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“Le numérique a besoin de valeurs” - Entretien avec Maître Bensoussan, spécialiste du droit de l’informatique et des télécommunications

Présenté en septembre, le projet de loi français sur le numérique comporte un ensemble de mesures visant à protéger les libertés fondamentales. Mais ces efforts vont-ils assez loin ? Pour Alain Bensoussan, avocat spécialisé dans l’informatique et les télécommunications, les bouleversements du numérique nécessitent en effet de réfléchir à de nouveaux droits.

Maître Bensoussan spécialiste du numérique

Que pensez-vous du projet de loi pour une République Numérique ?

Les biens communs sont définis comme n’appartenant à personne, leur protection étant dès lors justifiée au nom de l’intérêt général (par exemple le ciel et l’espace). Par extension, les digital commons sont des ressources technologiques et scientifiques créées, gérées, distribuées et gouvernées par la communauté (par exemple la licence creative commons).

Le projet d’Axelle Lemaire comporte 2 thèmes structurants dans sa conception : les communs et la recherche scientifique. Au fondement de ce texte : l’idée qu’il existe des biens communs appartenant à l’humanité, et que la création de la recherche publique est un des éléments clés du devenir des hommes. Il n’y a pas de clivage politique à ce niveau-là : la recherche et la science sont universelles.

Qu’entend-on par droit à l’oubli ?

C’est un droit qui permet de ne pas considérer son passé comme futur. Il donne à chacun d’entre nous le droit d’être archiviste de son passé. C’est un droit merveilleux que la Cour de Justice de l’Union européenne a consacré l’an dernier et qu’il faut encore améliorer. Il faut cependant faire attention de ne pas frapper demain deux autres droits fondamentaux : le droit à l’histoire pour la connaissance des générations futures et le devoir de mémoire pour la protection des victimes. Elie Wiesel avait cette phrase magnifique : “Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli” .

Au niveau juridique, peut-on l’invoquer lors d’un litige ?

Dans l’arrêt González du 13 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que l’exploitant d’un moteur de recherche sur internet (en l’occurrence Google) était responsable du traitement des données personnelles apparaissant sur ses pages. Par conséquent, les particuliers peuvent sous certaines conditions obliger l’exploitant à supprimer ces données.

Oui, aujourd’hui, on peut invoquer l’arrêt Gonzalez au sein de l’Union européenne.

Est-il normal dans ce cas de le restreindre aux mineurs ?

Il y a un véritable problème au niveau des mineurs aujourd’hui. L’éducation des enfants n’est plus faite par les parents en raison de la fracture digitale : la plupart ne connaissent absolument pas les techniques utilisées par leurs enfants. Or jusqu’à présent les notions de bien et de mal étaient transmises par les parents. Aujourd’hui, les enfants ont trop d’avance. Dans l’attente d’une école qui offrirait cette protection aux données émises par les enfants, il faut créer un droit à l’oubli.

Est-ce le rôle de l’école ?

Oui, et l’école en est consciente. Elle prend de plus en plus en main le binaire du bien et du mal car la fracture générationnelle est trop forte. C’est un enjeu de mettre cette lourde tâche entre les mains des enseignants qui n’ont parfois pas eux-même la maîtrise digitale qu’ont les élèves. Il leur faudra beaucoup d’humilité, mais c’est un élément enthousiasmant pour les professeurs. Je suis pour les classes numériques et l’enseignement du code comme une langue en tant que telle dès l’âge de 3 ans.

La loi de 1978 consacre 4 droits fondamentaux : d’information (toute personne a le droit de savoir si et où elle est fichée), d’opposition (toute personne peut s’opposer à figurer dans un fichier sous motif légitime), d’accès (toute personne peut vérifier l’exactitude des données en obtenant une copie, à part si la conservation des données ne présente aucun risque) et de rectification (toute personne peut actualiser ou effacer les données erronées à son propos). Son application est contrôlée par la CNIL.

Au vu des projets législatifs en France et des décisions de la CJUE, êtes-vous optimiste pour le développement des droits numériques ?

La France a inventé la loi Informatique et libertés, devenue depuis une norme juridique : plus de cent pays aujourd’hui défendent ces droits de la même façon que la France en 1978, au temps des grands systèmes informatiques.

Je pense qu’avec le projet d’Axelle Lemaire, la France peut avoir la même ambition universelle dans la création des droits de l’homme du numérique. L’important est de défendre des valeurs, et le numérique en a besoin.

Interview réalisée dans le cadre d’un projet collectif avec Sciences Po Paris, dont les participants sont Aurore Taillet, Astrid Voorwinden et Hirotoshi Yamakawa.

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