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  • Synthèse

Le brevet unitaire européen

Trente années (soit la plus longue période de négociations jamais connue au sein de l’Union européenne) auront été nécessaires pour le mettre sur pied. Le 19 février 2013, le Conseil de l’UE, dans sa formation Compétitivité, a officiellement signé la création du brevet unitaire européen (officiellement dénommé brevet européen à effet unitaire). Dès que l’accord aura été ratifié par 13 Etats membres dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, il s’imposera désormais à 25 Etats membres de l’UE. Seuls l’Espagne, l’Italie et la Croatie ont choisi de se tenir à l’écart. En effet, c’est principalement la question des langues qui a bloqué ces dernières années l’avancée du dossier, poussant la Commission européenne à privilégier la coopération renforcée.

Le brevet unitaire européen
Michel Barnier, ancien Commissaire européen au marché intérieur et aux services

Les origines du projet

C’est le 13 avril 2011 que la Commission européenne a enfin, après de longues années de consultation et de réflexion, présenté deux propositions législatives sur la mise en oeuvre d’un brevet unitaire européen. Il a été auparavant convenu que, l’entente à 27 étant à l’époque impossible sur ce dossier, il serait fait appel à la coopération renforcée, qui permet à un certain nombre d’Etats membres (neuf minimum) d’avancer sans attendre les autres.

Le système actuel de brevet européen repose sur la Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973, connue sous le nom de “Convention de Munich” . Même si la convention n’est pas liée à l’Union européenne, elle a néanmoins été signée par tous les pays membres de l’Union européenne en janvier 2008. Le brevet européen créé par la convention n’est pas un titre unitaire valable dans tous les pays signataires : il s’agit d’un groupe de brevets nationaux indépendants. Une demande de brevet unitaire dans une seule langue permet de bénéficier de la protection dans tous les pays contractants.

Ces propositions législatives ont été rédigées dans le cadre de l’Acte pour le marché unitaire, parmi douze ‘leviers’ qui visent, selon le commissaire français Michel Barnier, à l’origine de ce chantier, à apporter “une réponse cohérente aux insuffisances du marché intérieur, pour un modèle de croissance durable et inclusive” . Le brevet unitaire en est la troisième priorité, son objectif étant de “rendre l’innovation moins coûteuse et plus facile pour les entreprises et les inventeurs de toute l’Europe” selon le commissaire européen au Marché intérieur.

La Commission européenne est en effet partie du constat selon lequel le système actuel de brevet dans l’Union européenne est “très coûteux et très complexe, surtout dans la phase qui suit la délivrance du brevet, ce qui est généralement reconnu comme une entrave à l’innovation” .

Dans le système actuel, l’Office européen des brevets (OEB), membre de l’Organisation européenne des brevets, une structure intergouvernementale regroupant 39 pays (les 28 Etats membres de l’Union et 11 autres pays européens associés), est en charge de l’examen des demandes et de la délivrance les brevets européens, ces derniers étant soumis au respect de certaines conditions.

Or, pour qu’un brevet soit valable dans un Etat membre autre que le pays dont l’inventeur est ressortissant, ce dernier doit le faire valider dans chaque pays où il souhaite bénéficier d’une protection. Cette procédure entraîne des frais de traduction et des coûts administratifs pouvant atteindre environ 32 000 euros pour une validation dans les 28 Etats membres, dont 23 000 euros pour les seules traductions. Le coût d’une protection par brevet dans l’ensemble de l’Union européenne peut ainsi atteindre 36 000 euros, contre 1 850 euros en moyenne aux Etats-Unis.

De plus, jusqu’à présent, pour garantir la pérennité de la protection, l’inventeur doit s’acquitter de taxes dans chaque pays. De même, tout transfert du brevet ou contrat de licence en vue de l’exploitation de l’invention brevetée induit des coûts équivalents à ceux de la délivrance du brevet original.

Sur la base de ce constat, l’exécutif européen a décidé de faire avancer la mise en oeuvre du brevet unitaire européen, dont la définition ne date pas d’hier.

De l’idée à la mise en oeuvre : trente ans de négociations

L’idée du brevet communautaire remonte aux années 1960, mais c’est en 1973 que la convention de Munich instaure entre 20 Etats parties une procédure unique de délivrance des brevets européens.

Après l’échec de la Convention de Luxembourg de 1975, non ratifiée par plusieurs Etats, il faut ensuite attendre 1997 pour voir le processus de réflexion relancé. Le 25 juin de cette année-là est en effet publié un Livre vert sur la question, à l’initiative de Mario Monti, alors commissaire au Marché intérieur, et en accord avec Edith Cresson, la commissaire à la Recherche, l’Education et la Formation de l’époque.

Lors du lancement de ce Livre vert, Mario Monti note déjà que le “système de brevets dans l’Union est très complexe, coûteux et n’assure pas un titre unitaire dans les pays membres” . Ce Livre vert vise à lancer une vaste consultation pour déterminer quels sont les besoins réels en termes de protection et quelles initiatives nouvelles devraient être prises au niveau européen dans ce secteur.

Il pose en particulier la question de savoir s’il convient de modifier la convention de Luxembourg de 1975 sur le brevet communautaire et de la transformer en un instrument juridique communautaire pour que les entreprises et innovateurs puissent jouir d’un protection partout au sein du marché unique sur base d’une seule demande de brevet.

En 1999, après publication des résultats de cette consultation, la Commission présente sa première communication sur la création d’un brevet communautaire. La première proposition législative est présentée un an après, le 5 juillet 2000, par Frits Bolkestein, alors en charge du Marché intérieur, suite aux recommandations du Conseil européen de Lisbonne. Le projet de règlement est déposé au Conseil de l’Union européenne le 1er août 2000.

L’entrée en vigueur effective du système de brevet européen (appelé communautaire à l’époque) nécessite en effet l’adoption de ce règlement par le Conseil et, par la suite, des règlements d’application pertinents selon la procédure de “comitologie” . Dans le cadre de la mise en œuvre d’un brevet communautaire unique, la Commission présente également en décembre 2003 deux propositions de décisions visant à instituer une juridiction compétente en matière de brevet communautaire.

Coopération renforcée

Selon le traité de Lisbonne, la coopération renforcée permet à neuf pays ou plus d’avancer dans un domaine particulier en dernier ressort, si aucun accord ne peut être obtenu pour l’ensemble de l’Union européenne dans un délai raisonnable. Les autres États membres peuvent les rejoindre à tout moment avant ou après le lancement de la coopération renforcée.

Le dossier reste cependant bloqué de nombreuses années au Conseil, notamment du fait d’un désaccord profond entre les Etats membres sur la question linguistique. Le 14 décembre 2010, à la demande de 12 Etats membres, la Commission propose donc de lancer une coopération renforcée dans le domaine de la protection unitaire par brevet. Suite à cette décision, 13 autres Etats demandent à s’y joindre. Le Parlement européen donne son accord le 15 février et, le 10 mars 2011, le Conseil “Compétitivité” autorise le lancement d’une coopération renforcée avec la participation de 25 Etats membres.

Le 13 avril 2011, la Commission adopte les propositions de règlements sur les modalités de mise en œuvre de cette coopération.

Le projet de brevet unitaire européen repose sur trois textes législatifs distincts, élaborés via trois procédures différentes :

  • un règlement qui met en place un système de protection du brevet unitaire, soumis à la procédure législative ordinaire (codécision du Parlement et du Conseil ;
  • un règlement sur le régime de traduction des brevets européens entre dans le cadre de la procédure de consultation (le Parlement n’est que consulté);
  • un accord international conclu entre les Etats participants pour la création d’une juridiction unifiée en matière de brevet.

Les trois institutions (Commission, Parlement et Conseil) ont cependant négocié les trois textes ensemble. Après les votes du Parlement européen et du Conseil, les règlements relatifs à la mise en place d’une coopération renforcée et aux modalités de mise en oeuvre du brevet unitaire, notamment les questions de traduction, sont définitivement adoptés début décembre 2012.

L’accord international mettant sur pied la juridiction en matière de brevet unifié entrera en vigueur après sa ratification dans treize Etats contractants, à condition que le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne en fassent partie. Les deux autres volets, entrés en vigueur le 20 janvier 2013, ne seront applicables qu’à partir de la date de l’entrée en vigueur de l’accord international. Le 25 février 2014, la France a promulgué la loi autorisant la ratification de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet. La Commission européenne présentera un rapport sur la manière dont fonctionne le nouveau régime, trois ans après son entrée en vigueur.

Mise en oeuvre du brevet unitaire européen

La Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973, ou Convention de Munich, est un traité multilatéral instituant l’Organisation européenne des brevets (incluant l’Office européen des brevets et le conseil administratif) et instaurant un “brevet européen” . Il ne s’agit pas d’une Convention de l’Union européenne, mais les 28 Etats membres de l’Union ont signé la convention. D’autres pays sont également signataires. Le brevet européen créé par la convention n’est pas un titre unitaire valable dans tous les pays signataires : il s’agit d’un groupe de brevets nationaux indépendants. Une demande de brevet unique dans une seule langue permet de bénéficier de la protection dans tous les pays contractants.

L’Office européen des brevets (OEB), qui sera chargé de la délivrance du brevet unitaire, explique que ce brevet européen ne remplacera pas les brevets nationaux et européens existants mais sera une option supplémentaire pour les utilisateurs. Il sera délivré au titre de la Convention sur le brevet européen (voir encadré), et aura un effet unitaire sur le territoire des 25 Etats participants, à la demande du titulaire du brevet.

L’OEB assurera un certain nombre de tâches telles que l’administration des demandes des titulaires de brevets souhaitant obtenir un effet unitaire, la collecte, la gestion et la répartition des taxes annuelles afférentes aux brevets unitaires, ainsi que la tenue d’un registre des brevets unitaires qui contiendra des informations relatives à la situation juridique comme les licences, les transferts, la limitation, la révocation ou l’extinction.

En ce qui concerne les modalités de traduction du brevet unitaire, l’OEB précise qu’a été retenu son propre régime linguistique, à savoir trois langues officielles : l’allemand, l’anglais et le français. Le brevet unitaire permet à son titulaire de bénéficier d’une traduction automatique. Tant que le système de traduction automatique ne sera pas tout à fait opérationnel, le titulaire du brevet devra fournir une traduction intégrale du fascicule du brevet européen. Celle-ci sera fournie en anglais si la langue de la procédure devant l’OEB est l’allemand ou le français, ou dans une langue officielle d’un Etat membre de l’UE si la langue de la procédure est l’anglais. Le titulaire du brevet devra déposer cette traduction en même temps que sa demande pour bénéficier d’un brevet à effet unitaire. Pour les demandeurs qui ont leur domicile ou leur siège dans un Etat membre de l’UE n’ayant pas comme langue officielle l’une de ces trois langues, il est prévu un système de remboursement supplémentaire des coûts de traduction de leur demande dans la langue de la procédure devant l’OEB.

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