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Socle européen des droits sociaux : une “petite lueur” pour l’Union européenne

Sociologue et directeur de recherche au CNRS, Jean-Claude Barbier revient sur les enjeux du socle européen des droits sociaux, présenté la semaine dernière par la Commission européenne.

Marianne Thyssen

Parvenir à une Europe plus sociale et plus équitable est l’une des ambitions de la Commission qui a présenté, le 26 avril, son projet de socle européen des droits sociaux. Un texte qui vise à relancer l’Europe sociale, comme le souhaite Jean-Claude Juncker, en définissant plusieurs principes et droits fondamentaux pour garantir le bon fonctionnement des marchés du travail et des systèmes de protection sociale. Jean-Claude Barbier, sociologue et directeur de recherche au CNRS, évoque les enjeux de ce nouveau pilier des droits sociaux. S’il ne nie pas l’avancée que constitue cette initiative, il estime aussi que beaucoup de chemin reste encore à parcourir.

La Commission européenne organisera un sommet social pour des emplois et une croissance équitables à Göteborg, le 17 novembre 2017.

Le socle européen des droits sociaux représente-t-il une avancée pour l’Union européenne ?

Si l’on compare cette initiative avec l’histoire de “l’Europe sociale” , elle représente une avancée minime. La présidence de Jacques Delors à la Commission européenne a été considérée comme un “âge d’or” de l’Europe sociale. C’est dans la suite de cette époque, dans la deuxième moitié des années 1990 qu’ont notamment été mises en place les Méthodes Ouvertes de Coordination, permettant aux Etats membres d’avoir un cadre pour avancer sur ces questions.

Par la suite, les Commissions Barroso ont été marquées jusqu’en 2009 par une régression de la “dimension sociale” . On l’a vu rapidement avec la suppression de l’agenda social, qui était tout à fait symbolique.

Enfin, la période qui a suivi l’éclatement de la crise a vu l’asservissement systématique des politiques sociales via le processus du semestre européen. Cet instrument de coordination fiscale et budgétaire est devenu le moyen de contrôler, maîtriser, voire parfois de faire reculer les dispositions sociales.

Si l’on dresse le bilan de l’Europe sociale depuis ses débuts, on peut considérer que le paysage négatif que je viens de dessiner est aujourd’hui éclairci par une petite lueur. Mais elle est encore bien faible.

Cette mesure répond-elle, selon vous, aux attentes des citoyens européens ?

Je dirais que l’ensemble des fonctionnaires de l’Union européenne reste encore éloigné des préoccupations et des attentes des citoyens. J’ai pu le vérifier lors de mes différentes enquêtes, ainsi qu’à la conférence de préparation du socle des droits sociaux le 23 janvier.

Ce qui a changé néanmoins, notamment sous l’impulsion de Jean-Claude Juncker, c’est qu’un certain nombre de dirigeants et de responsables politiques ont enfin pris conscience des attitudes, des choix et des opinions des citoyens. Comme le montrent les Eurobaromètres, ceux-ci ont de moins en moins confiance en l’UE. C’est une modification tout à fait importante. Quelques personnages en ont pris conscience : Martin Schulz suit cette tendance, beaucoup de parlementaires également à commencer par Mme Joao Rodrigues (S&D, Portugal). Mais plutôt qu’une réponse aux attentes, il s’agit surtout de la prise de conscience que l’UE va dans un très mauvais sens.

Les pays européens ont tous des modèles sociaux très distincts, est-il utopique de vouloir les harmoniser ?

Le mot “harmonisation” est aujourd’hui désuet, il n’est même plus question de cela. Le 26 avril, la Commission a présenté trois options : la première serait de limiter la dimension sociale au minimum, la seconde que les pays qui souhaitent avancer le fassent sans ceux qui ne le veulent pas et enfin la troisième serait d’approfondir à 27 la dimension sociale de l’Union européenne.

On est dans une logique beaucoup plus modeste qu’avant, car les dirigeants ressentent bien qu’ils ne peuvent pas mener, aujourd’hui, une homogénéisation ou une harmonisation. L’Union européenne est trop diverse. Jean Claude Juncker l’a d’ailleurs précisé le 23 janvier, en affirmant qu’il limiterait le socle des droits sociaux à la zone euro. La Commission admet donc qu’appliquer le socle à tous ne serait pas possible, à cause de l’opposition franche et radicale de pays comme la Pologne ou la Hongrie, pour ne citer qu’eux. En outre, les conséquences de la concurrence économique sur les coûts de la main d’œuvre et d’autres font qu’une harmonisation est d’autant moins possible.

Le socle européen des droits sociaux est un texte non contraignant. Est-ce suffisant pour être suivi par les Etats membres ?

La politique sociale fait partie des compétences partagées entre l’Union et les Etats membres. Les compétences de l’UE dans ce domaine sont donc limitées. Elle se limite à “soutenir et compléter” l’action des États membres, conformément au principe de subsidiarité.

Ils n’ont pas le choix, c’est le problème… Même la 3e option que j’évoquais et qui prévoit une plus grande intégration, a été présentée de façon très hésitante. Et depuis la dernière communication sur l’investissement social il y a quatre ans, rien n’a été fait !

La Commission européenne est désormais déstabilisée par un nombre important de facteurs, qui dépassent la politique sociale. Avec la peur du “populisme” , un terme qui cache en fait l’idée que les gens sont de plus en plus hostiles à l’Union européenne, on ne peut plus légitimer une intervention harmonisatrice qui privilégie le supranational par rapport au national. Comme le dit Allan Larsson, (conseiller spécial auprès de Jean-Claude Juncker pour le pilier européen des droits sociaux), personnage historique de la construction de l’Europe sociale, la Commission européenne doit laisser la place aux initiatives nationales sans les remplacer. Cela transparait dans les scénarios parce que c’est la seule solution politique ouverte, et la seule possibilité de légitimation du supranational. Il faut bien comprendre que la politique sociale dont les citoyens européens se préoccupent en priorité est celle de leur propre pays. Certains comme Jean-Claude Juncker l’ont compris, d’autres pas encore.

Le Royaume-Uni est l’un des pays qui bloquait le plus les avancées sociales de l’UE. Pensez-vous que le Brexit permettra d’avancer sur ces questions ?

Je ne le pense pas. Depuis Tony Blair, le Royaume-Uni a déjà en partie renoncé à résister. Le pays n’est finalement qu’un seul parmi le groupe d’Etats membres plutôt libéraux : les pays scandinaves, d’une part, et ceux d’Europe centrale de l’autre. Même si l’on retirait les opposants, cela ne ferait pas avancer les choses.

Pour cela, il faudrait des conditions politiques qui ne sont pas réunies aujourd’hui. Notamment que Martin Schulz secoue l’establishment allemand. Le gouvernement allemand s’oppose actuellement au transfert de toute compétence nationale au niveau européen. Le véritable problème, ce sont les 9% d’excédent commercial de l’Allemagne, avec en parallèle les déficits des pays du sud. La question c’est l’absence de financement de tout un nombre de dépenses possibles et d’investissements.

Sans changement majeur, la situation restera donc bloquée. Il faudra voir comment les élections française et allemande pourraient faire évoluer la situation. Mais ce n’est pas parce que le pays de Madame May va partir, ce qui va prendre beaucoup de temps et d’énergie par rapport aux résultats, que cela changera. C’est secondaire.

Photo : Marianne Thyssen, commissaire européenne pour l’emploi, les affaires sociales, les compétences et la mobilité des travailleurs.

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