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Yannick Jadot - Accord de libre-échange UE-USA : “il existe des risques très lourds pour l’Europe dans cette négociation”

Lancées en 2013, les négociations entre les Etats-Unis et l’Union européenne sont en cours pour la conclusion d’un accord transatlantique de commerce et d’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership). Alors que le quatrième round des négociations s’ouvrira le 17 mars prochain, et que François Hollande est en visite à Washington, les tensions se font de plus en plus grandes autour de l’accord de libre-échange “TTIP”. Yannick Jadot, eurodéputé des Verts/ALE et vice-président de la commission du commerce international au Parlement européen revient sur l’état des négociations.

Accord de libre-échange UE Etats-Unis Yannick Jadot

Touteleurope.eu : Dans une tribune publiée le 10 février 2014 Le Monde et le Washington Post, François Hollande et Barack Obama se sont dit prêts à faire “franchir un nouveau cap” à l’alliance franco-américaine en s’engageant notamment à faire aboutir le projet d’un accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis. Est-ce un signal fort vers la conclusion de cet accord ?

Yannick Jadot : C’est un signal mais qui omet très clairement de mentionner toutes les difficultés et tous les risques de cette négociation. Il ne suffit pas simplement de dire “c’est bien pour l’Europe” , “c’est bien pour les Etats-Unis” , “ça va créer de la croissance et ça va créer des emplois” . Premièrement, nous savons que le plus souvent ces traités de libre-échange ne donnent pas les résultats qui ont été annoncés. Et deuxièmement, il existe des risques très lourds pour l’Europe dans cette négociation. C’est, pour ma part, ce que j’essaye en permanence de rappeler au Parlement européen comme au niveau français sur le fait que la France n’aurait pas dû s’embarquer ou embarquer l’Europe dans cette galère.

Dates clés

Novembre 2014 : Date prévue de conclusion du TTIP

10-14 mars 2014 : Quatrième round de négociations à Bruxelles

16-20 décembre 2013 : Troisième round de négociations à Washington

11-15 novembre 2013 : Deuxième round de négociations à Bruxelles

Juillet 2013 : Premier round de négociations à Washington

17 juin 2013 : G8 en Irlande du nord

14 juin 2013 : le Conseil approuve le mandat de la Commission pour mener les négociations


Touteleurope.eu : Catherine Ashton se rendra également cette semaine à Washington. Du côté européen, espère-t-on des avancées sur le dossier TTIP d’ici lundi ?

Yannick Jadot : Je ne crois pas. Ce serait bien que Mme Ashton défende davantage la diplomatie européenne qui a été insultée par la sous-secrétaire d’Etat américaine pour l’Europe Victoria Nuland, mais le voyage de Madame Ashton, je pense, concerne essentiellement à la fois le dossier syrien et les dossiers de politique étrangère. C’est davantage la rencontre du commissaire Karel De Gucht avec son homologue américain Michael Froman qui va faire un état des lieux de cette négociation. J’espère que le commissaire européen entendra la mobilisation croissante de la société civile européenne de plus en plus forte vis-à-vis des négociations et qu’il calmera le rythme des négociations au lieu de les accélérer.


Touteleurope.eu : Le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, rencontrera en effet le secrétaire d’Etat américain au commerce, Michael Froman le 17 février prochain. Selon Nicole Bricq « Les choses sérieuses vont commencer ». Quelles sont les forces et faiblesses de l’UE dans ces négociations ?

Yannick Jadot : Les forces de l’Union européenne devraient être de tenter d’avoir un modèle de développement qui prend plus fortement en compte que le modèle américain les questions environnementales, sociales, sanitaires et relatives au service public.

Le problème c’est que le mandat de négociation, comme les objectifs affichés par Commission européenne, sont davantage de remettre en cause ces forces là au profit de ce qu’ils considèrent être les intérêts économiques de l’Europe et que, pour ma part, je conteste. L’Europe a à la fois une conception très libre-échangiste du commerce mais n’a pas de politique économique commune, ni de politique industrielle commune, ce qui est une faiblesse considérable : les divisions de l’Europe surgissent quand il s’agit de défendre son industrie photovoltaïque vis-à-vis du dumping chinois ou quand il s’agit d’avoir une approche commune, que ce soit pour la sidérurgie face à un acteur comme Mittal ou la mise en place d’une véritable stratégie européenne de transition énergétique, forte, fondée sur des économies d’énergie et les énergies renouvelables.

Nous sommes face à une Union européenne qui, du fait de la stratégie à l’exportation de Madame Merkel, du fait de la stratégie libérale de Monsieur Cameron ou de Monsieur Barroso, a une stratégie qui déconstruit le modèle européen au profit de grands groupes nationaux. La stratégie européenne va aussi plus dans le sens du modèle américain au détriment des citoyens européens et de la capacité à avoir un modèle européen plus social, plus durable et plus démocratique.


Touteleurope.eu : Lundi 10 février, Nicole Bricq déclarait dans une tribune du Huffington Post : “Pour que nos entreprises [françaises] soient dans le wagon de tête de la mondialisation elles doivent être aux Etats-Unis et dessiner avec des partenaires américains, la frontière technologique” . Les entreprises européennes ont-elle réellement besoin de cet accord ? Quels sont les débouchés pour l’UE sur le marché américain ?

Yannick Jadot : Les entreprises européennes sont déjà sur le marché américain. Le commerce entre l’Europe et les Etats-Unis représente plus d’un tiers du commerce mondial. Donc l’enjeu n’est pas la libéralisation du commerce au sens des obstacles tarifaires au commerce. Ce qui se négocie dans cet accord c’est l’harmonisation des règles et des normes. Or, ces règles et ces normes, on le voit sur le bœuf aux hormones, sur les OGM, sur le poulet chloré, la protection des données privées, sur la propriété intellectuelle, sur les questions agricoles et sur des questions de services publics, sont assez différentes entre l’Europe et les Etats-Unis. Et malheureusement ceux qui négocient aujourd’hui ne cherchent pas à harmoniser par le haut ces normes - ce qui serait là un formidable objectif - mais cherchent plutôt à déréguler, encore une fois, au service d’un certain nombre de secteurs industriels qui ont, et c’est légitime de leur part, davantage le souci de leurs intérêts privés que de l’intérêt général.

Mécanisme de règlement des différends au sein de l’accord de libre-échange

Les Etats-Unis ont pour ambition la création d’une instance d’arbitrage internationale chargée de trancher les litiges entre un investisseur et un Etat. Ce dispositif existe déjà dans les accords de libre-échange que les Etats-Unis ont pu conclure notamment avec le Canada ou encore au sein de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Une entreprise américaine pourrait ainsi attaquer un Etat devant ce tribunal

Quand on regarde de près la question de l’investissement et plus particulière le tribunal arbitral investisseurs-Etats, il s’agit en fait de renforcer considérablement les droits des investisseurs qui iraient jusqu’à contester directement la capacité des Etats à mettre en place des politiques de protection de la santé, des politiques de protection sociale, des politiques de protection de l’environnement. Et ça, c’est un transfert extraordinairement dangereux de souveraineté démocratique vers les entreprises.

Touteleurope.eu : Le 8 octobre dernier, la France a mis en place un comité stratégique sur l’accord de partenariat transatlantique entre l’UE et les Etats-Unis (TTIP) dont vous faites partie. Quel est son rôle ? Est-il réellement démocratique ?

Yannick Jadot : J’ai effectivement été invité dans ce comité stratégique parce que je considère que les négociations doivent être des plus transparentes. Pourtant, la négociation se déroule en totale opacité vis-à-vis des citoyens alors que ce sont des choix démocratiques qui sont en jeu. Par conséquent, j’ai fait part au ministère du Commerce que je ne souhaitais pas siéger dans ce comité à partir du moment où il n’était pas représentatif des intérêts des différentes parties prenantes. Je considère déséquilibré d’inviter des entreprises et, par exemple, de ne pas inviter les syndicats ou les organisations de la société civile.

Touteleurope.eu : Quelles sont les perspectives dans l’accord pour la protection des données personnelles ? Pensez-vous que les Etats-Unis sont à même de faire des efforts sur ce sujet ?

Yannick Jadot : Il est évident que pour un certain nombre de multinationales du divertissement l’objectif de l’accord transatlantique est de faire rentrer ACTA par la fenêtre, que le Parlement européen a sorti par la grande porte. Et malgré l’absurdité de cette négociation, aujourd’hui l’UE a un partenaire américain qui ne respecte pas les citoyens européens, qui ne respecte pas le droit européen sur la protection des données personnelles, sur la protection de la vie privée. Il est évident que pour l’instant au regard du scandale, l’Europe dit ne pas mettre à l’ordre du jour la protection des données personnelles mais c’est un objectif de négociation des Américains. Il faut savoir qu’aux Etats-Unis il n’y a pas véritablement de protection des données personnelles et c’est notamment ce sur quoi jouent les géants du net comme Google, Yahoo, etc.

Yannick Jadot, eurodéputé du groupe Les Verts/ALE au Parlement européen depuis 2009. Il est vice-Président de la commission du commerce international au Parlement européen depuis 2009 et membre de la commission de l’énergie, de l’industrie et de la recherche.
Il a auparavant travaillé au sein de plusieurs ONG, notamment Greenpeace. Ses activités parlementaires se concentrent entre autre sur le commerce et le changement climatique, l’exportation de bois vers l’Europe et les grands accords de libre-échange (avec le Japon, la Corée, le Canada et les Etats-Unis), le nucléaire, les gaz de schiste et la politique industrielle européenne.

Touteleurope.eu : Le Congrès refuse pour l’instant de donner pouvoir de négociation à Obama, alors que des élections de mi-mandat aux Etats-Unis sont prévues, que les élections européennes approchent et que le mandat de Barroso touche à sa fin : pensez-vous que le calendrier puisse entraver les négociations et donc retarder la conclusion du TTIP, annoncée pour novembre 2014 ?

Yannick Jadot : Il faut se souvenir que ce n’est pas la première tentative de négociation d’un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe. Depuis les années 1990, cela fait plusieurs fois que ce sujet est mis sur la table et qu’il n’aboutit pas. Mais, ce que je trouve intéressant dans cette période, c’est que finalement il soit possible de considérer que des échéances démocratiques pourraient remettre en cause un accord de libéralisation et de libre-échange. Cela montre bien qu’à partir du moment où il y a transparence sur cette négociation, l’administration Obama comme les Etats membres et la Commission européenne ont peur de la démocratie. Je crois effectivement qu’à la fois l’échéance de l’élection européenne, comme la transparence et la façon dont les syndicats et les ONG s’emparent de cette négociation en Europe comme aux Etats-Unis, vont rendre extrêmement difficile la conclusion de ce traité. Il y a trop de choix démocratiques qui sont mis en danger par cet accord.

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