Une politique de voisinage indépendante de l’élargissement ?
Les premières initiatives visant à intensifier les relations entre l’Union européenne et les Etats de son voisinage indépendamment d’une perspective d’adhésion remontent à 1995 avec ce qu’on a appelé le Processus de Barcelone. Douze pays du Sud de la Méditerranée concluent avec l’Union européenne un partenariat, “Euromed” , visant à renforcer les échanges politiques, économiques, culturels et sectoriels entre eux.
Dans le même esprit et à cette période, des accords de partenariat et de coopération sont progressivement signés avec les Etats limitrophes des futurs entrants. Mais c’est au début des années 2000 que le besoin d’une réelle politique cohérente de voisinage, harmonisant les rapports de l’UE avec ses voisins orientaux et méridionaux et les remettant à jour, se fait sentir.
De plus le paysage géopolitique a changé. L’Europe est sur le point de s’agrandir à l’Est, et ses nouvelles frontières la feront côtoyer un ensemble d’Etats dont le niveau de vie se situe nettement en-deçà du sien. Ces pays sont davantage concernés par des problèmes tels que la pauvreté et l’insécurité, les conflits larvés ou ouverts, les pénuries en ressources ou les failles de gouvernance. Tout cela est susceptible de créer une pression migratoire, d’alimenter le crime organisé, les courants extrémistes… Il est plus sécurisant pour l’UE d’être entourée d’Etats prospères, politiquement et socialement stables, avec lesquels elle peut faire du commerce ou conclure des accords (par exemple énergétiques). Il est donc dans l’intérêt partagé de l’UE et de ses voisins de mettre en place dans ces derniers des réformes améliorant les standards sociaux et économiques, assurant la protection des droits fondamentaux et promouvant une économie de marché.
Décision / Entourer l’Europe d’un cercle d’amis
En 2003, la Commission et le Conseil publient une communication intitulée “L’Europe élargie - Voisinage : un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud” qui préconise d’entourer l’Europe au Sud et à l’Est d’un cercle d’amis, en d’autres termes des “Etats gouvernés de façon responsable” .
C’est là qu’est introduit le terme de “politique européenne de voisinage” (PEV) : l’UE propose de se faire le moteur de réformes dans ces pays en offrant en contrepartie des aides financières, de l’expertise technique, des privilèges commerciaux, ainsi que la possibilité de s’associer à certaines de ses politiques.
L’idée est à la fois de créer un cadre commun pour les relations à l’Est et au Sud, mais également d’encourager les Etats à se réformer, sans pour autant leur proposer l’adhésion. En effet, les pays concernés n’ont pas vocation à intégrer l’Union européenne (bien que cette possibilité ne soit pas complètement exclue pour les Etats de l’Est).
Concrètement, cette politique va être proposée à treize (puis seize) pays situés dans les voisinages Sud et Est de l’Europe, et les négociations vont s’entamer dès 2004 avec chacun d’eux. En effet cette politique repose sur un principe “bilatéral” : des ambitions et exigences différenciées avec chaque partenaire.
Le Conseil européen de Thessalonique de juin 2003 approuve ces orientations et demande la préparation, à partir de 2004, de plans d’action pour tous les pays concernés, en commençant par l’Ukraine, la Moldavie et les partenaires du Sud de la Méditerranée ayant précédemment conclu des accords avec l’UE (Maroc, Tunisie, Jordanie, Israël et Autorité palestinienne).
Cette même année, la politique européenne de voisinage (PEV) est ouverte aux pays du Caucase du Sud (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie). En février 2005, des plans d’actions sont formellement adoptés par le Conseil des ministres avec l’Ukraine, la Moldavie, le Maroc, la Tunisie, la Jordanie, Israël et l’Autorité palestinienne. Les plans d’action avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie sont adoptés en novembre 2006.
Donner plus pour recevoir plus
Globalement la PEV bénéficie d’un assez large soutien de la part des Etats européens. Le fait qu’elle soit une alternative à l’élargissement suscite pourtant des débats. Pour certains c’est une bonne chose après l’arrivée simultanée de dix pays en 2004, éprouvante pour les institutions européennes. D’autres, notamment les nouveaux entrants, préféreraient proposer l’adhésion à leurs voisins plutôt que de se contenter de relations privilégiées. Du côté de ces derniers, c’est aussi le point litigieux, et certains (par exemple l’Ukraine) regrettent de se retrouver ainsi dans le “panier” d’Etats sans perspective d’adhésion.
D’autres au contraire sont plus frileux dans leur rapport à l’UE. Ainsi les réformes, pourtant facilitées par le fait qu’elles ne soient non pas imposées mais le fruit de négociations et compromis entre l’UE et chaque partenaire, vont se faire à des rythmes très variés. Certains Etats en font des priorités nationales, pour d’autres elles passent au second plan.
Afin de s’adapter à ces aspirations inégales, qui déjà avaient motivé une approche différenciée, c’est-à-dire bilatérale, avec chaque partenaire, l’UE imagine le principe du “donner plus pour recevoir plus” qui veut que plus les Etats font d’effort dans la conduite des réformes sur lesquelles ils se sont engagés, plus l’Union leur offre d’avantages en contrepartie (assistance financière, participation plus ou moins importante au marché commun, etc.).
Premiers bilans
En 2010 est publiée une communication qui analyse le chemin parcouru par la PEV et propose quelques ajustements. D’après la Commission, le démarrage a été très bon concernant les échanges commerciaux, qui sont passés de 63% à 91% en cinq ans. Des accords sur l’énergie ont été signés garantissant une meilleure sécurité énergétique pour l’Europe. La question des droits fondamentaux a progressé dans la plupart des pays et de nombreux visas Schengen ont été octroyés. Néanmoins, la crise mondiale commence à frapper les Etats et certaines mesures plus urgentes occultent les engagements vis-à-vis de l’UE.
Après la crise économique, un second évènement va être déterminant : la vague de réformes démocratiques dans le monde arabe, via des révolutions ou bien initiées par les gouvernements en place. Le rôle de l’UE est d’apporter son soutien sous forme de conseils et d’aides financières. Pourtant, dans certains Etats comme l’Egypte, l’issue reste incertaine.
Globalement, la démocratie et l’Etat de droit se renforcent à l’Est et au Sud, mais de façon très inégale et du chemin reste à parcourir. Par exemple, la situation s’améliore nettement en Moldavie, Géorgie et Arménie mais stagne voire régresse en Ukraine et surtout en Biélorussie.
La PEV réactualisée : plus politique ?
La “nouvelle PEV” qui débute en 2011 prévoit donc des aides accrues en échange de progrès démocratiques ou de réformes économiques. Parmi ces contreparties, davantage d’intégration économique, d’aide financière, d’aide à la mobilité des personnes, une meilleure coopération concernant certaines politiques sectorielles spécifiques, voire l’association à des missions de défense. La stratégie met aussi particulièrement l’accent sur un partenariat renforcé avec la société civile “élargie” : associations mais aussi étudiants, secteur éducatif, entreprises etc., dans la réalisation de projets communs.
Ainsi les différences continuent-elles à se creuser entre les pays partenaires, entre ceux disposés à faire des efforts et ceux qui stagnent. C’est un élément sur lequel les rapports insistent en détaillant les progrès et manquements de chacun, ce qui s’inscrit dans une certaine logique de politisation de la PEV, instaurant un genre de concurrence entre les Etats concernés. Par exemple, certains qui étaient jadis “favoris” (comme l’Ukraine) cèdent la place à d’autres (comme la Géorgie).
Le service européen d’action extérieure n’y est sans doute pas étranger : depuis sa mise en place en janvier 2011, celui-ci s’implique dans la PEV et en gère les aspects stratégiques, aux côtés de la Direction générale des Relations extérieures de la Commission européenne qui continue de s’occuper des aspects techniques. Ainsi des évènements politiques rentrent-ils en compte dans la conduite de la PEV et dans les relations avec chaque pays (voir exemple en encadré).
L’échec de la signature d’un accord d’association et de libre-échange entre l’Union européenne et l’Ukraine, en novembre 2013, ont eu pour conséquence la révolte d’une partie de la population ukrainienne et le renversement du gouvernement en place, ainsi que la réévaluation de la politique européenne de voisinage. Insuffisante pour convaincre le président Ianoukovitch de se tourner vers l’Europe plutôt que vers la Russie, la politique extérieure européenne a été largement critiquée. La signature d’un accord d’association avec l’Ukraine et la Moldavie en juin 2014 n’ont pas réglé tous les problèmes et la définition d’une nouvelle politique de voisinage est l’une des priorités de la commission Juncker (2014-2019).