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Nanni Moretti : réalisateur autarcique

Depuis 40 ans, Nanni Moretti cultive une certaine idée du cinéma. Un cinéma à la fois libre et politique, exigeant et drôle, introspectif et rigoureux. Successeur annoncé de Fellini et Pasolini, pourfendeur régulier de Silvio Berlusconi, défenseur émérite du cinéma italien et européen, Nanni Moretti ne se laisse pas étiqueter facilement. En 2015, il est compétition au Festival de Cannes avec son nouveau film Mia Madre, et fait partie des favoris annoncés pour la Palme d’or, qu’il a déjà remportée une fois, en 2001 avec La Chambre du fils.

Nanni Moretti

Représenter sa propre vie

Nanni Moretti est un homme sérieux. Il a d’ailleurs l’allure d’un professeur d’université, avec son éternelle barbe, ses cheveux légèrement en bataille, son sourire chaleureux et son œil malicieux. Il semble tout le temps en train de réfléchir. Discrètement habillé, avec parfois une cravate - rouge de préférence - il dispose aussi d’un smoking avec nœud papillon, lorsqu’il doit délaisser Rome pour se rendre aux festivals de Berlin, Venise ou, évidemment, Cannes.

Il a remporté des prix dans ces trois villes. Une performance rare. Le Grand prix du jury à Venise en 1981 dès son troisième film Sogni d’oro, qu’il écrit, réalise et dans lequel il interprète lui-même un jeune et talentueux réalisateur en bisbille avec un rival qu’il méprise. L’Ours d’argent à Berlin en 1986, pour La Messe est finie, dans lequel il joue un prêtre qui se débat avec des paroissiens névrosés. Le prix de la mise en scène à Cannes en 1994, pour Journal intime, vrai-faux documentaire dans lequel il pousse encore plus loin la représentation de sa propre vie et où la caméra le suit dans les rues de Rome en plein été, sur les trace de Pasolini à Ostie, dans les îles éoliennes ou entouré d’une batterie de médecins alors qu’il combat - pour de vrai - un cancer.

Nanni Moretti à Cannes

Nanni Moretti à Cannes en 2001, un reportage de France 3

Le cinéma de Nanni Moretti est profondément personnel, régulièrement engagé et politique, mais aussi parfois onirique et fantaisiste. Je suis un autarcique, son premier film, réalisé en 1976, est une “satire des tâtonnements idéologiques de l’extrême-gauche” , écrit Le Canard enchainé. Bianca, qu’il réalise en 1983 et dans lequel joue également son amie Laura Morante, se rapproche plus du film de genre dans la mesure où il raconte l’histoire d’un professeur voyeur au comportement mystérieux et progressivement soupçonné de meurtre. Et dans Palombella Rossa, en 1989, Moretti se crée un personnage de communiste joueur de water-polo - sport qu’il a pratiqué à haut niveau - frappé d’amnésie.

Mais c’est évidemment avec La Chambre du fils, en 2001, que Nanni Moretti s’assure une place au Panthéon des plus grands. De nouveau sélectionné à Cannes, il obtient la Palme d’or pour ce drame intimiste, triste et brutal racontant l’histoire d’une famille frappée par la mort soudaine du fils ainé. Moretti incarne naturellement le père, perdu dans son deuil, et Laura Morante sera sa femme, dévastée. Avec leur fille, ils sortiront de leur torpeur sans fin en apprenant que leur fils avait une amoureuse.

Promoteur des “voix neuves”

En filigrane dans la filmographie de Nanni Moretti : l’Italie. Contrairement à de nombreux réalisateurs italiens ou européens à partir des années 1970, il n’aura jamais la tentation de l’Amérique et d’Hollywood. Il en prendra plutôt le contrepied, même si l’heure n’est plus vraiment aux projets pharaoniques et que l’âge d’or du cinéma italien, incarné par Fellini ou Visconti, semble déjà de l’histoire ancienne. Au moment où les salles de Rome ont tendance à fermer, il achète un cinéma, qu’il baptise le Nuovo Sacher - en hommage à la Sachertorte, le dessert viennois au chocolat qu’il adore. Et au moment où le cinéma indépendant s’estompe au profit des grandes productions étrangères, Nanni Moretti se met à produire et distribuer les auteurs.

Frédéric Mitterrand sur Nanni Moretti

Frédéric Mitterrand sur Nanni Moretti - 28 minutes

Avec Angelo Barbagallo, ils produisent de jeunes réalisateurs comme Daniele Luchetti ou Matteo Garrone, qui adaptera plus tard Gomorra. Ils organisent un festival de courts-métrages. Et ils distribuent des auteurs étrangers comme l’Iranien Asghar Farhadi (Une séparation) et nationaux comme les frères Taviani. Ces derniers, tout comme Fellini, Pasolini, ou Bellocchio font partie des mentors et sources d’inspiration de Nanni Moretti.

A 24 ans, il joue d’ailleurs un petit rôle dans leur film Padre Padrone, Palme d’or en 1977. C’est donc non sans fierté qu’il se targue d’avoir contribué au succès de leur dernier film, récompensé à Berlin en 2012, César doit mourir. “J’ai appris que plein de distributeurs l’avaient refusé, le jugeant ‘beau mais difficile’ ou ‘bien mais invendable’. Pour moi, quand un film est beau, il faut le présenter au public” , expliquera-t-il à Olivier Séguret dans Libération en 2012, alors qu’il s’apprêtait à présider le Festival de Cannes.

De toute évidence, Nanni Moretti n’a pas eu comme plan de carrière de plaire au public. Dans cette même interview au journal français, il cite ainsi la phrase : “le public est le seul auquel ce film n’a pas plu” . En allant au cinéma, Moretti veut voir des films originaux - “des voix neuves” . De bons films convenus, qui font “passer deux heures agréables et [qui] quitte nos vies dès le générique de fin” , ça n’est pas intéressant. En 2012, c’est ce qu’il aura défendu à Cannes, année où Amour de Michael Haneke l’a emporté. Il aurait certainement préféré Reality de Matteo Garrone, mais il a laissé la démocratie régner dans son jury.

Machiavel contre le Cavaliere

On lui reprocha tout de même d’avoir récompensé cinq films distribués par Le Pacte, la même maison qui s’occupe de ses films en France. Un comble pour un cinéaste en croisade perpétuelle contre les conflits d’intérêt de l’Italie de Berlusconi et une accusation qui n’a pas convaincu grand-monde - Aurélien Ferenczi de Télérama allant jusqu’à qualifier Nanni Moretti de “maladivement honnête” .

Une description probablement assez juste d’un homme sûr de ses convictions et de ses principes : il n’a jamais accepté l’argent des entreprises du Cavaliere pour réaliser ses films. Des ennemis, il n’en n’a guère. Il a même posé avec Paolo Sorrentino et Matteo Garrone alors qu’ils sont tous trois en lice pour la Palme d’or 2015. Tout juste s’est-il fait taxer de “Machiavel” en 1997 par Isabelle Adjani.



Carte comparative sur la fréquentation des salles de cinéma européennes en 2014

Elle présidait alors le jury du 50e Festival de Cannes et lui figurait parmi les membres. L’histoire raconte qu’elle s’était mis tout le monde à dos en raison de ses caprices de star et que Nanni Moretti manœuvra avec succès pour que son film préféré de la compétition, L’Anguille de Shohei Imamura, remporte la Palme d’or, ex-aequo avec Le Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami. Signe que le cru devait être très bon, l’actrice de La Reine Margot militait pendant ce temps pour De beaux lendemains d’Atom Egoyan, finalement récompensé du Grand prix.

Aujourd’hui, Moretti poursuit son travail avec passion et humilité. Depuis La Chambre du fils, il a fait trois films : Le Caïman en 2006, satire de Berlusconi, Habemus Papam en 2011 avec Michel Piccoli incarnant un nouveau pape en plein doute et, donc, Mia Madre cette année. Le grand public français ne le verra pas avant décembre mais d’après les premières critiques, il s’agit d’un nouveau triomphe pour le metteur en scène. Acclamé à Cannes, le film raconte l’histoire d’une cinéaste dont la mère est sur le point de mourir et dont le dernier tournage est un chemin de croix, notamment en raison d’un acteur - immense John Turturro - passablement mauvais. Le Monde a déjà titré “Habemus Palmam” , la messe est donc finie ?

Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE

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