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La mixité énergétique en Europe

Toute l’Europe, le Mouvement Européen - France et la Commission Europe du MEDEF ont organisé le jeudi 16 avril 2011 un débat “Quel mix énergétique pour l’Europe en 2020 ?” dans le cadre du cycle “Réalités européennes”.Réunis autour de ce thème sous la modération d’Ana Lutzky (Journaliste à l’Usine Nouvelle), Corinne Lepage (Eurodéputée ADLE, ancienne Ministre de l’Environnement), Sami Andoura (Chercheur senior, Notre Europe), Bruno Bensasson (Directeur de la stratégie et du développement durable de GDF Suez) ainsi que Benjamin Fremaux (Directeur de la Stratégie d’Areva) partagent un premier constat : la définition d’une mixité énergétique est nécessaire.

Ce débat se déroule dans un contexte difficile sur l’avenir de l’énergie en Europe, suite à la décision unilatérale de l’Allemagne d’abandonner progressivement le nucléaire jusqu’à l’arrêt du dernier réacteur prévu en 2022, et les hausses du prix des énergies.

Dans le cadre européen déjà existant, une plus grande coordination semble indispensable

Si des désaccords ont pu être perçus concernant les sources d’énergies à valoriser, la nécessité d’une plus forte coordination des grands choix énergétiques en Europe semble intéressante à leurs yeux. C’est notamment la position que défend Corinne Lepage. Celle-ci rappelle que “l’énergie devrait être un sujet de nature communautaire”, et déplore qu’une part du sujet échappe à cette dimension, à savoir le nucléaire.

Cela est dû au maintien du traité Euratom de 1957 qui prévoit toujours l’unanimité dans le processus décisionnel. Pour l’eurodéputée, cette procédure ralentit donc les avancées possibles au niveau européen, à l’exemple des stress tests prévus en Europe suite à l’accident nucléaire de Fukushima : “les stress tests ont été revus à la baisse suite à l’unanimité requise. Leurs champs d’application ont été restreints, ils ne sont plus obligatoires et la Commission n’est plus indépendante” .

Ce sujet reste très sensible entre les Etats membres : un consensus sur une possible évolution de la règle de l’unanimité concernant le nucléaire n’est, pour l’instant, pas à l’ordre du jour, même si la question d’une révision du traité Euratom lors de l’adoption du traité de Lisbonne s’était effectivement posée. Le rappel de la Grande-Bretagne sur ses droits avec Euratom afin de limiter les stress tests témoigne de cette tendance forte.

Par conséquent, Corinne Lepage regrette que les politiques plurinationales en Europe engendrent un réel manque de cohérence et d’harmonisation, qui pourrait se ressentir au niveau de la mixité énergétique choisie par chaque Etat. Un exemple : l’Allemagne qui décide de sortir du nucléaire unilatéralement alors que la centrale nucléaire française de Fessenheim ne se situe qu’à 1,5km de ses frontières.

Cette réflexion est largement partagée par Sami Andoura, qui atteste “qu’il existe une interdépendance technique, économique et politique et que les choix nationaux peuvent donc s’entrechoquer” sans la mise en place “au minimum d’une coordination des grands choix de politiques énergétiques nationales”. Les choix pris de manière unilatérale pourraient avoir des impacts économiques et sociaux. Le cadre européen datant de 50 ans sur ce sujet devrait évoluer, car selon lui, le vrai risque est l’immobilisme, voire même un certain retour au protectionnisme. Ainsi, dans ce contexte, “il faut craindre le retour des frontières énergétiques” et à l’inverse soutenir l’UE qui “s’est engagée à promouvoir un débat sur le mix énergétique à l’horizon 2050” .

A défaut d’une approche européenne, pourquoi ne pas développer au moins une approche régionale comme avec la zone Nord Pool, le marché nordique de l’électricité ? Sami Andoura précise qu’ici “les choix sont pris de manière complémentaire, coordonnée” entre la Suède, le Danemark, la Finlande et la Norvège. Et ajoute que pour influer cette dynamique, la France et l’Allemagne devraient jouer un rôle moteur comme ils l’avaient fait pour le paquet énergie-climat. Quant à l’énergie nucléaire, qui est par nature transfrontalière de nombreuses choses restent à faire au niveau européen, et notamment quant à la réparation des dommages : il faudrait une coordination voire une harmonisation des systèmes européens.

Si Bruno Bensasson et Benjamin Fremaux sont favorables à une plus grande coordination européenne, ils ont davantage insisté sur les difficultés qu’elle implique.

Benjamin Fremaux rappelle que toute politique énergétique, qu’elle soit européenne ou nationale doit répondre à trois objectifs distincts : (i) la sécurité d’approvisionnement, c’est-à-dire la capacité d’un Etat à satisfaire une demande d’énergie toujours croissante dont dépend son développement économique, (ii) la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages qui dépendent du prix de l’énergie et (iii) la lutte contre le réchauffement climatique liée aux émissions de gaz à effet de serre.

Bruno Bensasson rappelle que GDF Suez est partisan d’un marché unique européen, notamment pour des raisons géographiques, mais ne recommande pas une uniformité des politiques énergétiques. Selon le directeur de la stratégie du développement durable du groupe, “il faut une plus grande coordination dans la mise en oeuvre des objectifs fixés, car des solidarités de fait existent déjà” .

Mais il explique qu’une harmonisation complète rencontre trois tensions déjà visibles : entre la construction d’un marché unique européen et la fragmentation de ce marché par les initiatives nationales d’une part. Entre l’envie de concurrence et de planification d’autre part (notamment la confrontation entre régulation indispensable sur les monopoles naturels ou les objectifs de réduction CO2, et la volonté de laisser les autres domaines à l’initiative de l’innovation et de la concurrence). Enfin entre les 3 objectifs primordiaux de compétitivité, de sécurité d’approvisionnement et de lutte contre le changement climatique, objectifs tous légitimes mais souvent contradictoires, qu’il s’agit de mieux concilier et c’est l’une des fonctions de la mixité énergétique.

Cette notion de diversité d’usages et de pluralité d’objectifs est également reprise par Benjamin Fremaux. Si Areva est le leader du nucléaire, le groupe développe également des solutions faiblement émettrices de CO2 (éolien offshore, solaire thermique à concentration, biomasse…). Le déploiement de toutes les énergies disponibles doit permettre de faire face aux défis futurs liés à la croissance de la demande et au changement climatique. Mais “une des grosses difficultés à surmonter est l’acceptabilité locale” . Il considère que les contraintes pour ce type d’énergies sont très fortes si bien que le débat doit donc être tout autant européen que local.

Corinne Lepage explique à ce sujet que “la décentralisation du mix énergétique à une dimension locale est tout à fait possible concernant l’efficacité énergétique quotidienne”. Les territoires se remettent à former des communautés de communes qui cherchent à être autonomes en termes d’énergie, mais “c’est ici un modèle territorial et non industriel” prévient-elle.

Sami Andoura abonde dans le sens où il faudrait permettre la complémentarité au niveau local, toutes les décisions mais aussi l’action ne pouvant venir du niveau européen. Un exemple : l’initiative des Smart Cities, où les bonnes pratiques adoptées dans les villes européennes sont échangées et dupliquées. Il rappelle cependant que concernant la mixité énergétique et la vision à long terme, la viabilité de notre système énergétique ne saurait être assurée à un simple niveau local. C’est ici que l’Union européenne devrait jouer un rôle majeur de coordination dans les années
à venir. Une mixité énergétique

Une mixité énergétique souhaitable mais source de conflits

Si la définition d’un cadre européen était assez consensuelle entre les intervenants, les échanges sur les solutions concrètes pour assurer une mixité énergétique en Europe ont montré tout le chemin qu’il reste encore à parcourir pour obtenir une large adhésion quant aux choix à opérer. Tout le monde est d’accord pour dire qu’une mixité énergétique est plus que nécessaire face au triple défi de la sécurité de l’approvisionnement, du changement climatique et de la compétitivité.

Mais la définition d’une politique énergétique avec des objectifs ambitieux et des conditions d’application uniformes risque d’être très difficile à mettre en place. Pour Corinne Lepage, les stress tests auraient permis de voir la réelle part énergétique du nucléaire dont nous avons besoin et de proposer, pour l’horizon 2020, des nouveaux objectifs précis de réduction de la part du nucléaire dans l’énergie produite en Europe.

Cependant, selon Benjamin Fremaux, ces objectifs de réduction ne devraient pas être l’unique préoccupation dans la définition de la politique énergétique. En effet, selon le directeur de la stratégie d’Areva, l’indépendance, la sécurité d’approvisionnement ou la compétitivité ne peuvent être mises au second plan. Car “la demande en électricité en Europe va continuer à croître, de +35% d’ici à 2020”. La question du prix de l’énergie ne peut donc être éludée tant du point du vue des consommateurs que de celui des industriels. “Par rapport aux pays émergents, l’électricité bon marché en France fait partie des seuls facteurs de compétitivité de nos entreprises”.

Il souligne par ailleurs que “si 29% du parc européen nucléaire comme thermique doit fermer en Europe, et si l’on souhaite les remplacer par les éoliennes, il faudrait alors en créer 275.000 et disposer d’un espace grand comme la Slovaquie”. Des choix sont donc à opérer et le débat doit inclure les conséquences économiques et sociales. Benjamin Fremaux explique qu’il va y avoir un grand débat industriel car le nucléaire représente aujourd’hui 125 000 emplois. Le nucléaire représente “une force de recherche et d’innovation pour le pays qu’on ne peut pas négliger. Par ailleurs un euro investi dans le nucléaire, c’est trois fois plus d’emplois que dans les autres sources d’énergie. De plus, les emplois de la filière nucléaire sont à bien plus forte valeur ajoutée. Le photovoltaïque par exemple, concerne avant tout des emplois d’installation et de maintenance. Les emplois de production de panneaux photovoltaïques sont situés principalement en Asie” .

A contrario, Corinne Lepage tient à rappeler que concernant les emplois créés ou les coûts effectifs de production, il faut surtout surveiller les tendances des différentes énergies afin de pouvoir les comparer. “Des efforts importants sont introduits au niveau européen, et tandis que le coût d’utilisation du nucléaire n’arrête pas de monter, celui de l’éolien et du solaire n’arrête pas de baisser”. Un exemple : pour l’exploitation d’un réacteur nucléaire EPR, les coûts seraient passés assez rapidement de 3 à 6 milliards d’euros. Les innovations technologiques vont très vite dans ce domaine et “General Electric a par exemple pu créer plus de 360 000 emplois sur les énergies renouvelables en 10 ans en Allemagne”. L’eurodéputée s’inquiète profondément des choix industriels pris en France et craint que si nous n’investissons pas aujourd’hui massivement dans le secteur des énergies renouvelables, nous risquerions “de tourner le dos au grand marché qui se met en place dans ce secteur et d’être les dindons de la farce” .

Sami Andoura atteste qu’au niveau européen le développement durable semble être l’objectif premier. Il explique que le prix de l’énergie va réellement augmenter et que les dirigeants nationaux ont le devoir d’expliquer cette augmentation. Ces prix doivent aussi prendre en compte les contraintes environnementales. Ainsi selon le chercheur, le secteur de l’énergie peut apporter une contribution majeure dans les objectifs de réduction d’émissions de CO2 qui vont être assignés par la Commission Européenne dans sa feuille de route pour le développement durable à l’horizon 2050.

Corinne Lepage revient sur le coût du nucléaire : “nous ne nous sommes pas posés la question du risque du prix pour les autres secteurs en France”. La question du risque nucléaire est une évidence (un risque de catastrophe tous les 22 ans selon les statistiques) et “dans un pays où nous vivons du tourisme, de l’agriculture ou de la gastronomie, la vision du problème change totalement”. Selon elle, les coûts colossaux de démantèlement ne sont pas non plus inclus, ce qui fausse grandement la donne lorsque les investissements pour une mixité énergétique sont déterminés. Le représentant de GDF Suez note que tant les probabilités que les coûts d’accidents graves sont difficiles à évaluer. La seule chose qui fasse vraiment du sens pour tout un chacun c’est la prévention de ces accidents.

Pour Benjamin Fremaux les chiffres de l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) montrent que les coûts complets du nucléaire sont de 50 euros le mégawattheure (MWh) tandis qu’on est presque à 120 pour l’éolien et plus de 250 pour le solaire. “Les coûts du démantèlement, repartis sur le grand nombre de MWh produit pendant la durée de vie de la centrale, représentent finalement très peu par MWh”, explique-t-il. Le raisonnement est le même concernant les coûts d’un accident nucléaire. L’eurodéputée affirme que rien ne peut de toute façon réparer un incident nucléaire.

Au-delà de cette bataille des chiffres, le représentant d’Areva partage en partie l’idée de besoin d’investissements massifs dans le secteur des énergies renouvelables en affirmant que ces problématiques sont bien entendu communes. Ainsi, si les énergies renouvelables représentent pour l’instant une faible part du chiffre d’affaires d’Areva, le carnet de commandes croît rapidement a atteint déjà un niveau significatif. Cependant, Benjamin Fremaux souhaiterait que dans une société qui veut se développer et pour cela consomme de l’énergie, le nucléaire et les énergies renouvelables ne soient pas systématiquement opposés car la complémentarité entre les deux est indispensable.

Dans cette lignée, Bruno Bensasson considère qu’étant donnés la demande en énergie et l’état des technologies, il faudra une mixité de solutions où les économies d’énergie seront à prendre en compte mais où des sources d’énergie comme le gaz, en substitution au fioul ou au charbon, devront aussi être davantage utilisées afin de concilier les différents objectifs politiques fixés. Il souligne enfin que ces questions sont d’autant plus difficiles qu’elles comportent des enjeux intergénérationnels forts : raison de plus pour les aborder sans a priori idéologiques mais avec un souci d’objectivité, de responsabilité et d’efficacité.

En savoir plus

Débats “Réalités européennes” , en partenariat avec le Mouvement Européen - France - Touteleurope.eu

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