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Sébastien Balibar : Après la COP 21, “c’est maintenant qu’il faut se mettre au travail”

Samedi 12 décembre 2015 s’est conclue la COP21. Au terme de cette conférence, les 195 Etats participants ont accepté l’accord de Paris, visant à limiter le réchauffement climatique entre 1,5°C et 2° d’ici 2100.

Pour Toute l’Europe, Sébastien Balibar, directeur de recherches au CNRS, donne son éclairage sur cet évènement. Maintenant que la porte est ouverte, le travail est à faire.

Tour Effeil durant la COP21

La COP21 vient de s’achever. Un accord a été trouvé. Quelle est votre impression générale sur le résultat ?

Comme cela a été souvent dit, obtenir l’unanimité avec 195 pays empêche d’avoir un texte qui soit parfait. Ceci étant, il s’agit évidemment d’un premier pas, extraordinairement important dans la lutte que nous avons à mener.

Sébastien Balibar

Sébastien Balibar est un physicien français, directeur de recherches au CNRS, membre de l’Académie des sciences. Titulaire de nombreuses distinctions scientifiques, il conduit ses recherches à l’Ecole normale supérieure (ENS Paris).

Auteur d’un grand nombre de publications scientifiques, il a notamment écrit en 2015 “Climat : y voir clair pour agir” , dans lequel il défend le nucléaire comme source d’énergie décarbonée dans des pays comme la France.

C’est maintenant qu’il faut se mettre au travail, bien sûr, mais je salue le travail magnifique de la diplomatie française, M. Fabius et Mme Tubiana [représentante spéciale du gouvernement français pour la COP21, ndlr] en tête, pour avoir aussi bien réussi, après deux années de travail considérable, à amener à cet accord unanime.

Il y a eu beaucoup de promesses, mais peu d’engagements concrets et surtout contraignants pour respecter la limite des 2°C. Etes-vous inquiet ? L’accord est-il suffisant ?

Il faut cerner les problèmes. Il va falloir continuer à travailler, ou plutôt se mettre au travail, maintenant que la porte est ouverte.

Premièrement, le débat entre 1,5°C et 2°C est un peu artificiel. Ce n’est pas conforme aux prédictions scientifiques. Limiter le réchauffement à 2°C sera déjà extraordinairement difficile, il va falloir un travail gigantesque pour y arriver. Mais limiter à 1,5°C, c’est impossible. Je comprends que les petits Etats qui risquent d’être submergés par l’élévation du niveau des mers, soient inquiets et exigent le 1,5°C. Malheureusement, le cas des grands deltas et des grands fleuves dans le monde entier est encore plus important. Il va de toute façon falloir déplacer des populations.

Politiquement, un objectif aussi ambitieux, bien qu’un peu irréaliste, peut servir de moteur à une mobilisation générale. Mais il est aussi possible qu’en cherchant à atteindre les 1,5°C les gens se découragent. On aurait dû discuter entre 2°C et 3°C.

Est-ce que cet accord est vraiment contraignant ? C’est une discussion extrêmement subtile. Concernant les propositions, il fallait l’unanimité. Donc les Etats étaient nécessairement amenés à définir eux-mêmes les réductions qu’ils envisageaient. De ce point de vue, ce n’est pas contraignant. Les propositions faites sont parfois très insuffisantes. C’est le cas des Etats-Unis et de la Chine, dont il faudra précautionneusement observer le comportement. De plus, ce n’est pas contraignant en ce sens qu’il n’y a pas de sanctions prévues contre des Etats qui ne respecteraient pas leurs promesses.

Mais, d’un autre côté, c’est contraignant. Tous les Etats ont été amenés à publier des scénarios chiffrés de réduction pour une date fixée. L’accord est contraignant parce que les Etats ont publié ces chiffres. L’accord prévoit un mécanisme de transparence, doublé d’un organisme de surveillance des différents pays. Et, tous les cinq ans au moins, un processus de révisions à la hausse est prévu.

Les pays sont face à une contrainte morale vis-à-vis de leur opinion publique, qui est très importante. On ne peut forcer personne. Ce sont les populations de chaque pays qui peuvent surveiller leurs gouvernements et les contraindre, depuis l’intérieur, à tenir leurs promesses. Les promesses sont peut-être insuffisantes, mais il est prévu d’y revenir. La contrainte n’est pas totale mais elle n’est pas inexistante non plus. Les scientifiques et les citoyens ont beaucoup de travail à faire.

De la même manière, beaucoup regrettent qu’une date de pic d’émissions n’ait pas été fixée. Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes dans un système qui est en train de foncer dans le mur, mais qui a une distance de freinage. Cette distance de freinage, on y est. Il faut se mettre immédiatement au travail pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Céline Ramstein, chargée de projet COP21 à l’IDDRI, a également commenté, pour Toute l’Europe, les résultats de la COP21. Lire son interview

La Chine a promis d’établir un pic, soit un maximum d’émissions de gaz à effet de serre, à partir de 2030. Elle ne va réduire ses émissions qu’à partir de 2030, pas d’aujourd’hui. Ils vont donc continuer à développer leur activité économique à tout prix. Y compris en brûlant du charbon. C’est leur motivation, mais ce n’est pas acceptable. Retarder le pic à 2030 c’est prendre le risque que la Chine à elle seule déstabilise le climat du monde entier.

En ce qui concerne l’énergie, pouvons-nous dire que l’ère des énergies fossiles est révolue ?

Seule l’action des Etats et des individus peut inverser la dynamique. Il faut bannir toutes les énergies fossiles vers la moitié du siècle, cela ne fait aucun doute.

En France, l’électricité est entièrement décarbonnée. C’est formidable, ça nous donne une avance sur les autres. Mais l’électricité ne représente qu’un quart de l’énergie consommée. Pour le reste, il s’agit essentiellement de pétrole et de gaz naturel. En France et dans le reste du monde, les fossiles représentent la grande majorité de l’énergie consommée.

C’est cette source d’énergie qu’il faut bannir. En Asie ce combat va être particulièrement difficile. Beaucoup de travail reste à faire.

Selon vous, quelle va être la clé pour les prochains mois et années, maintenant que la COP21 est terminée ? Allons-nous garder la dynamique ?

Il n’y a pas une clé, il y en a beaucoup. Et surtout, il n’y a pas de solution miracle à ce problème. Il faudra combiner beaucoup de choses à la fois. Afficher des objectifs c’est une chose, mais les atteindre c’en est une autre !

En regardant les propositions des différents pays, on voit que les responsables politiques essaient de tracer une droite entre la situation actuelle et l’espoir pour 2050. Fonctionner ainsi, c’est ignorer toutes les difficultés auxquelles il faut faire face pour suivre une trajectoire vers des objectifs définis.

Il faut beaucoup de recherche parce que, par exemple, en découvrant une méthode permettant de stocker massivement l’électricité, tout irait bien. Avec des éoliennes et des panneaux photovoltaïques, l’électricité serait stockée quand cela est nécessaire. Mais on ne sait pas le faire. A l’échelle de milliards de kilowattheures c’est actuellement extrêmement difficile.

D’autre part, il faut un important changement de mentalité et de mode de vie pour économiser l’énergie. Il faut arrêter de prendre sa voiture ou l’avion à n’importe quelle occasion. Il faut que tout le monde accepte de payer l’isolation thermique de ses maisons. Pour cela il faudra beaucoup d’argent et beaucoup de volonté.

Cet accord est le signal de départ sans lequel la course ne serait pas lancée. Maintenant qu’elle l’est, il y a beaucoup de travail à faire, à tous les niveaux. Depuis la recherche de pointe, scientifique et technologique, jusqu’aux comportements individuels, en passant bien sûr par des politiques nationales ou mondiales allant dans ce sens.

Ensuite, il est clair que les solutions ne sont pas les mêmes selon les pays. Ils n’ont pas les mêmes situations économiques, le même niveau de technologie, la même culture, la même géographie. Il y a des endroits où il y a de l’eau et d’autres où il n’y en a pas. Il y des endroits avec du soleil, d’autres où il n’y en a pas. Des gens qui veulent bien du nucléaire et des gens qui n’en veulent pas.

Avec cette COP21, la prise de conscience a fait des progrès très importants. Maintenant les gens sont convaincus que le problème est grave, qu’il faut s’y mettre tous ensemble.

En ce qui concerne l’énergie, pouvons-nous dire que l’ère des énergies fossiles est révolue ?

Seule l’action des Etats et des individus peut inverser la dynamique. Il faut bannir toutes les énergies fossiles vers la moitié du siècle, cela ne faut aucun doute.

En France, l’électricité est entièrement décarbonnée. C’est formidable, ça nous donne une avance sur les autres. Mais l’électricité ne représente qu’un quart de l’énergie consommée, il s’agit pour le reste de gaz naturel. En France et dans le reste du monde, les fossiles représentent la grande majorité de l’énergie consommée.

C’est cette source d’énergie qu’il faut bannir et c’est l’Asie qui lance ce combat difficile. Tout le travail reste à faire.

Selon vous, quelle va être la clé pour les prochains mois/années, maintenant que la COP21 est terminée ? Allons-nous garder la dynamique ?

Il n’y a pas une clé, il y en a beaucoup. Et surtout, il n’y a pas de solution miracle à ce problème. Afficher des objectifs c’est une chose, mais les atteindre s’en est une autre !

En regardant les INDC, les propositions des différents pays, on voit que les responsables politiques essaient de tracer une droite entre la situation actuelle et l’espoir pour 2050. Fonctionner ainsi, c’est ignorer toutes les difficultés auxquelles il faut faire face pour suivre une trajectoire vers des objectifs définis. Or, c’est précisément là qu’il faut beaucoup de choses à la fois.

Il faut beaucoup de recherche parce que, par exemple, en découvrant une méthode permettant de stocker effectivement l’électricité, tout irait bien. Avec des éoliennes et des panneaux photovoltaïques, l’électricité serait stockée quand cela est nécessaire. Mais on ne sait pas le faire. A petit feu dans une bassine d’eau, oui, mais à l’échelle de milliards de milliards de watts c’est actuellement impossible.

D’autre part, il faut un important changement de mentalité et de mode de vie pour économiser l’énergie. Il faut arrêter de prendre sa voiture ou l’avion à n’importe quelle occasion. Il faut que tout le monde accepte de payer l’isolation thermique de ses maisons. Il faut de l’argent pour le faire et beaucoup de volonté.

Cet accord est un signal de départ sans lequel la course ne serait pas lancée. Maintenant qu’elle l’est, il y a beaucoup de travail à faire, à tous les niveaux. Depuis la recherche de pointe, scientifique et technologique, jusqu’aux comportements individuels, en passant bien sûr par des politiques nationales ou mondiales allant dans ce sens.

Les solutions ne sont pas les mêmes selon les pays. Ils n’ont pas les mêmes situations économiques, le même niveau de technologie, la même culture, la même géographie. Il y a des endroits où il y a de l’eau et d’autres où il n’y en a pas. Il y des endroits avec du soleil, d’autres où il n’y en a pas. Des gens qui veulent bien du nucléaire et des gens qui n’en veulent pas.

Mais avec cette COP21, la prise de conscience a fait un progrès formidable. Maintenant les gens sont convaincus que le problème est grave, qu’il faut s’y mettre tous ensemble. Le progrès dans la direction de la solidarité nécessaire est lui aussi formidable, maintenant il faut y aller.

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