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Les jeunes Espagnols et la crise : un défi pour le pays et pour l’Europe

La poussée du chômage des jeunes due à la crise économique est un moment restée dans l’ombre d’autres préoccupations européennes, comme les menaces de banqueroute des Etats souverains et d’éclatement de la monnaie unique. Mais en 2013, le fort taux de chômage de cette catégorie de la population focalise désormais l’attention des dirigeants européens. Ces derniers craignent en effet qu’une génération entière livrée à un chômage de masse perde espoir et abandonne ainsi toute confiance dans la construction européenne, ce qui ne manquerait pas de mettre en grand danger l’unité actuelle. L’intervention de Jacques Attali, essayiste français, lors d’une conférence à Paris illustre précisément ce problème potentiel : “si j’avais vingt ans aujourd’hui, je me poserais la question suivante : ne devrais-je pas me trouver ailleurs qu’en Europe ? Et si je décide de rester ici, dois-je m’investir en politique ? Ou ne devrais-je pas plutôt faire partie d’une révolution pour changer ce monde qui sera sinon un désastre pour moi ?”.

Ces questionnements européens trouvent un reflet particulièrement évident en Espagne, où le sauvetage des banques a longtemps eu la priorité sur l’augmentation continue du chômage des jeunes. De nos jours néanmoins, trouver une réponse à ce défi semble être le problème majeur des dirigeants espagnols. Entre 2007 et 2012, le taux de chômage des 15-24 ans a augmenté de 18,2% à 53,2% [1]. En comparaison avec la moyenne européenne, l’évolution de ces taux apparait ainsi encore plus dramatique en Espagne. Même 2013 n’a pas vu d’amélioration puisque ce taux a déjà atteint 56,5% en mai, selon Eurostat [2]. De même, au sein des 25-29 ans, le taux de chômage a grimpé de 9,2% en 2007 à 32,2% en 2012 [3]. Pourquoi les jeunes Espagnols paient-ils si cher la crise ?

Boom immobilier et législation du travail

Le taux de chômage des jeunes Espagnols a atteint de tels pour deux raisons. Le premier facteur est lié au boom de la construction immobilière avant la crise, qui assurait d’assez bons salaires même pour des travailleurs peu qualifiés. Cela a poussé de nombreux jeunes à quitter l’école de manière précoce juste après avoir terminé leur éducation obligatoire, pour gagner aussitôt de l’argent sur les chantiers de construction. En conséquence, le taux des jeunes renonçant prématurément à l’enseignement était de 31% en 2007 [4], soit le double de la moyenne européenne d’alors (15%). Lorsque la bulle immobilière éclata en 2008, les pertes d’emploi dans ce secteur furent donc innombrables. Sans autre formation que l’école obligatoire, trouver un nouveau métier relève aujourd’hui de l’exploit.

Le second facteur réside dans la dualité du marché du travail espagnol. Ce dernier présente un fort contraste entre les travailleurs engagés en CDI (contrat à durée indéterminée) et ceux en contrat temporaire [5]. Un fossé principalement dû à la législation espagnole sur la protection des travailleurs, qui fixe un coût très élevé au licenciement des employés en CDI en particulier par le versement de fortes indemnités. De plus, le recrutement d’employés en contrat temporaire et la durée maximale de ces contrats temporaires étaient jusqu’à récemment peu réglementés. Par exemple, pour mener à bien un ouvrage dont la durée était incertaine, comme la construction immobilière, un contrat temporaire pouvait être étendu sur une période illimitée. Voulant éviter le peu de flexibilité offerts par les contrats CDI, les employeurs se sont donc excessivement tournés vers ces contrats temporaires peu réglementés et en ont notamment abusé pour les jeunes en début de carrière. En 2008, 59% des travailleurs de 16-24 ans et 42% de ceux de 25-29 ans se sont ainsi retrouvés employés seulement en contrat temporaire [6]. Sans surprise, ils ont été les premières victimes de la récession économique en 2008.

Une réaction tardive de l’Espagne et de l’Union européenne

De 2010 à 2012, le gouvernement espagnol a lancé des réformes qui visent à réduire le fossé entre CDI et contrats temporaires, et qui devraient indirectement bénéficier aux jeunes travailleurs. La protection des travailleurs en CDI a été réduite à travers la diminution des indemnités de licenciement, alors que la protection des employés en contrat temporaire a en contrepartie été augmentée par la hausse de leurs indemnités de licenciement. De plus, les contrats temporaires qui sont justifiés sur la base de l’accomplissement d’un travail de durée incertaine, comme les travaux de construction, sont désormais limités à une durée maximale de trois ans. D’autres mesures ont directement visé à réduire le taux de jeunes sans emploi, notamment par des avantages fiscaux, des réductions sur les contributions de sécurité sociale et des subventions salariales pour les entreprises embauchant des jeunes. Ces réformes n’ont cependant jusque là pas réussi à contrecarrer la hausse constante du chômage des jeunes, comme le montrent les chiffres plus hauts.

En février 2013, l’Union européenne a commencé à réagir. Les 7 et 8 février 2013, le Conseil européen a proposé une “Initiative pour l’emploi des jeunes” avec un budget de 6 millions d’euros pour la période 2014 - 2020. Le Conseil s’est également prononcé pour que la plupart des fonds engagés dans cette Initiative soient utilisés pour le programme “Garantie Jeunesse” . Dans le cadre de ce programme, chaque Etat membre devra, en fonction de ses besoins, mettre en place des mesures pour s’assurer que les jeunes de 25 ans et moins reçoivent un emploi, une formation continue, un apprentissage ou un stage dans un délai de quatre mois après la fin de leur parcours scolaire ou après une période de chômage. Pour appliquer la “Garantie Jeunesse” , Mariano Rajoy a présenté en mars 2013 la “Stratégie 2013-2016 de l’entreprenariat et de l’emploi des jeunes” [7]. Cette stratégie comprend 100 mesures différentes qui sont destinées à réduire le chômage des jeunes par des appels d’offres sur le marché du travail, par l’encouragement à l’entreprenariat et par une amélioration de la formation et de l’apprentissage. Outre l’argent que l’Espagne doit recevoir pour la mise en place de ce programme, le gouvernement espagnol a dégagé 3,5 millions d’euros complémentaires pour les quatre prochaines années.

Une série de mesures, encore à l’état de projet mais plus concrètes pour combattre le chômage des jeunes au niveau européen, ont été présentées par les ministres français et allemand du Travail et des Finances lors d’une conférence à Paris le 28 mai 2013. Cette initiative, baptisée “New Deal pour l’Europe” , prévoit trois piliers : un accès facilité au crédit pour les PME, considérées comme la principale source de formation et d’emploi des jeunes ; un programme d’apprentissage en alternance, sur le modèle de l’Autriche et de l’Allemagne ; enfin la mobilité des jeunes Européens devra être encouragée sous la forme d’un ERASMUS de l’apprentissage. Cette initiative doit être discutée au prochain Conseil Européen les 27 et 28 juin 2013, en présence de tous les chefs d’Etat et de gouvernement européens. Selon le président du Conseil Mr. Van Rompuy, l’objectif de ce sommet est justement d’accélérer l’adoption et la mise en place de toutes les mesures prises ou envisagées pour combattre le chômage des jeunes afin qu’elles deviennent pleinement opérationnelles en janvier 2014.

L’expatriation comme solution ?

En attendant que ces réformes fassent effet, les jeunes chômeurs n’ont pas trouvé d’autre issue que de quitter leur pays. En avril 2013, des centaines de jeunes ont protesté et pris part, à Madrid et dans 30 villes dans lesquelles ils ont émigré, à des manifestations organisées par le groupe “Juventud Sin Futuro” (JSF, jeunesse sans futur). L’un de leurs slogans, déployé sur des banderoles, affirmait : “on ne part pas, ils nous virent” , tandis qu’ils chantaient : “on ne veut pas partir” . L’association JSF s’insurge que “toute une génération doive à présent choisir entre chômage, précarité et exil” . Le site internet “No nos vamos, nos echan” recueille à ce sujet autour de 7 000 témoignages désabusés de jeunes Espagnols ayant quitté leur pays ou envisageant de le faire.

Pour ceux qui ont eu la chance de trouver un emploi à l’étranger, le séjour est parfois vécu autrement que comme un exil. C’est notamment le cas de Miguel, qui a quitté l’Espagne en 2011 avant d’être employé comme ingénieur au Muséum national d’Histoire naturelle, à Paris. Il avait déjà quelques compétences en français, mais la maitrise de la langue n’était pas le principal pré-requis pour cet emploi, et de toute manière “l’apprentissage de la langue, ça vient facilement !” , assume-t-il. Il est depuis bien installé à Paris et ne prévoit pas de rentrer en Espagne pour le moment.

De tels exemples renforcent la conviction chez certains que la recherche d’emploi à l’étranger peut être l’une des solutions pour les jeunes Espagnols. Pour le député européen (PPE) Pablo Zalba Bidegain par exemple, le fait que la main d’œuvre se déplace en fonction de la demande contribuerait à contrebalancer certains déséquilibres au sein de l’Union européenne, comme c’est le cas aux Etats-Unis.

Le futur en Espagne, l’eurodéputé le voit positif. Il attend le retour de la croissance économique fin 2013 et de nouvelles créations d’emploi début 2014, ce qui améliorerait enfin la situation des jeunes. Miguel lui, est plutôt convaincu qu’il faudra encore longtemps avant que la situation économique de son pays ne s’améliore significativement. Les prévisions économiques du printemps 2013 de la Commission européenne [8] prédisent elles une croissance négative du PIB espagnol jusqu’à la fin 2013 ; le retour de la croissance n’est donc pas prévu avant le début 2014. La tendance pour l’Europe est à peine meilleure, avec une croissance qui, lentement, redeviendra positive durant le second semestre 2013. En attendant, sans un véritable rétablissement de l’économie, il est peu probable que les entreprises puissent créer de nouveaux emplois. Il faut donc désormais attendre de voir si les mesures prisent peuvent être suivies d’effets sur la situation des jeunes en Espagne et en Europe.

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