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Libre circulation des travailleurs et espace Schengen : pourquoi il ne faut pas confondre

L’information fait la Une de l’actualité lundi 30 septembre : le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius considère “très difficile” d’envisager l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen en 2014. En plein débat médiatique autour des Roms, le sujet a été repris par une bonne partie de la presse française, qui rappelle que les mesures transitoires concernant les travailleurs roumains et bulgares prendront pourtant fin le 31 décembre 2013. Entre marché unique et espace Schengen, le point pour s’y retrouver.

Visa Schengen (c) Fotolia

Pourquoi la Roumanie et la Bulgarie, membres de l’Union européenne depuis 2007, ne sont-ils toujours pas membres de l’espace Schengen ?

L’Union européenne est aujourd’hui composée de 28 Etats membres … qui ne sont pas tous membres de l’espace Schengen. Ainsi, ce dernier comprend 26 pays, dont 22 membres de l’Union et 4 pays associés, l’Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein.

Parmi les Etats membres de l’Union européenne, le Royaume-Uni et l’Irlande bénéficient d’un statut particulier dans la mesure où ils ont obtenu de ne participer qu’à une partie des dispositions Schengen (clause d’opt out). Le Royaume-Uni participe cependant à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, la lutte contre les stupéfiants et le Système d’information Schengen (SIS). L’Irlande, quant à elle, participe essentiellement au SIS. Les deux Etats conservent ainsi le droit de contrôler les personnes à leurs frontières, et de ne pas soumettre aux législations européennes concernant les visas, l’asile et l’immigration. Chypre n’a également pas souhaité adhérer à Schengen pour le moment.

Pour les trois pays restants, la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie, les raisons sont différentes. Les Etats membres de l’espace Schengen doivent accepter de les y accueillir. Pour cela, ces pays doivent remplir un certain nombre de conditions parmi lesquelles :

  • appliquer l’ensemble des règles Schengen, telles que les règles concernant les contrôles aux frontières terrestres, maritimes et aériennes, la délivrance de visas, la coopération policière et la protection des données à caractère personnel ;
  • prendre la responsabilité du contrôle aux frontières extérieures de la zone Schengen pour le compte des autres États Schengen et pour délivrer des visas uniformes de court séjour (visas Schengen) ;
  • coopérer efficacement avec les autres États Schengen afin de maintenir un niveau élevé de sécurité, une fois que les contrôles aux frontières intérieures sont supprimés.

La Commission européenne n’a pas de pouvoir décisionnel en la matière, mais elle rédige des rapports réguliers qui dressent le bilan des réformes entreprises par les pays souhaitant entrer dans l’espace Schengen. Depuis 2010, elle considère ainsi dans ses rapports que la Roumanie et la Bulgarie remplissent les conditions d’accès.

Dans ce domaine, les seuls décideurs restent les Etats membres, dont les ministres de l’Intérieur se réunissent en Conseil Justice et Affaires intérieures. Ils statuent à l’unanimité. Un seul veto, et la décision est reportée. C’est le cas depuis 2011 pour la Bulgarie et la Roumanie, face au veto des Pays-Bas.

Qu’implique cette exclusion de l’espace Schengen pour les citoyens roumains et bulgares ?

L’appartenance à l’espace Schengen a pour effet direct d’ouvrir les frontières (terrestres, maritimes et aériennes) entre les Etats qui en sont membres. Les citoyens ressortissants de pays membres de l’Union mais non membres de l’espace Schengen restent donc soumis aux règles nationales de chaque pays concernant l’entrée et le séjour des étrangers sur son territoire.

Ainsi en France, c’est le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui s’applique aux citoyens bulgares et roumains. Il prévoit que ces citoyens, qui devront justifier de leur identité lors de leur entrée sur le territoire français, et ne devront pas représenter une menace (au risque de se faire refuser l’entrée) ne peuvent séjourner en France plus de trois mois que s’ils justifient d’une activité professionnelle, de ressources suffisantes, d’une inscription dans un établissement d’enseignement ou de formation professionnelle, d’un lien de parenté avec une personne établie légalement en France etc (article L 121-1). Ces règles s’appliquent aux ressortissants des pays membres de l’UE, de l’Espace économique européen ou suisses qui ne font pas partie de Schengen.

Que sont les mesures transitoires actuellement appliquées par certains Etats membres dont la France, et qui prennent fin au 31 décembre 2013 ?

Les mesures transitoires concernent la libre circulation des travailleurs permise dans l’Union européenne. Les traités ont depuis 1992 poursuivi l’achèvement du marché unique qui permet la libre circulation des biens, services et capitaux mais aussi des personnes, compris comme travailleurs. Tout ressortissant d’un pays membre de l’UE est réputé pouvoir travailler ou s’établir pour exercer son activité professionnelle dans un autre pays membre de l’Union.

Cependant, lors de l’entrée d’un pays dans l’Union européenne, les Etats qui en sont déjà membres peuvent décider de limiter pour un temps le droits de ces nouveaux citoyens européens à travailler sur leur territoire. C’est le cas pour la Roumanie et la Bulgarie, ainsi que pour la Croatie qui est entrée le 1er juillet dernier. Les citoyens croates devront obtenir un permis de travail s’ils souhaitent travailler dans 13 pays de l’Union (Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Royaume-Uni et Slovénie) au moins jusqu’au 30 juin 2015.

Cette procédure comprend trois phases : pendant la première, les pays qui le souhaitent peuvent décider de ne pas appliquer aux nouveaux entrants la réglementation européenne sur la circulation des travailleurs et donc d’appliquer la législation nationale, ce qui revient la plupart du temps à exiger un permis de travail. Pendant la seconde phase, les pays doivent notifier, et donc justifier, auprès de la Commission européenne leur souhait de ne pas appliquer la législation européenne pendant trois années supplémentaires. Lors de la troisième et dernière phase, seule une perturbation grave ou une menace de perturbation grave de leur marché du travail peuvent justifier l’application des législations nationales.

En tout état de cause, l’application des mesures transitoires aux Etats membres de l’Union ne peut excéder sept années. Pour la Bulgarie et la Roumanie, la première phase a pris fin en décembre 2008. Huit Etats membres, dont la France, l’Allemagne ou encore l’Espagne ont décidé de les étendre trois ans de plus, soit jusqu’au 31 décembre 2011.

La France a, avec d’autres pays, décidé d’étendre cette restriction jusqu’à la date limite, soit le 31 décembre 2013. Pendant cette période, les citoyens Roumains et Bulgares peuvent travailler, mais seuls 291 métiers qui connaissent des difficultés de recrutement leur sont ouverts. Pour travailler en France, ces citoyens doivent obtenir un permis de séjour d’une durée de cinq ans (sauf s’ils sont diplômés d’un Master ou d’un diplôme équivalent obtenu en France). Au bout de ces cinq années, les travailleurs peuvent obtenir un titre de séjour permanent s’ils n’ont pas interrompu leur activité professionnelle plus de 2 ans consécutifs.

Que va changer la fin de la période transitoire, effective au 1er janvier 2014 ?

Ces mesures transitoires concernent la libre circulation des travailleurs. Leur fin au 31 décembre 2013 n’aura qu’une seule conséquence : les travailleurs roumains et bulgares ne seront plus limités aux 291 métiers qui leur sont actuellement ouverts mais pourront pourvoir ou tenter de pourvoir tout emploi proposé en France.

Leur entrée sur le territoire restera cependant soumise à un contrôle à la frontière. Ils devront toujours obtenir un permis de séjour. S’ils ne trouvent pas d’emploi en France, ils ne pourront pas (sauf études ou rapprochement familial) rester plus de trois mois sur le territoire français.

Les Etats membres peuvent-ils repousser l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen ?

Ce sont les pays actuellement membres de l’espace Schengen qui décideront, lors du Conseil JAI de décembre 2013, s’ils intègrent, à l’unanimité, la Bulgarie et la Roumanie dans Schengen.

Le seul pays à exprimer sa totale opposition est pour le moment les Pays-Bas. La France et l’Allemagne ont jusqu’alors exprimé des réticences et proposé une stratégie en deux étapes : ouverture des frontières maritimes et aériennes dans un premier temps, terrestre dans un second temps plus lointain.

A l’heure actuelle, rien ne permet de deviner quelle sera l’évolution de la position néerlandaise. Si les rapports de la Commission sont positifs, ceux du mécanisme de contrôle et de vérification qui portent principalement sur la corruption, montrent des efforts du côté roumain … mais des régressions du côté bulgare. Or il n’est pas envisageable ni envisagé d’intégrer l’un sans l’autre, et si ces rapports n’ont pas de force juridique ils pèsent tout de même dans les choix des Etats membres.

Quelle sera la position des Pays-Bas, de la France ou de l’Allemagne ? La seule certitude est qu’un seul veto suffira à reporter à nouveau la décision. Pour la prendre, les Etats n’ont cette fois pas de date butoir.

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