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Manolis Glezos, l’oracle de la Syriza

Des Nazis à la Troïka, Manolis Glezos, profession : résistant, n’a jamais vraiment manqué d’ennemis au cours des 75 dernières années. Plusieurs fois condamné à mort, emprisonné pendant 11 ans, torturé, il a vu de très nombreux camarades tomber et a passé sa vie à recevoir des coups. Et à en donner quelques-uns au passage. Au sein de Syriza, malgré le poids de ses 92 ans, l’insoumission chevillée au corps, il mène un nouveau, et peut-être dernier, combat contre ceux qui épuisent son pays et son peuple sur l’autel de l’austérité.

Manolis Glezos

Premier résistant d’Europe

La plupart des gens, dans le meilleur des cas, traversent l’Histoire. Manolis Glezos, lui, aura grandement contribué à l’écrire. Né en 1922 dans un petit village de l’île de Naxos, dans les Cyclades, parti à Athènes en 1935 et engagé dès l’adolescence dans la lutte antifasciste visant à empêcher la progression de Mussolini en Grèce, Manolis Glezos est en fait véritablement venu au monde un soir de printemps 1941. Les armées d’Hitler contrôlent alors son pays et fêtent la prise de la Crète. En guise de réponse, lui et son ami Apostolos Santas se décident à se frayer un chemin, sans arme, jusqu’à l’Acropole pour y déloger le drapeau nazi. L’opération est réussie. La Résistance est née. Pas seulement en Grèce, mais bel et bien dans toute l’Europe où des milliers de partisans vont s’inspirer de son acte de bravoure et d’insoumission. Le premier d’une longue série.

Pas de fausse modestie ici. Glezos et Santas n’ont jamais cherché à minimiser leur geste dont ils ont immédiatement compris la portée. En revanche, pas question de s’attribuer tous les mérites ou de s’accaparer ceux des autres. Celui que le général de Gaulle a qualifié de “premier résistant d’Europe” conteste ce titre honorifique. Il s’agissait en fait de Mathios Potagas, un autre Grec, âgé de 17 ans, qui avait barré la route à une colonne allemande le 2 mai 1941. Pour cela, “ils lui ont écrasé la tête à coups de pierre” , se rappelle Manolis Glezos.



Interview de Gabriel Colletis, économiste, sur les défis politiques, économiques et sociaux de la Syriza

Des camarades, il en a perdus un nombre effrayant. Pendant la Seconde guerre mondiale, durant les années noires du régime des Colonels, mais peut-être surtout en 1948 alors que le pays sombre dans la guerre civile sur fond de guerre froide. “J’ai perdu 118 camarades. Ils ont été exécutés pendant la guerre civile. A cette époque, avant chaque bataille, on se fixait des objectifs, on annonçait nos rêves et nos buts, parce qu’on savait que tout le monde ne reviendrait pas vivant. On voulait que les survivants parviennent à réaliser quelques-uns de ces rêves. Et c’est moi qui ai survécu le plus longtemps” . Le feu des résistants qui l’anime encore plus d’un demi-siècle après, alors que ses jambes ont plus de mal à le porter.

Un timbre soviétique à son effigie, Winston Churchill frôle la mort

Il faut dire que durant ces années en première ligne Manolis Glezos en a vu de toutes les couleurs. Durant la Seconde guerre mondiale, il fait trois douloureux séjours en prison. Arrêté par l’occupant nazi, les fascistes italiens et les collaborationnistes grecs, il est torturé et condamné à mort, toutefois sans que la sentence ne soit exécutée. Condamné à mort, il l’est de nouveau en 1948. Il survit cette fois grâce à une forte mobilisation internationale. En 1958, c’est pour espionnage - un chef d’accusation à l’époque bien commode pour mettre à l’ombre les agitateurs - qu’il est emprisonné. L’Union soviétique imprime alors un timbre à son effigie en guise de soutien et lui remet le prix Lénine pour la Paix en 1962. Enfin, en 1967, la prison et l’exil s’imposent une nouvelle fois à lui alors que le coup d’Etat place au pouvoir les désormais tristement célèbres Colonels. Entre 1941 et 1971, date de sa libération définitive, il aura passé plus de 11 années en prison, plus 4 autres en exil.

Timbre soviétique à l'effigie de Manolis Glezos

Timbre soviétique à l’effigie de Manolis Glezos

De cette période, Manolis Glezos conserve une méfiance vis-à-vis de l’Allemagne - il milite aujourd’hui encore, et avec virulence, pour le paiement de réparations à la Grèce, mais sous la forme de projets qui profiteraient directement aux Grecs - mais aussi des Etats-Unis et du Royaume-Uni qui ont soutenu le massacre de communistes et anciens résistants durant la guerre civile. Winston Churchill lui-même s’est retrouvé sur la route de Glezos, comme l’intéressé l’a confié en novembre dernier au Guardian. A la tête d’un important groupe de rebelles, il avait personnellement placé des explosifs sous l’hôtel faisant office de quartier-général pour l’armée britannique à Athènes, en 1944. Les charges étaient suffisamment puissantes pour envoyer le bâtiment dans l’autre monde, mais l’opération fut annulée in extremis pour ne pas assassiner l’un des héros de la Guerre.

Et de cette période, son engagement sort intact. Seules ses idées ont évolué. S’éloignant du Parti communiste, il fonde une formation de gauche radicale participant au Mouvement panhellénique, mieux connu sous le nom de PASOK. C’est sous cette étiquette qu’il est élu député en 1981 - il l’avait déjà été deux fois durant ses années de détention - et eurodéputé en 1984. Naturellement, l’alliance ne durera pas : le compromis étant globalement étranger à Manolis Glezos. C’est finalement au niveau local qu’il pourra faire de la politique comme lui et ses camarades l’avaient rêvé. Il transforme le conseil de la commune d’Aperathu en un autogouvernement au fonctionnement collégial. Un système qui marchera plusieurs années… tant que les citoyens resteront impliqués. Puis en 2000, Glezos fonde Synaspismos, une coalition de gauche radicale au sein de laquelle il fait campagne aux législatives, puis aux régionales en Attique en 2002.

Doyen du Parlement européen sous les couleurs de la Syriza

Pas forcément un hasard donc si le premier territoire que la Syriza contrôlera, une décennie plus tard, fut cette même région. Car c’est effectivement aux côtés du jeune Alexis Tsipras que Manolis Glezos participe à son dernier combat, contre ceux qui humilient les Grecs et “se préparent à abolir les Etats et la démocratie en utilisant l’arme de la dette” . Membre des Indignés, il est au premier rang des manifestations à partir de 2010, là où l’on peut renifler l’odeur des gaz lacrymogènes. En 2012, c’est même à l’infirmerie du Parlement grec qu’il est soigné. Quelques minutes plus tôt, on lui avait fermé la porte, alors qu’il y a accès de droit en tant qu’ancien élu. “Nous n’avions pas le droit de parler, mais j’étais là pour transmettre l’angoisse du peuple grec devant les mesures qu’ils allaient voter” , explique-t-il. Un silence pour le moins intimidant. “Toute ma vie, on a essayé de faire de moi un monument pour me faire taire. Je ne suis pas une statue ou un tableau, et je parle tout le temps” , poursuit-il.

En 2012, Manolis Glezos déclarait ainsi : “il faut des élections et il faut que les partis de la gauche s’unissent, laissent de côté leurs différends et saisissent l’occasion de gouverner” . Oracle de la Syriza, son vœu a été exaucé un peu plus de deux ans plus tard. Un temps finalement ridiculement court pour celui qui aura passé sa vie à se battre pour une certaine idée de la Grèce et de la démocratie. Pas totalement certain toutefois qu’il se comporte en bon soldat face au nouvel allié d’Alexis Tsipras, le “Grec indépendant” Panos Kammenos, conservateur eurosceptique au discours douteux. En même temps, celui qui est devenu le doyen du Parlement européen en 2014 - raflant au passage plus de voix que n’importe quel autre candidat en Grèce - a d’ores et déjà indiqué qu’il ne siègerait qu’un an. On le comprend, le vieil homme ne peut plus voyager en avion en raison des séquelles des tortures nazies et il doit gagner Bruxelles et Strasbourg en bateau puis en train.

Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE

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