L’allocution du président irlandais a été marquée par de nombreux appels au caractère profondément humain des dirigeants européens, et plus largement de l’ensemble des citoyens de l’UE. Il s’agit pour Mr Higgins de redonner une “âme à l’Europe”, pour reprendre l’expression de l’ancien président de la Commission européenne, M. Jacques Delors. M. Higgins a en effet tenu à rappeler aux dirigeants, et aux étudiants présents dans l’amphithéâtre, que le moment était venu de changer l’Union européenne : “nous sommes aujourd’hui à un moment de l’histoire de l’Europe qui nous oblige à tourner de nouveau du côté de la pensée critique” , “nous devons revoir nos présupposés passés et présents si nous souhaitons bâtir un avenir fondé, notamment, sur la justice entre les générations” . Le président irlandais a demandé aux dirigeants européens de bâtir une “citoyenneté qui soit ouverte, dotée d’une conscience sociale et culturelle, permettant de consolider des institutions respectueuses de l’équilibre des sociétés et des droits individuels” .
Une charge féroce contre la technocratie européenne
Les recommandations du président irlandais vont à rebours des “intérêts nationaux rivaux à courte vue” qui, selon lui, “versent dans une politique de peur et une rhétorique chauvine” . Ils alimentent de plus “un modèle économique international qui s’imposerait comme modèle hégémonique, un modèle fondé sur le mythe de marchés dérégulés” . Le président a notamment cité le philosophe Jürgen Habermas, qui considérait que les impératifs du marché ne devaient pas échapper à un regard critique. M. Higgins analyse également les causes de la “crise de légitimité” que traverse actuellement l’Union européenne, due selon lui à la non-remise en cause d’un système économique et politique devenu inévitable et quasi-naturel. Citant Edward Saïd, qui critiquait violemment les technocrates et experts politiques de tous bords, le président irlandais a appelé à sortir d’une Europe “qui privilégie la pensée technocratique, s’apparentant par bien des aspects à cette bureaucratie irrationnelle dont Max Weber prédisait l’avènement” .
Pour sauver l’Europe, il faut selon lui mettre en place un dialogue et un discours ouvert au plus grand nombre, et notamment aux citoyens ayant connu le statut de migrant et d’exilé, afin, dit-il, de “s’inspirer des intuitions théoriques, dépourvues du fardeau des possessions matérielles, qu’ils nous offrent” . Les “solutions technocratiques du passé” ne sont plus adaptées aux défis planétaires d’aujourd’hui, qui ne sont pas “seulement économiques” mais aussi “sociaux, politiques et culturels” . Contre la vision ultra-rationnelle des comportements humains, M. Higgins oppose une vision “qui conçoit la vie humaine comme une existence sociale commune permettant de partager ces récits qui constituent nos vies” .
Enfin, le président irlandais a appelé à re-légitimer les institutions européennes par une transformation profonde du processus de décision politique, en sortant de cette logique qui “cherche à déplacer les responsabilités qui doivent être celles des représentants élus, vers une technocratie ne rendant pas compte de ses actes ou vers les lois mystérieuses du marché” . Pour sortir d’une Europe “qui ne serait que spectacle stérile et parole morte” , il ne reste qu’une chose à faire pour le Mr Higgins : “rendre à notre vie son accent d’humanité, et aller vers une Europe des citoyens”.
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