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Quelle émancipation économique pour les femmes ?

Cette semaine, Touteleurope.eu donne la parole aux femmes qui font l’Europe. Aujourd’hui, la directrice du Centre Europeen de Droit et d’Economie de l’ESSEC, Viviane de Beaufort, revient sur l’évolution de la place des femmes en entreprise. Quotas, numérique, génération Y… elle brosse un état des lieux de la situation en France et en Europe.

Viviane de Beaufort

Touteleurope.eu : La loi Copé-Zimmermann a fixé à 40 % la part de femmes dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40, mais également dans les entreprises de plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et 500 salariés d’ici 2017 (250 salariés d’ici 2020). La Commission européenne a quant à elle proposé des quotas du sexe sous-représenté dans les organes de direction des grandes entreprises européennes. Quel est le bilan aujourd’hui ?

Viviane de Beaufort : Si l’Union européenne, contrairement à la France, n’a pas réussi à imposer un quota impératif qui aurait concerné l’ensemble des entreprises européennes (malgré un combat assez rudement mené par Viviane Reding à l’époque), la directive sur le reporting RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) en vigueur depuis le 6 décembre 2016 précise que des informations sur la diversité (dont la mixité des conseils d’administration) sont requises dans les informations à fournir par les sociétés.

Le bilan en France de l’application de la loi Copé-Zimmermann est très positif dans les grandes entreprises, où globalement, après les assemblées générales de 2017 le quota sera respecté. Mais tout cela reste à surveiller à double titre :

  • le périmètre des plus petites entreprises : la féminisation des Conseils d’administration (CA) est plus lente, les entreprises moyennes disposant de moins d’outils et de réseau ;
  • l’effet d’ “aspirateur sur la mixité” attendu sur les comités exécutifs et de direction, et plus généralement la mixité et l’égalité en entreprise, où les choses bougent plus lentement. Mais si on évoque un bilan, il est clair que la France est désormais citée comme modèle dans le monde comme ayant créé une rupture de culture !

Touteleurope.eu : Un quota imposé est-il la meilleure manière de briser le plafond de verre pour les femmes en entreprise ?

Viviane de Beaufort : Oui et Non. Oui car dans de nombreux pays dont nous sommes, l’effet de rupture des codes imposés, des processus et tout simplement de l’ habitude qui créait une hégémonie masculine évidente ne peut venir que d’un effet quota. A ce titre, on notera que les évolutions dans d’autres pays dits latins comme l’Italie, l’Espagne et la Belgique sont en cours parce qu’il y a eu une rupture légale. Je préfère d’ailleurs parler d’effet d’entrainement légal ou d’effet de levier légal.

Et non car dans certains pays la rupture peut venir de l’entreprise elle-même. Il ne faut pas assimiler absence de loi imposant un quota et non-engagement en matière de mixité. Il s’agit aussi d’une question de culture : le Royaume-Uni, qui a bataillé contre le texte européen, s’est fixé (principe de la soft law) un objectif volontaire de 25% pour 2016 qui a été atteint et se dirige désormais vers le seuil symbolique des 30%. Soit la proportion suffisante pour que des minoritaires s’expriment au sein d’une équipe (voir les travaux de Serge Moscovici).

Evoquons peut-être aussi, dans les pays où a été instaurée une loi, le “complexe du quota” que peuvent ressentir certaines femmes. La recherche de la mixité a entraîné, et c’est tant mieux, une professionnalisation du recrutement des administrateurs/trices au sein des conseils. On évoque désormais des profils d’expertise pour le plus grand bien des entreprises.

Autrement dit, la rupture créée par le quota a permis une prise de conscience de la nécessité d’un changement. L’enjeu est de passer d’un CA “chambre d’enregistrement” à un CA expert. Avec à la clé, un recrutement d’administrateurs aux compétences utiles pour le conseil de l’entreprise Evidemment, tant que le rattrapage n’est pas effectif, ce sont des femmes qu’on nomme cet année-ci.

Touteleurope.eu : Fin janvier, le gouvernement a lancé un Plan sectoriel mixité dans les métiers du numérique. Aujourd’hui, on compte seulement 28% de femmes dans ce secteur. Vous êtes associée dans une start-up, pensez-vous que les femmes soient une opportunité pour le secteur du numérique ?

Viviane de Beaufort : Oui, bien sûr. On doit dire également que le secteur du numérique est une opportunité pour les femmes ! Revenons sur ce taux de 28% : il est équivalent, coïncidence amusante, au taux d’entrepreneuriat au féminin qui perdure en France et en Europe depuis des années. Et ce sont les mêmes causes qui freinent le développement : des barrières structurelles, autrement dit du système, de notre culture qui va considérer que cette activité (créer et diriger une entreprise) et ce secteur (le numérique) n’est pas “fait à priori pour une femme” .

On véhicule donc des stéréotypes par défaut et celles qui s’y attaquent, qui osent, sont par définition une minorité - même importante - et quelque part des pionnières. Et il y a toutes celles qui n’osent pas, bloquées par des freins internes : peur du risque, d’être dans un métier d’homme, perception du numérique comme secteur hyper masculin voire sexiste.

Il y a un énorme travail à faire, surtout de pédagogie, d’ouverture d’esprit, de sensibilisation aux opportunités professionnelles. Des études, comme Mutation’Elles menée par Claudine Schmuck, démontrent la stagnation, voire le retard : on a à présent les chiffres, les raisons, donc des leviers d’action. Il ne s’agit rien de moins que de mettre de la mixité dans ce qui est l’avenir.

Touteleurope.eu : Les attitudes à l’égard de l’égalité entre les hommes et les femmes évoluent, mais la jeune génération n’échappe pas aux stéréotypes liés au genre et aux inégalités. Que faire pour que l’Europe soit un tremplin en matière d’éducation et d’enseignement supérieur, pour faire en sorte que les filles optent plus pour des carrières techniques et scientifiques ?

Viviane de Beaufort : Je ne pense pas que parmi la génération dite Y cela n’ait pas bougé. Parmi ceux éduqués et quel que soit leur milieu (pas seulement les jeunes dits de milieu favorisé), garçons et filles acceptent sans problème l’idée de double carrière, celle de parentalité et non plus seulement de maternité. Les garçons acceptent de participer aux tâches ménagères, que leur compagne soit “startuppeuse” donc mangée par son projet, qu’elle voyage seule. La vraie rupture est là et c’est cette génération qui la porte.

Seulement, il y a encore des projections du système ancien qui demeurent machistes et des problèmes culturels voire religieux. Et là il y a un souci. L’Europe a peu de pouvoir en matière d’éducation, il faut le dire. On appelle çà compétence d’appui, autrement dit elle peut inciter et accorder des budgets complémentaires (programme Erasmus+ par exemple) mais pas décider. Depuis quelques années des efforts sont menés (campagne de sensibilisation, etc.), mais il appartient aux Etats de relayer et la France le fait.

Touteleurope.eu : Dans sa nouvelle stratégie, la Commission européenne mise sur une sensibilisation à la promotion de l’entrepreneuriat des femmes, y compris par le lancement d’une plate-forme en ligne pour l’entrepreneuriat des femmes (2016), la création d’un réseau européen de business angels féminins et le réseau des Women’s Web Entrepreneurs Hubs. Des outils efficaces ?

Viviane de Beaufort : Vous allez me trouver cynique et pourtant loin de moi l’idée de l’être. Ces outils dédiés sont très intéressants …potentiellement le problème est que si vous interrogez des créatrices sur leur existence, vous serez surprise ! Quasi personne n’est au courant. 618 followers de @wehubs sur twitter !

Il y a la un déficit d’information absolu, il me semble que ce devrait être relayé à l’échelon national et régional surtout. Et si en tant que media européen vous êtes en mesure de l’évoquer en détail et de manière pratique ce serait surement un progrès.

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