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Al Murray : miroir grossissant de la classe politique britannique

Les humoristes aiment s’inviter dans les campagnes électorales. Coluche s’est lancé dans les années 1980, l’Italien Beppe Grillo a espéré remplacer Berlusconi en 2013 et Jon Gnarr a été élu maire de la capitale islandaise en 2010. 2015 ne fera pas exception. Déçue par les deux principaux partis politiques, la Grande-Bretagne sort de ses schémas habituels et semble céder à la tentation du multipartisme. Un homme cristallise la défiance des citoyens britanniques à l’égard de la classe politique : Al Murray.

Al Murray

Un candidat plein de “bon sens”

Considéré comme l’un des humoristes les plus populaires de Grande-Bretagne, Al Murray a annoncé sa candidature en janvier, sous la neige. Avec son parti FUKP (dont le nom laisse songeur…), le comédien fera partie des listes électorales de la circonscription de South Thanet, dans le Kent, où l’on prédit déjà une victoire de Nigel Farage, leader du parti populiste et europhobe UKIP.Pour cette campagne, Murray endosse le rôle de l’un de ses personnages récurrents : un propriétaire de pub anglais patriote qui ne consomme que du ‘pur british’ et aimerait voir son pays regagner sa place de leader mondial, pour que la Grande-Bretagne “devienne une Géante-Bretagne” .

Chauve, rondouillard, vêtu d’une chemise à manches courtes et affublé d’une gourmette, il incarne l’Anglais moyen qui braille contre ces politiques “tous pourris” pour ensuite houspiller les Français et les Allemands en sirotant une bière.

Son logo représentant une livre sterling à l’envers (un pied de nez à l’emblème du parti europhobe UKIP), Murray est présenté comme le rival de Nigel Farage, cherchant à dénoncer sa politique populiste et xénophobe. Avec une pinte toujours à la main, son “bon sens” et son côté ‘bonne franquette’, Al Murray singe indéniablement le leader du parti europhobe. Mais pas seulement. En vérité, c’est toute la classe politique, sans exception, que l’humoriste britannique s’amuse à épingler. Chacune de ses interventions est l’occasion pour lui de dénoncer ces personnalités dont le discours, ponctués de termes techniques obscurs, ne fait qu’embrouiller les citoyens au lieu de les informer.
Son programme ? Il l’a griffonné au dos d’un paquet de cigarettes et n’est que “bon sens pour des personnes de bons sens”: “Produire plus de trucs, et les vendre. Construire plus de maisons pour que les gens qui produisent des trucs puissent vivre dedans. Enseigner plus de trucs à l’école. Des chiens gratuits pour tous !” Ses promesses ? Commencer par faire sortir la Grande-Bretagne de l’Union européenne, ce qui ne serait qu’un premier pas avant de l’extraire du système solaire en 2050. Une autre mesure phare de sa campagne est la nationalisation des pubs pour promettre ensuite une bière pour un penny.

Pourquoi les Britanniques se sont intéressés aux candidats atypiques, l’analyse d’Anne-Elisabeth Moutet, éditorialiste au Sunday Telegraph.

Freiner l’immigration ? Rien de plus simple que de bloquer le tunnel sous la Manche avec des briques anglaises, mais qui devront être assemblées par des ouvriers polonais…Pour lui, le problème du changement climatique est simple : il promet que dans les cinq prochaines années, la température du pays augmentera de cinq degrés, ce qui permettra alors de développer le tourisme au Royaume-Uni. Enfin, “puisque le chômage crée de l’insécurité, il faut mettre les chômeurs en prison !” Du bon sens, on vous a dit. En résumé, “au FUKP, nous ne prétendons pas avoir toutes les solutions… Ni même une seule. Mais nous promettons de sauver les pubs anglais, faire la guerre aux Allemands si ça les tente et brûler le Parlement pour récolter les assurances” .

Murray cabotine et s’amuse. Après le lancement de sa campagne électorale, c’est tout naturellement qu’il décide de visiter… un pub et une brasserie. Et pour clouer le bec à ses détracteurs qui affirment qu’il a été parachuté en politique, il annonce faire un saut en parachute pour atterrir en plein South Thanet. Un projet qu’il a pourtant dû abandonner, face aux caméras, en raison de son poids excessif. Al Murray pourrait facilement passer pour le bouffon du roi, mais ce n’est pas la répartie qui lui manque : après cette déconfiture publique, il a déclaré être “une nouvelle victime tragique de l’épidémie d’obésité qui fait rage dans le pays” .

Un comique engagé

Se faire élire et entrer à Westminster n’est sûrement pas le but du comique et d’ailleurs, son adversaire, Nigel Farage, ne semble pas s’inquiéter de cette candidature. Il a même accueilli la nouvelle avec humour, tâchant de garder bonne figure en publiant un court tweet : “Plus on est de fous, plus on rit !

Si Murray est célèbre depuis des années dans tout le pays pour ses sketches et son talent pour le stand up, il n’était pourtant pas prédestiné à jouer les trublions sur les écrans de télévision. Né en 1968, il est issu de sang noble et descend de William Mackepeace Thackeray, auteur des Mémoires de Barry Lyndon. Enfant, il fréquente la très chic Bedford School et poursuit ses études à la prestigieuse université d’Oxford où il se spécialise en histoire moderne.

Ce que les Britanniques attendent des candidats lors d’une campagne électorale, les explications d’Anne-Elisabeth Moutet, éditorialiste au Sunday Telegraph.

Loin de son alter-ego patron de pub, Al Murray a par ailleurs réalisé un documentaire pour la BBC consacré à la culture allemande. Méconnaissable, il se met en scène en tant que… lui-même, à la découverte de l’Allemagne.

Tout cela dénote un parcours atypique dans le milieu du spectacle qui donne une saveur particulière à cette imposture politique. Son éducation d’élite a acéré son regard sur l’univers de la politique et lui permet d’en faire une critique d’autant plus juste. La satire ne s’improvise pas, seuls les esprits fins en sont capables. Murray est un homme cultivé, sensible et son goût pour la politique est indéniable. Car lorsqu’il s’agit de se moquer des responsables politiques, Murray n’en est pas à son coup d’essai. Ses récents spectacles comportent de nombreuses critiques contre le système totalement ankylosé du Royaume-Uni.
Il reprend les tics des politiciens en remerciant chaque journaliste par : “Je suis ravi que vous me posiez cette question” pour mieux mettre les hommes politiques face à leurs propres défauts et espère certainement ouvrir les yeux à bon nombre de Britanniques tout en les faisant rire.
Al Murray dénonce par l’absurde le déploiement de démagogie qui semble avoir gangréné de nombreuses formations politiques. Son personnage le clame haut et fort : il fait “partie d’une nouvelle sorte de politique, celle qui donne aux électeurs exactement ce qu’ils veulent, même si cela est dangereux ou stupide” . Le ton est donné.

Sa candidature n’est pourtant pas du goût de tout le monde. Des habitants de South Thanet, qui prennent les élections très au sérieux, voient cette mascarade comme une injure à leur circonscription et une campagne promotionnelle de mauvais goût pour sa tournée à venir.
Mais Al Murray a-t-il vraiment besoin d’un coup publicitaire, lui qui enchaîne les tournées dans de nombreux pays anglophones et est devenu une icône de l’humour à l’anglaise ?

Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE

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