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  • Synthèse

Le projet d’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS)

Parmi les principales possibilités d’harmonisation fiscale en Europe figure celle de l’impôt sur les sociétés. Projet étudié depuis plusieurs années, il s’agirait de mettre en place une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS). L’objectif : lutter contre les entraves fiscales auxquelles se heurtent les entreprises présentes dans plus d’un Etat membre et contribuer à lutter contre l’optimisation fiscale des entreprises. Pour que l’ACCIS entre en vigueur, l’unanimité est néanmoins requise au sein des Etats membres, rendant son issue incertaine.

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Les objectifs de la directive ACCIS

L’objectif est de réduire considérablement la charge administrative, les coûts de mise en conformité et les incertitudes juridiques auxquels les entreprises de l’Union doivent actuellement faire face pour se conformer aux 28 régimes nationaux lors de l’établissement de leur bénéfice imposable.

L’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) permettrait aux entreprises de recourir à un système de guichet unique pour remplir leurs déclarations fiscales et de consolider (agréger) les profits et les pertes qu’elles enregistrent dans toute l’Union.

Avec l’ACCIS, il sera plus facile, plus économique et plus pratique pour les entreprises de mener leurs activités dans l’Union” , estimait ainsi, en 2011, Algirdas Šemeta, alors commissaire européen à la Fiscalité.

En outre, à ces objectifs initiaux s’ajoutent désormais des considérations liées à la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales. En effet, certains Etats membres ont permis à de grandes entreprises, par le biais de rescrits fiscaux (tax rulings), de centraliser leurs bénéfices imposables chez eux et ainsi de se soustraire à une grande partie de l’impôt sur les sociétés dans les autres pays européens. L’ACCIS pourrait permettre de corriger cette concurrence fiscale déloyale. Comme l’a expliqué Pierre Moscovici, actuel commissaire européen en charge des questions fiscales, avec “une seule définition des bénéfices imposables des entreprises” et “une seule déclaration de revenus” , les profits des entreprises pourront être “équitablement partagés entre les Etats membres dans lesquels l’entreprise est active et ils seront taxés au taux national” .

Approfondir le marché unique

En matière d’impôt sur les sociétés, le marché unique n’a pas levé tous les obstacles à l’activité des entreprises. Les entreprises transfrontalières doivent en effet s’accommoder de 28 régimes différents pour le calcul de l’assiette imposable et de 28 administrations fiscales différentes.

En conséquence, les grandes entreprises doivent supporter des coûts considérables et faire face à des mécanismes très complexes, tandis que les petites et moyennes entreprises sont parfois purement et simplement dissuadées de se développer sur le marché de l’Union.

A ces différents facteurs s’ajoute une autre difficulté. Les entreprises doivent faire face à un système extrêmement complexe pour déterminer comment les transactions intragroupe doivent être imposées (prix de transfert). De plus, elles ne sont pas en mesure de compenser leurs déficits dans un Etat membre avec les bénéfices engrangés dans un autre : la consolidation pourrait y remédier.

Selon la Commission européenne, l’ACCIS permettrait aux entreprises de l’Union d’économiser 700 millions euros chaque année pour ce qui est des coûts de mise en conformité, et 1,3 milliard d’euros grâce à la consolidation.

Autre avantage important : les Etats membres conserveraient intégralement leur droit souverain en matière de fixation du taux de l’impôt sur les sociétés.

De plus, les entreprises souhaitant se développer hors des frontières nationales bénéficieront d’une économie de l’ordre de 1 milliard d’euros. L’ACCIS ferait en outre de l’Union un marché beaucoup plus attrayant pour les investisseurs étrangers.

Chronologie :

- 2001 et 2003 : communications de la Commission en faveur de l’ACCIS
- 2004-2010 : travaux du groupe de travail de la Commission sur l’ACCIS
- 26 mai 2004 : Nicolas Sarkozy, alors ministre des Finances, se propose en faveur de l’ACCIS
- 16 mars 2011 : première proposition de directive sur l’ACCIS
- 17 juin 2015 : plan d’action de la Commission sur un système d’imposition juste en Europe
- 25 octobre 2016 : nouvelle proposition d’une directive sur l’ACCIS
- 15 mars 2018 : le Parlement européen vote en faveur du projet d’ACCIS
- 21 mars 2018 : proposition de la Commission européenne d’une taxe spécifique aux entreprises du numérique

L’ACCIS pour lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscales ?

Le projet ACCIS, depuis sa formulation en 2011, tarde toutefois à se concrétiser. L’initiative n’a en effet été relancée qu’en 2015, sous la houlette de Jean-Claude Juncker et de Pierre Moscovici, respectivement président de la Commission et commissaire européen à l’Economie depuis novembre 2014, dans le cadre du Plan d’action pour une fiscalité équitable et efficace.

Cette décision s’inscrit dans le contexte du scandale LuxLeaks, révélé en novembre 2014, mettant en évidence les accords passés entre de nombreuses multinationales et certains Etats membres de l’Union européenne, dont le Luxembourg, afin de limiter considérablement le montant de leur imposition.

Personnellement impliqué, M. Juncker, Premier ministre luxembourgeois de 1995 à 2013, a ainsi réagi en faveur d’une plus grande intégration fiscale en Europe afin de lutter contre ce phénomène d’optimisation fiscale mettant les Etats membres en concurrence. De cette manière, l’ACCIS “pourrait constituer un instrument puissant pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises en supprimant les disparités entre les systèmes nationaux et en établissant des dispositions communes en matière de lutte contre l’évasion fiscale” , peut-on lire sur le site de la Commission européenne.

Les révélations relatives aux scandales des Panama Papers (2016) et des Paradise Papers (2017) n’ont fait que renforcer le regain d’intérêt pour l’ACCIS. En octobre 2016, la Commission européenne relance officiellement le projet d’ACCIS. Pierre Moscovici en a fait un axe de travail prioritaire et a déclaré que son mandat de commissaire, qui s’achève en 2019, ne pourrait être considéré comme satisfaisant si le projet n’aboutit pas.

Prochaines étapes

En mars 2018, le Parlement européen a largement approuvé deux textes, le premier portant sur la création d’une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés et le second concernant la consolidation de cette taxe. Ces deux votes n’ont toutefois pas de caractère contraignant, dans la mesure où ce sont les Etats membres qui demeurent décisionnaires en matière de fiscalité dans l’UE. Proches de la position de la Commission européenne, les eurodéputés ont ainsi tenu à envoyer un signal politique aux gouvernements européens.

Or l’adoption formelle de l’ACCIS par les Etats n’est à ce stade pas assurée. Ce projet touche en effet à un élément incontournable de souveraineté et certains pays devraient à cet égard être réticent à y renoncer. C’est particulièrement le cas des Etats où l’imposition des sociétés est la plus faible et qui ont mis en œuvre des mesures visant à justement attirer les multinationales et leurs profits sur leurs sols. C’est le cas de pays comme l’Irlande ou les Pays-Bas, pour n’en citer que deux. Obtenir l’unanimité ne sera donc pas chose aisée. Si cela devait se révéler impossible, passer à un vote à la majorité qualifiée est possible, via l’activation de l’article 116 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, mais celui-ci nécessite également… l’unanimité. Par ailleurs, recourir à une coopération renforcée est également une piste évoquée en cas de blocage de certaines capitales. Enfin, certains responsables politiques, comme l’écologiste Eva Joly, proposent de considérer l’ACCIS comme un sujet de concurrence, et non pas de fiscalité, car il s’agit d’un domaine où les décisions ne se prennent pas à l’unanimité, mais à la majorité.

De plus, la volonté de certains pays, à commencer par la France, de constituer une taxe spécifique à l’activité des entreprises du numérique - et spécifiquement des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) - pourrait venir concurrencer le projet d’ACCIS. Une proposition de taxe réservée aux entreprises du numérique a ainsi été présentée le 21 mars 2018 par la Commission européenne. Cette dernière, à l’instar du Parlement européen, serait toutefois davantage favorable à imposer ce secteur dans le cadre de l’ACCIS. Pour cela, un critère de “présence numérique” est envisagé : elle serait calculée par la comptabilisation de la collecte et de l’usage des données personnelles des utilisateurs.

Notons enfin que le projet d’ACCIS s’inscrit dans le contexte plus large d’un possible accroissement de l’intégration économique européenne dans son ensemble. De fait, la prolongation de la crise grecque et la stagnation économique dans de nombreux pays européens conduisent depuis plusieurs mois certains dirigeants, dont les présidents français François Hollande et Emmanuel Macron, à plaider en faveur d’une plus grande intégration économique. La création d’un gouvernement de la zone euro ou encore l’accroissement du budget européen, par le biais de ressources propres potentiellement issues d’une mise en commun de l’impôt sur les sociétés, sont ainsi actuellement débattus au niveau européen.

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