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Quel avenir pour le marché du carbone européen ?

Comment appliquer le principe du pollueur-payeur ? Depuis déjà près d’un siècle, les économistes planchent sur cette question. Outre l’option de la fiscalité, la solution la plus populaire actuellement est celle de la mise en place d’un “marché du carbone”. C’est en tout cas le choix de l’Union européenne qui, après l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto en 2005, a créé le “système européen d’échanges des quotas d’émissions de carbone”.

Cheffe du pôle recherche sur le marché du carbone et les énergies à la CDC Climat, Emilie Alberola nous livre son analyse sur l’utilité et les faiblesses de ce marché.

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Comment fonctionne un marché du carbone ?

Emilie Alberola : Quand on parle de marché du carbone, on parle d’une politique publique au service du climat, ce n’est pas un marché à part entière comme le sont les marchés financiers ou les marchés de l’énergie. Autrement appelé “système d’échange de quotas” , le marché du carbone est un mécanisme économique à deux volets : un plafond d’émissions fixé par le régulateur du marché (la Commission européenne en Europe), et un système échange de quotas d’émission entre acteurs publics et privés contraints à réduire leurs émissions de CO2, auxquels nous pouvons ajouter les acteurs financiers qui facilitent ces échanges.

Emilie Alberola est chef du pôle de recherche Marché du carbone et des énergies à la CDC Climat, filiale de la Caisse des Dépôts. Ses travaux portent sur l’analyse du développement du système européen d’échange de quotas de CO2 et de son prix du carbone.

La motivation première de l’Union européenne dans la mise en place de ce système était de faciliter l’atteinte des objectifs de chaque Etat membre décidés par le protocole de Kyoto. Alors que ce dernier impliquait les Etats signataires, le système européen d’échange de quotas concerne quelques 15 000 installations industrielles.

Comment se fixe le prix de la tonne de carbone sur le marché européen ?

Le prix émerge de l’équilibre entre l’offre et la demande, comme sur un autre marché. L’offre est décidée par la Commission européenne chaque année sous forme de plafond à respecter et délivrée sous forme de quotas gratuits ou à acheter aux enchères. A l’heure actuelle, le plafond d’émissions a été défini jusqu’en 2020, sans possibilité initiale de modification de celui-ci.

Du côté de la demande, ce sont les acteurs concernés par cette politique qui, en fonction de leur niveau d’émissions, vont être offreurs ou demandeurs de quotas. Cette demande évolue selon un grand nombre de paramètres : les conditions climatiques (par exemple quand il fait plus chaud, les émissions de CO2 augmentent avec l’utilisation de la climatisation), l’activité économique (plus on produit, plus on émet de carbone), le prix des énergies (qui favorisent plus ou moins les énergies carbonées). En fonction de ces paramètres, il émerge tous les jours un prix du CO2 sur ce marché. On a donc d’un côté une offre fixée sur une période finie, et d’un autre côté une demande qui évolue constamment.

Ce marché est-il efficace dans la réduction des émissions de carbone ?

Nous avons travaillé récemment à analyser les facteurs de la réduction des émissions de CO2 depuis 2005 pour les installations concernées, et on s’est rendu compte que cette diminution était attribuable à 50 % au déploiement des énergies renouvelables, à 30 % aux conséquences de la crise économique (qui n’avait pas été anticipée par la Commission européenne), à 10-20 % à l’efficacité énergétique induite par des politiques spécifiques, et seulement à 0-10 % à l’effet du prix du carbone lui-même. Donc ce qui pose problème c’est qu’il n’y a pas actuellement de moyens d’ajustement de l’offre de quotas avec d’autres politiques énergétiques (notamment l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables) et avec des chocs économiques exogènes.

Le paquet énergie-climat 2020, connu pour ses objectifs “3 x 20 %” prévoyait de réduire de 20 % les émissions de CO2. Cet objectif mettait à contribution les secteurs de l’industrie et de l’énergie d’une part, qui fourniraient le plus gros effort, et les autres secteurs (bâtiment, transport, agriculture…) d’autre part. Le premier secteur avait en 2012 déjà quasiment atteint son objectif pour les raisons que l’on a évoquées plus tôt, mais une reprise économique éventuelle augmenterait les émissions de carbone, donc il n’est pas certain que cet objectif soit atteint en 2020.

Le prix du carbone est-il aujourd’hui trop faible ?

Il n’y a pas de prix du CO2 idéal à atteindre dans le cadre d’un marché du carbone, tant que celui-ci permet de donner une incitation économique à réduire les émissions pour atteindre l’objectif environnemental fixé. En Europe, le prix du carbone fluctue depuis 18 mois entre 5 et 7 euros la tonne, ce qui est faible, mais qui n’est pas le signe que le marché du carbone ne fonctionne pas. Si le prix du CO2 est faible, c’est bien qu’on a réduit les émissions, donc qu’il n’y a pas de demande sur le marché.

Le réel problème du marché européen du carbone est le manque de visibilité des acteurs économiques au-delà de 2020. La commission européenne n’a fixé jusque-là que des objectifs indicatifs de long terme, l’objectif pour 2030 serait de -43 %, et de -90 % pour 2050. De fait, les acteurs économiques ne sont pas suffisamment incités à faire les investissements de long terme (de 30 à 50 ans) que la réduction des émissions de CO2 nécessite, et sont donc plus enclins à investir dans des industries carbonées. Le risque est de verrouiller pour des décennies cette décarbonation attendue.

La mesure actuellement envisagée par l’Union européenne est de créer dès 2021 une “réserve de stabilité de marché” qui absorberait tout le surplus de quota pour le mettre en réserve et faire augmenter le prix de CO2. La principale critique est qu’en 2021 il sera déjà trop tard. Un vote est attendu en mars 2015 sur cette mesure.

Pensez-vous que la Conférence climat de Paris en 2015 (COP21) aboutira à un marché du carbone mondial efficace ?

Je ne pense pas ! La principale leçon de Kyoto (qui a entre autres créé un système d’échange de quotas entre Etats) est qu’un marché international du carbone doit se baser sur deux éléments : un partage de l’effort entre Etats et des objectifs de réduction suffisamment ambitieux pour créer une rareté. Or, il y a eu un tel surplus de quotas qu’il a fini par n’y avoir que très peu d’échanges. Sur la route de Paris, nous n’allons pas vers un système de partage de l’effort de réduction entre Etats. D’autre part, sur le plan géopolitique, nous ne sommes plus du tout dans la dynamique de Kyoto aujourd’hui que nous pouvons considérer comme une exception historique qui n’aura pas lieu à Paris. L’objectif principal ne porte plus sur des objectifs de réduction des émissions fixés en fonction d’un partage de l’effort, mais sur un exercice de déclaration d’engagements, de contributions à l’effort mondial, et enfin d’harmonisation internationale de la comptabilité des émissions de CO2. L’ONU, qui avait tenté d’être le gendarme du CO2 à Kyoto, va se retrouver dans un rôle de Cour des comptes à Paris.

* Article écrit dans le cadre d’un projet collectif avec Sciences Po Paris, dont les participants sont Hugo Lequertier, Abderrazak Ouassat, Lucile Rogissart et Claire Sandevoir

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