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Libre-échange : le vent est-il en train de tourner pour l’Union européenne ?

La mondialisation à l’oeuvre depuis les années 1990 est-elle irréversible ? Les données récentes montrent que les échanges commerciaux sont en perte de vitesse, y compris entre l’Europe et le reste du monde. Une tendance à laquelle s’ajoutent l’hostilité croissante d’une partie de la population occidentale, les intentions protectionnistes du nouveau président américain ou encore le repli chinois. De quoi douter de l’avenir du libre-échange…

Libre-échange : le vent est-il en train de tourner pour l'Union européenne ?

Une perte de vitesse mondiale

Depuis la crise financière de 2008, le commerce international subit un ralentissement durable. Une situation qu’illustre notamment la crise des transports maritimes, qui impose à de nombreux ports et bateaux de suspendre leurs activités faute de commandes.

Ainsi, selon l’OMC, les échanges continuent bien d’augmenter, mais beaucoup moins qu’auparavant, et même moins que le PIB mondial pour la première fois en 15 ans. A cela plusieurs raisons : évolutions de la demande, mesures protectionnistes, ralentissement des libéralisations, poids de l’économie numérique…

Historiquement, on constate aussi souvent un retour protectionniste après des crises économiques, qui ont souvent des effets à plus long terme sur le commerce mondial.

Enfin, le ralentissement actuel serait aussi spécifiquement lié à la singularité de la crise de 2008 et à ses répercussions, le taux de croissance économique mondiale restant encore très faible - notamment en Europe. En 2012 et 2013, la croissance européenne morose et les crises des dettes souveraines ont eu un impact négatif sur la demande mondiale. Malgré le rebondissement du commerce intra-européen en 2014 et 2015, la croissance reste faible et en deçà des prévisions du FMI, qui parle de “stagnation persistante” .

Un ralentissement durable ?

Pour certains, comme le FMI ou les économistes du blog Bank Underground, le faible niveau de la demande mondiale et le manque d’investissement sont à l’origine du ralentissement des échanges.

Mais pour l’économiste Sébastien Jean (CEPII), un tiers seulement de ce ralentissement peut être expliqué par ces facteurs. Rétrospectivement, l’explosion rapide du commerce avant la crise a constitué une phase unique, où la spécialisation verticale de production au niveau international - la fragmentation de la production entre différentes régions du monde spécialisées dans certaines phases de réalisation d’un produit (conception, production…) - s’est très rapidement accrue.

Cette période contraste avec la situation actuelle, où cette spécialisation est en train de s’estomper. Il s’agit d’un changement structurel qui pourrait être un élément majeur du ralentissement des échanges, selon le FMI. Un argument qui conforte la thèse selon laquelle cette décroissance apparente ne serait qu’une stabilisation après la période d’hypermondialisation des années 1990 - 2000.

Autre facteur majeur : l’économie chinoise, moteur de la croissance mondiale pendant cette période, est de son côté en train de passer d’un modèle exportateur à un modèle plus orienté vers la consommation domestique. Or il n’existe pas actuellement d’autre économie émergente aussi importante qui pourrait prendre sa place.

Contacté par Toute l’Europe, Olivier de Laroussilhe, ancien Chef d’unité à la Commission Européenne (DG Commerce) et Professeur à Sciences Po, résume ainsi les causes, à la fois structurelles et conjoncturelles, du ralentissement : “la réorientation du modèle asiatique et notamment chinois vers une croissance plus autocentrée, une baisse de la demande des pays développés, le ralentissement du rythme de libéralisation des échanges, ainsi qu’un essoufflement de la fragmentation géographique du processus de production” .

Les incertitudes de l’ “ère Trump” et du Brexit

Deux autres événements majeurs devraient avoir des effets importants sur le commerce européen : l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et le futur retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Les discours du nouveau président américain montrent une forte méfiance vis-à-vis des accords multilatéraux et remettent en cause le libre-échange américain. Donald Trump a notamment promis une renégociation de l’ALENA et signé le 24 janvier un acte de retrait du partenariat transpacifique (TPP).

Les dirigeants européens essaient quant à eux de décrypter ses orientations quant au projet de partenariat transatlantique (TTIP), déjà mal engagé en 2016. Alors que le conseiller économique du président américain a critiqué l’Allemagne pour avoir injustement profité de l’euro, le programme de Trump reste, y compris dans ses relations avec les Européens, surtout marqué par l’incertitude.

Les effets du Brexit sur le commerce européen restent aussi incertains. Le gouvernement britannique cherche un libre-échange “raisonné” et un nouveau traité “équilibré” avec l’UE, mais semble toutefois prêt à restreindre ses échanges commerciaux avec l’Union européenne, notamment pour pouvoir limiter en contrepartie la libre-circulation des personnes. Tant que les négociations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ne sont pas achevées, les conséquences économiques du Brexit restent imprévisibles.

Le CETA, cas d’école pour les négociations futures ?

Face au dumping chinois, l’UE a renforcé fin 2016 sa législation anti-dumping. Un pas en avant pour une Europe considérée jusque-là comme trop timide, ou début d’un repli protectionniste ? Pour Olivier de Laroussilhe, “L’UE prend toujours soin de maintenir sa politique anti-dumping dans le cadre des règles de l’OMC et est un utilisateur modéré des mesures de défense commerciale. Il ne s’agit donc pas d’un virage protectionniste” .

Le cas de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada (CETA), le plus récent des accords dit de nouvelle génération, suscite autant d’espoirs que de craintes pour l’Union européenne. Les renégociations souhaitées par la Wallonie en octobre 2016 avant la signature du traité, ont montré la difficulté de trouver un équilibre entre la légitimité démocratique dans la ratification des traités et l’efficacité politique.

La contestation du CETA a été alimentée par l’idée qu’il constituait un modèle des futurs accords entre l’UE et les autres économies développées. Une représentation toutefois nuancée par certains, comme le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois pour qui “en aucun cas, le CETA n’est une plate-forme qui permettra d’introduire le TTIP par une porte dérobée” . Mais pour d’autres le CETA représente toujours un cheval de Troie des accords à venir.

Malgré son approbation (le Parlement européen l’a adopté le 15 février 2017) et la négociation d’autres accords commerciaux en cours, “le libre-échange ne fait plus recette en Europe” , juge par ailleurs un diplomate bruxellois. Et les débats entourant le CETA (protection des agriculteurs, tribunaux d’arbitrage, normes environnementales, sociales, et juridiques…), qui ont eu un fort impact sur le contenu final de l’accord, vont surement continuer à peser sur les négociations à venir.

Par ailleurs, une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pourrait faire considérablement évoluer les futures négociations commerciales, en imposant un accord de tous les Etats membres avant la signature de certains traités.

Enfin, les doutes et critiques vis-à-vis du libre-échange semblent de plus en plus marqués dans l’opinion publique européenne, à droite comme à gauche. La méfiance d’une partie de la population porte sur des questions tant économiques que sociopolitiques ou environnementales. La mondialisation est ainsi accusée d’accentuer les inégalités, en particulier les inégalités de revenus au sein d’un même pays, d’augmenter le pouvoir des multinationales au détriment de celui des Etats (comme l’a montré la question sur les tribunaux d’arbitrage prévus par le CETA), ou encore de nuire à l’environnement (la compatibilité des accords de libre-échange avec l’Accord de Paris sur le climat est posée).

Quel avenir pour le libre-échange ?

Le libre-échange semble être entré dans une nouvelle ère. D’un côté, l’Union européenne dans son ensemble continue de souligner les effets positifs des accords de libre-échange. Ainsi, selon le site du Parlement européen, les avantages de ces accords sont considérables. Les prévisions de réduction pour moitié des droits de douane imposés aux exportations de l’Union permettraient une augmentation de 2 % du PIB européen, selon l’institution.

Pour l’ancien directeur général de l’OMC Pascal Lamy, le ralentissement actuel des échanges mondiaux pourrait n’être qu’une pause. Une opinion à laquelle adhère également le commissaire européen Jyrki Katainen, pour qui le libre-échange est “une vache que nous pouvons traire” . Et de fait, l’Union européenne négocie actuellement des traités avec le Japon, la Nouvelle Zélande, l’Australie, et la Tunisie.

Mais d’un autre côté Bruxelles a du mal à défendre ces accords face au scepticisme des citoyens européens. L’UE reste divisée entre ceux qui promeuvent le développement d’un “commerce pour tous” et les partisans d’un retour au protectionnisme.

Enfin, même si l’Europe décidait de restreindre ses échanges avec le reste du monde, le libre-échange continuerait à se développer, juge par exemple le think-tank libertarien GenerationLibre. Y compris en dehors du système multilatéral actuel et en dépit d’un retrait des pays occidentaux.

Article dirigé par Toute l’Europe et réalisé avec des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif

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