlantiques, le climat, etc. - sont également sur la table” . Sans compter les craintes d’un durcissement de la politique commerciale américaine.

Dès lors, et malgré la porte de sortie offerte par l’Union européenne à l’économie iranienne, la création d’Instex ne sera peut-être pas suffisante pour convaincre Téhéran de faire respecter l’accord sur le nucléaire.

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