Les négociations
La conférence intergouvernementale pour le Marché commun et l’Euratom s’ouvre en juin 1956 en Belgique. En dépit des désaccords, animés d’un profond désir d’approfondir la construction européenne, les Six accouchent au printemps suivant des Traités instituant la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique.
Les négociations de Val Duchesse
La conférence intergouvernementale pour le Marché commun et l’Euratom s’ouvre le 26 juin 1956. A partir de septembre, les travaux se déroulent au château de Val Duchesse, dans la banlieue de Bruxelles. Il s’agit de transformer en deux traités distincts les propositions formulées dans le rapport Spaak.
Sous l’autorité de Paul-Henri Spaak, deux groupes de travail sont constitués, l’un sur Euratom, l’autre sur le Marché commun. Un troisième est chargé de les assister dans la rédaction des articles. Des groupes spéciaux sont constitués pour résoudre les problèmes qui surgissent en cours de négociation. Des hauts fonctionnaires de la CECA - notamment le Français Pierre Uri - sont également impliqués dans les débats, où ils cherchent à dégager l’intérêt commun européen.
Château de Val Duchesse - Crédits : Communauté européenne
Les négociations commencent dans la difficulté. La France est arrivée avec une liste d’exigences exorbitante aux yeux de ses partenaires qui cherchent à faire tomber une à une les réserves françaises. Mais en dépit des désaccords, chacun est désireux de faire aboutir les négociations. Dans le confinement de Val Duchesse, s’instaure peu à peu entre les négociateurs un véritable esprit européen, qui facilite le compromis.
Les événements internationaux contribuent également à débloquer la situation. Le 4 novembre, l’intervention des troupes soviétiques à Budapest rappelle, après des années de relative détente, que la menace de l’URSS est toujours présente. Au même moment, la crise de Suez et l’échec de l’intervention franco-britannique entraînent une prise de conscience du déclin des nations européennes.
Tout pousse à un rapprochement des pays d’Europe occidentale. Les négociateurs de Val Duchesse en sont particulièrement conscients et, à partir de l’hiver 1956, les discussions s’en trouvent facilitées.
Emanuele Gazzo,
“Comment le Marché commun est né sous les lambris de Val Duchesse” ,
Communauté européenne (1967)
L’enjeu des négociations
Guy Mollet, président du Conseil français - Crédits : Conseil de l’Europe
La France est au centre des négociations de Val Duchesse. Si la délégation française est celle qui désire le plus la création d’Euratom, c’est aussi la plus réticente à la mise en œuvre du Marché commun.
Conscients que rien ne se fera sans la France, ses partenaires sont disposés à lui faire des concessions si au bout du compte elle accepte le principe du Marché commun. Jusqu’au bout, ils craignent de voir le Parlement français, qui vient de repousser la CED, n’accepter que le Traité Euratom et rejeter celui sur la Communauté économique européenne.
Si la France est particulièrement enthousiaste au sujet d’Euratom, c’est qu’elle dispose sur ses voisins d’une certaine avance en matière de nucléaire civil. Son but est de faire financer au niveau européen la recherche et l’investissement dans le domaine civil pour mieux se consacrer aux applications militaires de l’énergie atomique.
Paris, qui est sur le point de se doter de l’arme nucléaire, souhaite qu’Euratom ne soit pas un obstacle à son programme militaire. Ses partenaires se montrent réticents car ils aimeraient condamner le recours à l’arme atomique par les Six. Mais la France se montre inflexible.
Le projet de Marché commun est vivement soutenu par l’Allemagne et le Benelux dont les économies sont basées sur les exportations. Dans leur ensemble, les Français sont assez hostiles à la disparition des barrières douanières. Les milieux économiques, traditionnellement protectionnistes, redoutent la concurrence étrangère - même si leur attitude va s’infléchir au cours des négociations auxquelles le gouvernement les associe fortement.
Aussi les négociateurs français - qui sont pour la plupart plus favorables au Marché commun que l’opinion publique - formulent-ils des demandes censées garantir une libéralisation harmonieuse du commerce entre les Six : périodes de transition longues, tarif extérieur commun élevé, harmonisation en matière sociale et fiscale.
La France souhaite que le traité prenne en compte la question agricole. Elle veut également que soient associés ses territoires d’outre-mer avec lesquels elle veut continuer d’entretenir des relations commerciales privilégiées. Enfin, elle demande que les institutions des nouvelles organisations soient moins supranationales que celles de la CECA, qu’elles laissent davantage de pouvoir de décision aux Etats.
Ces demandes sont en grande partie exaucées et la France sort gagnante de ces négociations : elle a fait accepter à ses partenaires la création d’Euratom et obtenu suffisamment de garanties pour se lancer dans l’aventure du Marché commun. Alors qu’ils étaient au départ les plus réticents, les Français ont joué un rôle crucial dans la rédaction finale des traités. Mais au-delà de l’aspect national, les négociations de Val Duchesse sont avant tout un succès pour l’Europe.
La journée du 25 mars 1957
Après 9 mois de négociations, les représentants des Six se réunissent à Rome pour signer les deux nouveaux traités.
La cérémonie de signature des Traités instituant la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique est organisée de manière solennelle par les autorités italiennes, à Rome, ville chargée d’histoire. L’événement se déroule au Capitole, dans la salle des Horaces et des Curiaces, héros de l’histoire antique qui s’étaient entre-tués au cours d’un sanglant combat. Quel meilleur symbole pour la conclusion d’un acte qui scelle la réconciliation définitive entre les ennemis d’hier ?
Signature des Traités de Rome, 25 mars 1957 - Crédits : Parlement européen
Les représentants des gouvernements des Six se succèdent pour parapher les deux documents : Konrad Adenauer et Walter Hallstein pour l’Allemagne, Paul-Henri Spaak et Jean-Charles Snoy et d’Oppuers pour la Belgique, Christian Pineau et Maurice Faure pour la France, Antonio Segni et Gaetano Martino pour l’Italie, Joseph Bech et Lambert Schaus pour le Luxembourg, Joseph Luns et Johannes Linthorst Homan pour les Pays-Bas.
Une anecdote amusante : le jour de la signature, la mise en page définitive du texte n’est pas prête, si bien que ministres et chefs de délégation apposent leur signature sur un paquet de feuilles blanches ! Fort heureusement, au moment du scellage, qui marque l’adoption officielle des Traités, tout est rentré dans l’ordre.
La page des signatures du traité CEE, 25 mars 1957 - Crédits : Communauté européenne