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20 ans après la chute du Mur, un bilan géopolitique européen par Pierre Verluise

Pierre Verluise est le directeur du site géopolitique www.diploweb.com. Docteur en Géopolitique de l’Université Paris-Sorbonne, chercheur à l’IRIS, il intervient à Sciences Po et au Collège interarmées de défense. Spécialiste de la géopolitique de l’Europe, il revient pour Touteleurope.fr sur les incidences de la chute du Mur de Berlin et sur les mutations géopolitiques de l’UE ces vingt dernières années.

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Quelle a été la portée géopolitique de la chute du Mur ?


Sur ordre du dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, le mur de Berlin a été construit à compter du 13 août 1961 pour combler une brèche du rideau de fer en séparant la zone soviétique des zones occidentales de Berlin. L’objectif : mettre fin à une véritable hémorragie humaine d’Est en Ouest, de la République démocratique d’Allemagne vers la République fédérale d’Allemagne. Comme l’a rappelé le Professeur Jean-François Soulet : “De 1950 à 1961, 2 609 321 personnes parviennent à quitter la RDA pour se réfugier en RFA. Elles le font sans difficultés majeures car il suffit de prendre à Berlin le métro ou le chemin de fer pour passer la frontière. Sa principale brèche ayant été ainsi colmatée, la frontière entre les deux grands Blocs devient un obstacle redoutable. Il faut beaucoup de courage et, souvent, un vrai désespoir pour tenter désormais de la franchir.”

20 ans après la chute du Mur. L’Europe recomposée


Dans son dernier ouvrage, Pierre Verluise revient sur les conséquences de la Chute du mur sur la géopolitique de l’Europe et les relations franco-allemandes.

Le Mur, construit sur 43 kilomètres, est rapidement devenu le symbole de la division de l’Allemagne, de l’Europe et du monde en deux blocs : l’Est dominé par Moscou et l’Ouest sous la houlette de Washington. Il faut noter, cependant, que le Mur avait été précédé par le rideau de fer, frontière installée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest. Si les constructions du rideau de fer et du mur de Berlin débutent sur des calendriers très différents, leur chute se fait entre mai et décembre 1989.

La chute du Mur, le 9 novembre 1989, a une dimension stratégique majeure. Elle marque le début de la victoire de la stratégie américaine qui visait depuis le début des années 1980 à pousser l’Union soviétique à l’asphyxie au moyen de l’Initiative de défense stratégique (IDS) pour l’obliger à lâcher son emprise établie à la faveur de la fin de la Seconde Guerre mondiale sur les pays situés à ses frontières occidentales, dont la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, etc. Les Etats-Unis et l’Allemagne fédérale ont été les principaux acteurs de la réunification de l’Allemagne, ce qui n’empêche pas de se poser des questions sur d’éventuelles connivences de Moscou. Les pays Baltes gagnent à leur tour leur indépendance en 1990-1991 et l’implosion de l’URSS le 8 décembre 1991 ouvre le champ des possibles.

Enfin, la chute du Mur ouvre une interrogation : que faire des anciens satellites de l’URSS ? Ces pays d’Europe centrale et orientale restent suspendus dans un vide inconfortable durant quelques années, alors que le passage d’une économie planifiée ruinée à une économie de marché encore approximative se fait au prix d’une “transition” douloureuse. Ils sont progressivement intégrés à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord puis à l’Union européenne. Qui aurait imaginé au début des années 1980 que la Lituanie, la Pologne ou la Roumanie deviendrait un jour membre de l’UE et a fortiori de l’Otan ?


En 2009, au-delà de l’image d’un couple politique souvent moteur pour la construction européenne, quelles sont les relations entre Paris et Berlin ?


Avant même la chute du mur de Berlin, les relations entre la France et l’Allemagne fédérale ne sont pas aussi simples que les commémorations du traité de l’Elysée (22 janvier 1963) veulent le faire croire. En effet, le préambule ajouté par le Bundestag au traité de l’Elysée le coiffe d’un chapeau atlantiste et prend position en faveur de l’intégration du Royaume-Uni à la Communauté économique européenne. Ce qui contrarie considérablement le général de Gaulle.

“Paris manque d’enthousiasme à la perspective d’une réunification de l’Allemagne.”
Au lendemain du 9 novembre 1989, les relations franco-allemandes sortent-elles renforcées ? Au vu des faits, les relations franco-allemandes apparaissent, bien au contraire, fragilisées par leurs contradictions internes - notamment parce que Paris manque d’enthousiasme à la perspective d’une réunification de l’Allemagne. Ce qui laisse des traces dans les esprits allemands… qui ont trouvé à Washington le soutien nécessaire.

Lors du cinquième élargissement de l’UE (2004), les relations franco-allemandes semblent amoindries par la mutation géopolitique de l’après-guerre froide et les nouvelles marges de manœuvre qu’elle offre aux États-Unis, notamment via les nouveaux États membres d’Europe balte, centrale et orientale. En 2007, 21 des 27 membres de l’UE sont également membres de l’Otan. Ce qui conduit la France à revenir dans le commandement militaire intégré de l’Otan, en 2009. Entre temps, Berlin administre à Paris une leçon de savoir vivre communautaire en recadrant le projet électoral de Nicolas Sarkozy - l’Union méditerranéenne - au sein des politiques européennes, sous le nom d’Union pour la Méditerranée : processus de Barcelone. Certains évènements de l’actualité montrent que les relations franco-allemandes restent difficiles, d’autres démontrent à l’inverse une volonté de mettre en œuvre des synergies constructives.


Le couple franco-allemand a t-il un avenir ?

Alors que l’Union européenne se trouve face à des défis considérables, les relations franco-allemandes ont encore un avenir mais elles doivent devenir adultes. Tout d’abord, il importe de développer davantage un langage franc et ouvert. Il faut, ensuite, repenser les relations entre Paris et Berlin dans le cadre d’une UE élargie maintenant à 27 pays où les partisans d’un “directoire” franco-allemand se font rares. Il serait cependant préjudiciable de méconnaître les marges de manœuvres qui existent. La France - et l’Allemagne - doivent réaménager leurs relations de façon constructive pour l’Europe communautaire.

“Alors que l’Union européenne se trouve face à des défis considérables, les relations franco-allemande
s ont encore un avenir mais elles doivent devenir adultes.“C’est possible, comme l’a déjà démontré le travail fait en commun pour dénouer la crise institutionnelle et conduire au traité de Lisbonne, dont la ratification reste cependant à finaliser. Il importe de s’interdire de faire des déclarations tonitruantes finalement contre-productives. La priorité devrait être de mener un travail de contacts multiples - avec tous les pays membres quel que soit leur poids politique - pour optimiser les chances de trouver des points d’équilibre. Alors, une concertation entre Paris et Berlin pourra contribuer de façon significative à finaliser des projets à la hauteur des enjeux.

Cependant, ne nous illusionnons pas, en fonction des dossiers, les pays membres font chaque jour des alliances tactiques pour défendre au mieux ce qu’ils croient - à tort ou à raison - être leur intérêt … national. C’est le paradoxe de la construction communautaire : elle ne se serait jamais faite sans la volonté des Etats mais ceux-ci entendent garder nombre d’attributs majeurs.


L’UE 27, un projet américain ?

C’est une réalité historique peu mise en avant mais les Etats-Unis ont été dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale des acteurs clés de la construction de l’Europe communautaire, par personnes interposées et au moyen de divers programmes. D’une certaine manière, la Guerre froide a été un élément “facilitateur” de la construction communautaire puisque l’URSS incarnait une forme de menace commune contre laquelle il fallait se serrer les coudes.
“C’est une réalité historique peu mise en avant mais les Etats-Unis ont été dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale des acteurs clés de la construction
de l’Europe communautaire.”
A la fin des années 1990 et au début des années 2000, il est clair que ce sont les Etats-Unis qui imposent le calendrier de l’élargissement de l’Union européenne. Comment ? En décidant d’élargir l’Otan à de nombreux pays d’Europe centrale et orientale en 1999 et surtout en 2004, ce qui a contraint l’UE à essayer de suivre le rythme. Seules la Roumanie et la Bulgarie, déjà entrées dans l’Otan en 2004 ont été contraintes d’attendre encore pour intégrer l’UE parce que leur reprise de l’acquis communautaire était manifestement insuffisante. Dans une large mesure, l’Union européenne a donc eu à gérer l’ “intendance” de la victoire stratégique des Etats-Unis sur l’URSS, à travers les élargissements de 2004 et 2007. Précédemment, en 2003, le président G. W. Bush s’est “amusé” à diviser les pays membres et candidats à l’UE au sujet de sa stratégie en Irak. Cela a probablement nuit à l’Union européenne, mais cela a-t-il véritablement profité aux Etats-Unis ?

Après avoir gagné la Guerre froide (1947-1990), les Etats-Unis ont connu un moment unipolaire extraordinaire, sans adversaire à leur mesure. Ils ont eux-mêmes mis fin à ce moment stratégique en sur-réagissant aux attentats du 11 septembre 2001. Ils se retrouvent maintenant “embourbés” en Afghanistan et en Irak, sans parler de la crise économique. Les Européens ne peuvent s’en satisfaire parce que cela les concernent directement et indirectement, mais il leur faut réinventer leurs relations avec les Etats-Unis.


Le salut de la PESC et de la PESD viendra-t-il des nouveaux membres ?


Globalement, les pays d’Europe balte, centrale et orientale sont pro-atlantistes. Pourquoi ? Parce qu’ils pensent, non sans raison, devoir leur liberté retrouvée aux Etats-Unis. Pour eux, l’Otan représente une garantie immédiate et crédible de sécurité. Pour les militaires des anciens satellites de l’URSS, la machine otanienne est un “phantasme” extraordinaire. Tout cela contribue à expliquer le comportement des dirigeants de ces pays en 2003 lorsqu’ils ont manifesté leur soutien à l’argumentaire pourtant fragile de Washington au sujet de l’Irak. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts… et des soldats de ces pays sont revenus des engagements sur le terrain blessés ou dans des cercueils. Les opinions, parfois réticentes, sont devenues de plus en plus réservées pour ne pas dire hostiles. Par ailleurs, les subsides attendus de l’Otan pour l’installation de ses nouvelles bases n’ont pas été à la hauteur des attentes et ces pays ont été souvent obligés de financer ces infrastructures. Il y a également des déceptions sur les conditions d’obtention de visa pour les Etats-Unis. Résultat, les pays d’Europe balte, centrale et orientale peuvent parfois avoir maintenant une conception moins exclusive de leurs relations stratégiques.

“Globalement, les pays d’Europe balte, centrale et orientale sont pro-atlantistes. Pourquoi ? Parce qu’ils pensent, non sans raison, devoir leur libert
é retrouvée aux Etats-Unis.“Le 19 juillet 2009, lors d’une rencontre entre les ministres des Affaires étrangères polonais et français, Radoslaw Sikorski a remis à Bernard Kouchner un document informel présentant ses propositions pour renforcer la politique de défense de l’UE. Il s’agirait d’une douzaine d’idées allant de la création de nouvelles unités militaires à des projets d’infrastructure et industriels. On sait que les Polonais ont pour des raisons historiques une véritable préoccupation de défense, cela n’a donc rien d’étonnant. Pour autant, ces projets ne seraient très probablement pas en concurrence avec l’Otan, ce qui n’aurait d’ailleurs guère de sens pour Paris puisque la France est revenue en 2009 dans le commandement militaire intégré de l’Otan. Ce retour a justement pour objectif de lever les inhibitions antérieures des autres pays membres à l’égard de la PESD.

N’oublions pas qu’un an plus tôt le Livre blanc sur la défense écartait toute divergence en arrêtant la nouvelle doctrine française quant aux relations entre l’UE et l’Otan. “Il n’y a pas concurrence entre l’Otan et l’Union européenne, mais complémentarité : nous avons besoin des deux pour faire face aux menaces et aux crises.” Reste à inventer cette “complémentarité” . Dans ce contexte, le développement de la puissance de l’UE ne peut se réaliser qu’à l’intérieur d’une relation transatlantique rénovée. Toutes les contributions à une PESD plus convaincante seront donc les bienvenues. Il est légitime que les nouveaux pays membres fassent des propositions.


Après le marché intérieur, Schengen, l’Euro, quel pourrait être selon vous le prochain grand projet de l’UE ?


L’intégration de douze nouveaux États membres en 2004 et 2007 met l’Union européenne face à plusieurs défis géopolitiques. En interne, il s’agit d’abord de défis démographiques : vieillissement et dépopulation. Par ailleurs, après avoir intégré des pays relativement pauvres, l’économie européenne doit relever les défis de l’hétérogénéité et de la compétitivité. Sur le plan externe, les 5e et 6e élargissements modifient les relations de l’UE avec les États-Unis comme avec la Russie. Les pays d’Europe balte, centrale et orientale vivent des relations souvent plus conflictuelles avec la Russie.

Plus d’un demi siècle après la création de l’Europe communautaire, il existe encore un véritable déficit d’interconnaissance et un grand besoin d’inter-culturalité autour des questions européennes, aussi bien au niveau des institutions que des entreprises ou des citoyens. Il subsiste une tendance à conserver une perception exclusivement nationale - voire émotionnelle - d’enjeux qui sont maintenant également communautaires. Cela est vrai des questions intracommunautaires comme des enjeux extracommunautaires (frontières de l’UE, relation transatlantique, relations avec la Russie et la Chine, aide au développement…). Chacun ne peut que s’enrichir d’une interconnaissance porteuse d’une cohérence plus grande, aussi bien en interne qu’à la face du monde. Il est donc urgent de connaître les centres de recherche, les revues, les réseaux officiels et officieux des autres pays membres. Il devient vital de connaître les représentations, les craintes, les projets, voire les fantasmes de nos partenaires. Il importe tout autant d’être au clair avec les nôtres.
“Il devient urgent qu’une approche véritablement géopolitique, c’est-à-dire centrée sur la puissance, se développ
e pour défendre les intérêts légitimes de l’Union européenne à l’échelle planétaire.”
Comment définir des fins politiques et des stratégies efficaces pour une Union européenne réaliste et réalisable ? Il pourrait être utile de multiplier les approches transversales de problématiques européennes. L’étude des situations démographiques, des performances économiques, des contraintes politiques et stratégiques ne peut plus se limiter à l’échelle nationale. Il importe d’être capable de situer chaque pays membre dans le contexte communautaire, et plus globalement à l’échelle mondiale. Il devient urgent qu’une approche véritablement géopolitique, c’est-à-dire centrée sur la puissance, se développe pour défendre les intérêts légitimes de l’Union européenne à l’échelle planétaire.

Pourtant, les pays de l’Union européenne comme ses institutions ont trop tardé à construire une analyse géopolitique de l’Union européenne. Il existe des outils mais il manque encore les moyens financiers et humains pour répondre à cette question vitale : comment défendre au mieux les chances de l’Europe communautaire à l’échelle d’un monde globalisé ? Autrement dit, comment construire une Europe globale, à la fois capable d’assurer un développement conforme à ses valeurs aux échelles des régions, des pays membres et de l’UE mais aussi de défendre ses intérêts à l’échelle du continent eurasiatique et du monde ? Il aurait été pertinent se poser ces questions depuis longtemps mais cela n’a pas été fait. Il devient plus qu’urgent de se mettre au travail. Voilà un grand projet pour l’UE.

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