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Unanimité ou majorité : comment l’Union européenne adopte-t-elle ses décisions ?

Le nombre de voix nécessaires pour approuver un texte ou une nomination au sein de l’Union européenne n’est pas le même selon le sujet ou l’institution. Entre consensus et majorités simple, qualifiée, inversée ou encore renforcée, voici l’essentiel pour s’y retrouver.

Au Conseil européen, les décisions sont prises par consensus, sauf dans de rares cas précisés dans les traités
Au Conseil européen, les décisions sont prises par consensus, sauf dans de rares cas précisés dans les traités - Crédits : Conseil de l’UE

L’unanimité

Une décision est prise à l’unanimité lorsqu’aucun membre de l’assemblée ne s’y oppose. La règle de l’unanimité offre donc un droit de veto à chacune des parties prenantes d’un vote puisqu’il suffit d’une seule voix contre pour invalider la décision. En revanche, une abstention n’empêche pas l’adoption d’une décision.

Au sein des institutions européennes, le principe de l’unanimité est appliqué notamment par le Conseil européen, où siègent les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE. Le droit de véto dont dispose chacun entraîne parfois des blocages, mais la construction de compromis reste l’objectif visé par l’institution. Quitte à prendre le temps nécessaire : le Conseil européen de juillet 2020, qui a permis l’adoption du budget pluriannuel 2021-2027 et du plan de relance européen, a par exemple duré quatre jours et quatre nuits, un record. 

Le principe qui prévaut dans le cas de l’UE est le principe de l’égalité entre les Etats, quel que soit le poids politique ou économique de ces Etats. Ce principe vise à empêcher le retour au rapport de force qui a dominé les relations intra-européennes auparavant”, analyse ainsi Jean-Luc Sauron, professeur à l’Université Paris Dauphine.

Dans certains rares cas prévus par les traités, les chefs d’Etat et de gouvernement votent à la majorité qualifiée ou à la majorité simple (voir plus bas).

A ce propos, certains Etats se prononcent en faveur d’une remise en question de la règle de l’unanimité. Le 9 mai 2022, à l’occasion de la Journée de l’Europe et de la remise officielle des conclusions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, le président français Emmanuel Macron s’est ainsi dit favorable à une généralisation du vote à la majorité qualifiée dans les principales prises de décisions européennes. Une proposition qui nécessite une révision des traités. Mais les négociations pour aboutir à une telle modification risquent d’être complexes. En effet, 13 Etats membres sur les 27 ont déjà cosigné un texte s’opposant à une telle réforme. 

Le Conseil de l’UE, qui réunit les ministres des Etats membres par thématiques, peut lui aussi prendre des décisions à l’unanimité dans le cadre des procédures législatives spéciales (PLS). Celles-ci s’appliquent généralement à des domaines “que les Etats membres considèrent comme sensibles” car particulièrement liés à l’exercice de la souveraineté nationale. 

Le nombre de domaines pour lesquels l’unanimité est requise s’est réduit au fur et à mesure des changements de traités. Il s’agit désormais des questions :

  • de politique étrangère et de défense (politique étrangère et de sécurité commune) ;
  • relatives à la justice et aux affaires intérieures (coopération policière et judiciaire en matière pénale, procureur européen) ;
  • de fiscalité et d’harmonisation des législations nationales en la matière ;
  • liées à l’adhésion à l’UE (élargissement) ;
  • budgétaires, avec la définition du budget pluriannuel de l’UE (cadre financier pluriannuel) et l’existence de ressources financières propres à l’Union ;
  • de politique sociale, avec l’harmonisation des législations nationales dans le domaine de la sécurité sociale et de la protection sociale ;
  • de citoyenneté (sur les droits accordés aux citoyens européens) ;
  • ainsi que des modifications apportées aux traités.

La majorité qualifiée

Pour la plupart des sujets couverts par la procédure législative ordinaire, le Conseil de l’UE statue à la majorité qualifiée. Celle-ci est atteinte lorsque deux conditions sont remplies : 55 % des Etats membres (soit 15 sur 27), qui représentent au moins 65 % de la population européenne. On parle parfois d’un système de “double majorité” dans la mesure où il doit assurer la représentation des gouvernements des Etats membres mais aussi des citoyens.

Durant cette procédure, chaque Etat membre dispose d’une seule voix et l’abstention compte cette fois comme un vote contre. Il s’agit du mode de vote le plus fréquent au Conseil : 80 % des actes législatifs de l’UE y sont adoptés avec cette procédure.

L’Acte unique européen (1986) a introduit le passage à la majorité qualifiée pour une grande partie des décisions liées au marché intérieur. Le champ d’application de la majorité qualifiée s’est étendu au fil des nouveaux traités ratifiés, jusqu’à concerner 85 domaines aujourd’hui, de l’agriculture aux transports en passant par l’environnement ou le numérique. 

Dans les faits, le Conseil prend généralement ses décisions “sur la base d’échanges bilatéraux avec les représentants nationaux et sans les faire voter formellement en séance plénière”, explique Stéphanie Novak, chercheuse à l’Institut Jacques Delors. Des discussions préparatoires évitent ainsi à un Etat de se retrouver isolé au moment de la prise de décision formelle. 

Exception notable : l’adoption, en 2015, de la répartition des réfugiés par quotas entre pays de l’Union. Malgré l’opposition de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie et de la Roumanie, la mesure a été adoptée avec une majorité suffisamment large lors du Conseil des ministres du 23 septembre 2015. Conséquence : leur application s’est révélée être un “fiasco” pour Luuk van Middelaar, membre du cabinet du président du Conseil européen de l’époque. “Au bout de 3 mois, sur les 160 000 demandeurs d’asiles, seuls quelques centaines avaient été répartis et à peine 5 % après plus d’un an”, écrit-il dans son ouvrage “Quand l’Europe improvise” (2018).

A l’inverse, le système de la majorité qualifiée permet in fine une certaine forme de consensus. “La majorité qualifiée fonctionne parce qu’en négociation il y a 30-40 textes à la fois. Les 27 priorités nationales s’affrontent en marchandant un accord sur un texte en échange d’une avancée sur un autre. C’est une machine à fabriquer du compromis, qui serait impossible avec un seul texte en négociation”, explique Jean-Luc Sauron. 

La minorité de blocage

Pour s’opposer à un texte en discussion au Conseil de l’UE, la “minorité de blocage” doit représenter plus de 35 % de la population européenne. Les Etats faiblement peuplés ne peuvent donc pas rejeter une disposition si leur nombre est inférieur à treize.

A l’inverse, les pays les plus peuplés (France, Allemagne…) ne peuvent pas non plus bloquer une décision à eux seuls : un seuil minimum de quatre Etats membres doit également être respecté pour s’opposer à un texte. 

Le Conseil européen se prononce aussi à la majorité qualifiée dans le cadre de certaines nominations (présidents du Conseil européen et de la Commission européenne, haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, membres du directoire de la Banque centrale européenne…) et pour établir la liste des formations du Conseil et de leurs présidences. 

La majorité qualifiée inversée

Dans certains cas particuliers, un Etat ne peut s’opposer à une décision de la Commission (notamment une sanction) que s’il réunit une majorité qualifiée d’Etats au Conseil pour voter cette fois… contre. Parfois désignée sous le terme de “majorité qualifiée inversée”, celle-ci s’applique principalement dans le cadre des sanctions pour non-respect des règles budgétaires définies dans le Pacte de stabilité et de croissance.

La majorité qualifiée renforcée

Pour quelques sujets d’exceptions, le Conseil et le Conseil européen peuvent avoir à se prononcer à la majorité qualifiée renforcée. Pour l’atteindre, 72 % des Etats représentant au moins 65 % de la population européenne doivent voter en faveur du texte.

Le Conseil est amené à utiliser la majorité qualifiée renforcée sur l’application de la clause de retrait d’un pays de l’UE (article 50 du TUE), utilisée lors du Brexit. Ainsi que sur un texte de sa propre initiative (qui ne vient pas de la Commission ou du haut représentant aux Affaires extérieures).

La majorité simple

Une décision est prise à la majorité simple dès lors que plus de la moitié des participants au vote s’exprime en sa faveur (sans compter les absents). 

Ce mode de décision est utilisé au Conseil de l’UE pour des questions de procédure, comme l’adoption de son règlement intérieur. Dans ce cas, la majorité simple est atteinte si au moins 14 des 27 membres du Conseil votent en faveur d’un texte, quelle que soit leur population. La majorité simple peut également s’avérer suffisante si le Conseil décide d’inviter la Commission à réaliser des études ou présenter des propositions de directives ou de règlement. 

Quant à la Commission, elle adopte ses textes à la majorité simple lors de la réunion du collège des Commissaires, en principe chaque mercredi. Le Conseil européen peut également recourir à la majorité simple dans certains cas exceptionnels visant à modifier les traités européens.

Sur le plan législatif, le Parlement européen se prononce à la majorité simple sur les 85 sujets pour lesquels il est co-législateur avec le Conseil dans le cadre de la procédure législative ordinaire.

Plus précisément, les eurodéputés votent à la majorité simple lorsque le texte est en première lecture (si au moins un tiers des députés sont présents en séance pour respecter le quorum), lors des sessions plénières à Strasbourg. Le site du Parlement européen précise ainsi que “les députés votent le plus souvent à main levée, le président de séance constatant les majorités. En cas d’incertitude, le président demande un scrutin électronique pour obtenir des résultats plus précis”. Cela signifie donc que si les eurodéputés ne sont que 300 à siéger (et donc plus d’un tiers, car ils sont 705 au total), un texte peut être adopté s’il est voté par 151 députés. C’est le principe de la majorité simple, à distinguer de la majorité absolue.

En tant que partie prenante du processus législatif, le Conseil peut également adopter une position différente de celle du Parlement. Le cas échéant, le texte revient en deuxième lecture et les parlementaires doivent alors se prononcer à la majorité absolue (soit 353 voix sur 705). Si une troisième lecture est nécessaire, les deux colégislateurs (Parlement et Conseil) se réunissent dans le cadre d’un comité de conciliation pour parvenir à une position commune qui devra ensuite être confirmée par les deux institutions. Dans le même temps (et à tout moment de la procédure) des discussions tripartites (trilogues) entre les négociateurs du Parlement, du Conseil et de la Commission ont lieu, afin de parvenir à un accord informel, ensuite confirmé dans les deux institutions.

Majorité simple et majorité absolue

On parle de majorité simple lorsque plus de la moitié des personnes présentes au vote s’expriment en faveur d’un texte. Il faut en général qu’au moins un tiers de l’assemblée soit présente pour que le vote puisse avoir lieu. La majorité absolue, elle, requiert l’approbation de plus de la moitié des membres de l’assemblée, qu’ils soient présents ou non au moment du vote.

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1 commentaire

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    marie-josèphe huet-schmeltzer

    merci à vous mais comment améliorer les traités sur des sujets essentiels alors qu’ils sont bloqués par la règle de l’unanimité en matière du droit d’asile, de la fiscalité et des sanctions d’un Etat membre comme la Pologne, la Hongrie..