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Le numérique américain a-t-il colonisé l’Europe ?

Sans même nous en rendre compte, le numérique s’est immiscé dans tous les pans du quotidien et a infiltré tous les domaines d’activité : le commerce bien sûr, mais aussi la santé et l’éducation. D’ailleurs, vous avez peut-être découvert cet article grâce à Google, avec votre ordinateur Apple que vous allumez chaque jour pour consulter Facebook et que vous avez acheté sur Amazon. Ces quatre entreprises surpuissantes sont surnommées GAFA et forment une sorte de quatuor sacré du numérique tant elles ont envahi notre vie au jour le jour. Ce nouveau secteur incarne le futur de l’économie et représente un potentiel de croissance majeur. Si les Américains l’ont compris depuis bien longtemps, force est de constater que les Européens ont mis beaucoup plus de temps à le réaliser et ont accumulé beaucoup de retard dans ce domaine, au point de laisser ces entreprises numériques envahir et dominer l’Europe en la matière.

Les entreprises américaines du numérique

Certes, les GAFA sont des entreprises novatrices et audacieuses ; elles ont révolutionné leur époque. Néanmoins, plus les années passent, et plus elles perdent de leur superbe. Car leur réussite n’est pas uniquement due à la qualité de leurs services ou à leur énergie, mais doit aussi beaucoup à leurs pratiques douteuses. Entre une utilisation des données personnelles plus qu’opaque et une fâcheuse tendance à l’optimisation fiscale, leur domination peut facilement sembler déloyale.

Face à cette concurrence faussée, la Commission européenne a réagi et a plusieurs fois condamné des entreprises américaines à des amendes très lourdes. Elle enquête d’ailleurs aujourd’hui sur Google pour abus de position dominante et prévoit de s’attaquer à Amazon.

GAFA

Une suprématie récente, mais totale

En matière numérique, l’hégémonie américaine est incontestable. Elle suscite souvent l’admiration et est d’autant plus surprenante qu’elle s’est imposée à la vitesse de la lumière. Les GAFA sont essentiellement des entreprises très jeunes, il y a vingt ans la plupart n’existaient pas : Google est apparu en 1998 et Facebook en 2004. Seul Apple remonte aux années 1970.

Il est en effet longtemps resté dans l’ombre de Microsoft avant d’effectuer un virage à 360 degrés au début des années 2000 en proposant des produits innovants et design via des campagnes de communication à la fois grandioses et agressives. Une stratégie payante qui l’a hissé parmi les deux plus grandes entreprises high-tech au monde et dont le co-fondateur suscite aujourd’hui une véritable adoration par ses fidèles consommateurs.

Dates clés

8 juin 2015 : Apple lance ‘Apple Music’, son service de streaming musical
15 avril 2015 : La Commission attaque Google pour abus de position dominante
11 juin 2014 : Ouverture d’une enquête sur les activités d’optimisation fiscale d’Apple
6 mars 2013 : La Commission condamne Microsoft pour abus de position dominante
Février 2004 : Création de Facebook
Avril 1976 : Création d’Apple
Septembre 1998 : création de Google
Juillet 1994 : Création d’Amazon

Aujourd’hui, sur les 10 sites les plus visités au monde 9 sont affiliés à des acteurs américains et 80 % de leurs utilisateurs ne sont pas localisés sur le continent nord-américain. En outre, les Etats-Unis représentent 83 % de la capitalisation boursière des entreprises numériques, contre 2 % en Europe.
Les entreprises américaines se sont imposées partout : les moteurs de recherche, les achats en ligne, les plateformes, les systèmes d’exploitation… En 2013, iOS (Apple), Android (Google) et Windows Phone (Windows) concentrent en effet 97 % du marché mondial.

La force de ce numérique américain ? Un fort investissement dans la recherche et le développement dans divers secteurs, pour la plupart méconnus ou en germe (lunettes, montres numériques etc.), une réactivité de chaque instant qui leur permet d’innover en permanence et enfin, une absorption quasi systématique des nouveaux concurrents potentiels. Entre 2012 et 2014, les GAFA ont réalisé un tiers des fusions-acquisitions mondiales. Ainsi, Google est propriétaire de parts chez Uber et Amazon chez Airbnb. Par ailleurs, ces firmes disposent d’une avance numérique et technologique telle que le retard pris est de plus en plus difficile à rattraper par les aspirants rivaux.

Enfin, et c’est sûrement leur principal atout, les GAFA jouissent d’une influence considérable grâce à leur relation privilégiée avec les internautes du monde entier. Des internautes prêts à divulguer leurs informations personnelles à ces géants du net qui réutilisent toutes ces données à des fins… pour le moins inconnues.

Et c’est bien là que le bât blesse. Les produits et services proposés par Google, Amazon, Facebook et Apple ont beau avoir révolutionné notre existence et nous servir au jour le jour, leur suprématie irrite beaucoup. Pas seulement leurs concurrents, mais aussi leurs utilisateurs eux-mêmes.

Le scandale de la NSA révélé en 2013 par Edward Snowden a été une véritable douche froide pour de nombreux internautes du monde entier : tout ce que vous partagez en ligne ou via votre téléphone mobile peut aisément tomber entre les mains des services secrets américains avec la complicité des GAFA.

Optimisation fiscale

La mauvaise manie de l’optimisation fiscale

Les griefs contre les grandes entreprises américaines du numérique ne s’arrêtent pas là. Si les GAFA ont réussi à s’implanter en Europe avec une telle aisance, c’est qu’ils n’y créent quasiment pas d’emplois et, surtout, n’y paient presque aucun impôt en pratiquant l’optimisation fiscale : Google, Apple, Facebook et Amazon exploitent chaque faille du système fiscal de l’Union européenne en pratiquant l’évasion fiscale à grande échelle et le contournement réglementaire.

Le principal avantage des entreprises numériques est qu’elles commercialisent des biens et des services dématérialisés, effaçant ainsi tout obstacle géographique. De fait, elles peuvent librement choisir les pays ayant la fiscalité la plus avantageuse. Ainsi, le Luxembourg, où de nombreuses firmes comme Amazon, Netflix, eBay, ou encore Apple se sont installées, permet de bénéficier d’une TVA à 17 % sur l’ensemble de ses ventes digitales. L’Irlande, de son côté, représente un véritable royaume des sièges européens de sociétés américaines qui ne paient qu’une taxe de 12,5 %, quand la France impose à 33 %.

Enfin, des tours de passe-passe tels que le “double irlandais” ou le “sandwich néerlandais” permettent d’échapper à l’imposition. Dans ces circonstances, la concurrence est donc forcément faussée vis-à-vis des entreprises numériques européennes qui, elles, paient leurs impôts.

Or, l’Union européenne s’est toujours montrée incapable d’imposer aux entreprises numériques une fiscalité plus juste et à la mesure de leur suprématie sans pour autant pénaliser les entreprises européennes.
La tâche n’est pas aisée, car la nature même des entreprises numériques, unique en son genre et fondée notamment sur la non-localisation des activités et sur l’exploitation des données, rend la taxation de ces firmes complexe. Un nouveau système doit être inventé spécifiquement pour ce type d’entreprises, mais cela prendra du temps et nécessitera une harmonisation entre les différents Etats membres.

Quand l’UE contre-attaque

Si l’Union européenne ne peut attaquer les GAFA sur le terrain de la fiscalité, elle dispose néanmoins d’autres outils. Le droit de la concurrence européen interdit toute activité susceptible de restreindre et d’affecter le commerce entre pays de l’Union européenne. Sont visées par cette réglementation toutes les entreprises - européennes ou non - ayant des activités au sein de l’Union européenne.

En vertu de ce principe, la Commission européenne détient le pouvoir d’agir : elle peut constater une infraction au droit de la concurrence, enquêter sur l’entreprise incriminée et, le cas échéant, imposer des sanctions (souvent sous la forme d’amendes pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires). Et les conséquences sont réelles pour les firmes ne respectant pas les lois antitrust de l’UE : en 2004, la Commission a condamné Microsoft à une amende d’un montant de 500 millions d’euros. L’entreprise, tardant à régulariser la situation, a dû débourser au total 2 milliards d’euros de pénalités. En 2009, Intel a reçu une amende d’un milliard d’euros pour abus de position dominante.

Margrethe Vestager



Ancienne ministre de l’Economie et de l’Intérieur au Danemark, elle est commissaire européenne à la Concurrence depuis novembre 2014.
Sa pugnacité face aux grandes entreprises économiques telles que Google ou Gazprom qu’elle a décidé de poursuivre en justice font d’elle une personnalité européenne très médiatisée.

Si la Commission européenne a longtemps préféré privilégier les négociations, elle a fini par se rendre compte de l’inefficacité de cette stratégie et opte désormais beaucoup plus souvent pour la voie contentieuse. Amazon et Apple sont à ce jour sous la menace d’amendes colossales (2,5 milliards de dollars pour le second) pour leurs pratiques fiscales au Luxembourg et en Irlande.

Et dès son arrivée à la DG Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager a jeté un pavé dans la mare en s’attaquant directement au géant Google pour abus de position dominante. La Commission exige en effet une séparation entre ce qui est lié au moteur de recherche et le reste de l’activité commerciale de l’entreprise.

Ces actions en justice à l’encontre des GAFA ne vont sans doute pas porter atteinte à leur domination numérique en Europe, mais elles ont le mérite de montrer la fermeté de l’Union européenne pour contrer des pratiques déloyales.

Une chose est sûre, cette nouvelle n’enchante pas les Américains, le président Barack Obama en premier. Ce dernier a pointé du doigt le manque de “fair-play” de l’Europe face aux firmes américaines, les apparentant à demi-mot à du protectionnisme : “Parfois les réponses européennes sont davantage dictées par des intérêts commerciaux […] par exemple, les fournisseurs de services allemands, qui ne peuvent concurrencer les nôtres, tentent de mettre en travers de notre chemin des sortes de péages afin que nous ne puissions pas opérer correctement” . Et de conclure : “Nous avons possédé Internet. Nos sociétés l’ont créé, développé, perfectionné d’une manière que [les Européens] ne peuvent pas concurrencer” . Bref, les Etats-Unis ne risquent pas de lâcher leur trésor numérique si facilement.

Olivier Sichel, ancien PDG de Wanadoo et actuellement à la tête de LeGuide.com, considère que l’Europe ne devrait pas sous-estimer son potentiel. Selon lui, l’Union européenne a le pouvoir d’imposer ses propres conditions car les entreprises américaines ont absolument besoin du marché européen pour se développer et prospérer. Elles ne pourraient en effet pas se tourner vers la Chine ou la Russie, car leur système politique reste peu attrayant pour des entreprises américaines, dont l’absence a d’ailleurs finalement permis à des concurrents de s’y installer (en Russie, VKontakte remplace Facebook, de même que Yandex supplante Google), et les autres marchés seraient insuffisants.

Streaming musical

Un véritable potentiel européen

Il ne faut effectivement pas céder au pessimisme : non seulement l’Europe a le pouvoir de s’affirmer face la puissance américaine, mais elle regorge en outre d’entreprises florissantes.
Ainsi, deux entreprises européennes sont les leaders incontestés d’une partie du marché du numérique : le streaming musical. Longtemps sous-estimé par les Américains qui ont préféré développer l’achat en ligne, ce mode d’écoute de musique en ligne s’est de plus en plus répandu en Europe.

Le Suédois Spotify fondé en 2006 est devenu le n°1 mondial du secteur avec 40 millions d’utilisateurs, suivi par le Français Deezer qui est aujourd’hui implanté dans 180 pays et comptabilise 65 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Finalement, et pour une fois, c’est l’Europe et non les Etats-Unis qui a pris une longueur d’avance : en 2013, le streaming musical a augmenté de 32 %, tandis que l’achat de musique en ligne sur iTunes (la plateforme d’Apple) a baissé de 13 %. Et ce n’est que récemment qu’Apple a décidé d’exploiter le filon en lançant Apple Music. Il ne reste plus qu’à voir si la célèbre pomme pourra détrôner un jour les deux Européens sur ce secteur.

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