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L’extrême droite en Europe : divergences, résurgences et convergences

Illustrée d’une carte, voici une présentation détaillée des extrêmes droites et droites radicales en Europe. Bien qu’ayant le vent en poupe sur le plan électoral, les droites radicales européennes peinent à s’allier en raison de divergences stratégiques et idéologiques. C’est là leur véritable faiblesse. Leur force est que de nombreux commentateurs et responsables politiques les considèrent comme un ensemble uni sous la bannière de l’extrême droite. Article publié en partenariat avec le Diploweb.com

Publié sur le Diploweb.com le 9 juillet, cet article a été réalisé par Anaïs VOY-GILLIS, doctorante à l’Institut Français de Géopolitique (IFG, Université Paris VIII) et membre de l’Observatoire Européen des Extrêmes. Consultante M&A. Ses recherches portent sur les populismes et les extrêmes droites en Europe ainsi que sur les enjeux de la réindustrialisation de la France. Le Diploweb.com est dirigé par Pierre Verluise.

Le 17 juin 2015, Marine Le Pen a annoncé la création d’un groupe au Parlement européen regroupant le Front National (FN) en France, le Parti pour la Liberté (PVV) aux Pays-Bas, le Vlaams Belang en Belgique, la Ligue du Nord en Italie et le Parti de la Liberté (FPÖ) en Autriche ainsi que deux élus du parti polonais Congrès de la Nouvelle Droite (KNP) et une élue britannique exclue de l’United Kingdom Independence Party (UKIP) en mars 2015 à la suite d’accusations de dépenses frauduleuses au Parlement européen [1]. Le Front National et ses partenaires avaient déjà tenté de constituer un groupe en juin 2014 [2] mais ils avaient échoué à respecter les conditions imposées par l’Union européenne (UE) : réunir 25 élus de 7 nationalités différentes.

Cette situation est un paradoxe au regard des résultats des partis d’extrême droite et de droite radicale aux élections européennes de mai 2014. Ces résultats mettent en avant d’une part les désaccords idéologiques profonds entre ces partis et d’autre part l’adoption par chacun de stratégies politiques très différentes.

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Droites radicales et extrêmes droites

Le terme d’ « extrême droite » désigne des phénomènes très hétérogènes : populismes, xénophobie, antisystème, national-populisme, néonazisme, etc. Les partis et mouvements qualifiés ainsi sont, par conséquent, censés incarner une continuité historique avec les idéologies fascistes ou nationale-socialiste d’hier. Si quelques partis en Europe se revendiquent encore comme les héritiers des régimes nationalistes autoritaires de la Seconde Guerre mondiale comme le parti néonazi Aube Dorée en Grèce, le Jobbik en Hongrie, Ataka en Bulgarie, le Parti national-démocratique d’Allemagne (NPD) ou le mouvement néofasciste italien CasaPound, ils sont loin d’incarner la majorité des partis regroupés sous le label « extrême droite ». En effet, hormis le Jobbik et l’Aube Dorée, ces partis restent marginaux en Europe, en particulier sur le plan électoral. Le champ électoral à l’extrême droite de l’échiquier politique est désormais occupé par des partis que l’on qualifiera plutôt de « droites radicales ».

Une acceptation de la démocratie parlementaire par les partis de la droite radicale

La différence principale entre ces deux catégories tient au fait que les seconds ont accepté le jeu de la démocratie parlementaire et admettent que l’accession au pouvoir est possible uniquement par la voie des urnes. Les partis de droite radicale préfèrent la démocratie directe à la démocratie représentative.

S’il existe de nombreuses divergences idéologiques entre les partis de droite radicale, trois idées sont communes à leurs discours : rejet des élites jugées corrompues et coupées du peuple, dénonciation de l’immigration massive et de l’Islam ; critique de l’Union européenne et de ses institutions.

Certains partis de la droite radicale comme le FN, le FPÖ ou la Ligue du Nord, dénoncent la mondialisation et promeuvent un capitalisme national protecteur des plus démunis. Ce discours se rapproche à de nombreux égards de celui de la social-démocratie, bien qu’une nuance de taille réside dans le fait qu’il souhaite limiter l’accès aux droits aux seuls nationaux selon la théorie de la préférence nationale.

En outre, les soupçons de corruption de la classe politique alimentent le discours de rejet des élites et profitent aux partis de la droite radicale et de l’extrême droite.

Des partis eurosceptiques

Les partis d’extrême droite et de droite radicale fondent leurs discours souverainistes sur un rejet de l’UE. Néanmoins, il n’y a pas de consensus sur ce que doit être l’UE. Si le FN et l’UKIP souhaitent que leur pays d’origine quitte l’UE, d’autres partis comme le Parti Populaire Danois (DF) ne sont pas favorables à un retrait de leur pays mais souhaitent qu’il y ait une véritable révision des traités européens en faveur d’une plus grande autonomie des Etats membres. D’autres souhaitent voir émerger une Europe des régions, comme c’est le cas notamment de la Ligue du Nord. En outre, le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) souhaite simplement que l’Allemagne quitte la zone euro.

Le refus de l’immigration

La dénonciation de l’immigration massive est un levier électoral puissant pour ces partis, en particulier dans le contexte d’arrivée massive de réfugiés venus du Moyen-Orient.

La droite radicale fait une distinction entre les citoyens « de souche » et les immigrés dont elle souhaite limiter les droits. À la différence de l’extrême droite traditionnelle, antisémite et raciste, les droites radicales construisent un discours de l’ennemi à la fois extérieur et intérieur incarné par l’Islam et toutes les personnes de culture musulmane. L’immigration, en particulier extra-européenne, est ressentie comme une menace pour l’Europe blanche et chrétienne qu’ils souhaitent préserver.

La dénonciation de l’immigration massive est un levier électoral puissant pour ces partis, en particulier dans le contexte d’arrivée massive de réfugiés venus du Moyen-Orient. Ils souhaitent, par conséquent, rétablir un contrôle aux frontières et leurs leaders se servent des phénomènes récents d’immigration pour alimenter les peurs de la transformation de l’Union européenne en une société multiethnique. C’est ce discours qui a permis au DF d’arriver en tête aux élections législatives du Danemark du 18 juin 2015 [3]. La droite radicale a progressivement réussi à imposer son approche de l’immigration à de nombreux responsables politiques nationaux et européens.

Des stratégies différentes

Alliance avec la droite classique pour accéder au pouvoir

Les droites radicales acceptent de participer au pouvoir, soit comme partenaire d’une coalition gouvernementale comme par exemple la Ligue du Nord durant les années Berlusconi, soit comme soutien parlementaire comme le PVV aux Pays-Bas. L’érosion de la social-démocratie en Europe a permis l’émergence de partis de droite radicale qui gouvernent avec des partis conservateurs ou libéraux comme au Danemark où le DF a participé à la coalition gouvernementale entre 2001 et 2011. Très récemment en Autriche, les socialistes du SPÖ ont fait une alliance dans le land autrichien de Burgenland avec les nationalistes du FPÖ.

Par ailleurs, ce mouvement d’alliances est accentué par le fait que la droite classique a de moins en moins de réticences à s’allier avec des formations radicales. A ce phénomène se combine un effet de porosité croissante des électorats et d’emprunts idéologiques de la droite classique sur la droite radicale (identité nationale, immigration, sécurité).

A contrario, les partis d’extrême droite traditionnelle récusent tout processus de normalisation et d’association aux politiques qu’ils dénoncent. Les droites radicales en se normalisant laissent vide un espace politique que l’extrême droite occupe tout en se radicalisant par les propos et l’action pour continuer à exister sur le plan médiatique.

De difficiles alliances européennes

Dans de nombreux pays, il arrive également que les droites radicales soient concurrencées par des formations souverainistes et europhobes. Ces partis exploitent également des thèmes de l’extrême droite ou de la droite radicale comme l’immigration, l’identité ou le déclin culturel.

Bien qu’ayant des points communs, les partis de droite radicale adoptent des stratégies radicalement différentes sur le plan européen.

Néanmoins, ils ne portent pas les stigmates de l’histoire et échappent généralement à toute accusation de racisme. Ces partis ont obtenu de bons résultats aux élections européennes de 2014, notamment l’UKIP (24 sièges obtenus sur 73 à pourvoir) ou l’AfD [4] (7 sièges obtenus sur 96 sièges à pourvoir).

Bien qu’ayant des points communs, les partis de droite radicale adoptent des stratégies radicalement différentes sur le plan européen. Ainsi les partis d’extrême droite Aube Dorée et Jobbik, qui obtiennent chacun 3 sièges [5] au Parlement européen, n’appartiennent à aucun groupe au Parlement européen. Aucun parti souverainiste ou de droite radicale ne souhaite s’allier avec eux en raison de leurs prises de position ouvertement xénophobes et négationnistes.

Les partis appartenant à la droite radicale ont également du mal à trouver un consensus. Ainsi, si le Front National est proche du PVV, de la Ligue du Nord, du FPÖ et de Vlaams Belang, de nombreux partis ont refusé de s’allier avec lui pour constituer un groupe au Parlement européen. Ce refus est généralement justifié par l’histoire du FN. Le Parti Populaire Danois, eurosceptique et anti-immigration, a refusé de s’allier avec le FN en raison de son « fonds trop antisémite » [6]. À travers cette position, les partis visent principalement les nombreux propos racistes et antisémites tenus par Jean-Marie Le Pen [7], ancien leader du Front National et père de Marine Le Pen.

Le parti de Marine Le Pen a tout de même réussi à constituer son groupe « Europe des Nations et de la Liberté » en 2015 avec ses alliés, grâce à une ex-élue de l’UKIP et deux élus du KNP. Pourtant le KNP était le parti qui avait fait échouer ce projet en 2014. Geert Wilders [8], leader du PVV, ayant refusé toute alliance avec le KNP en raison de ses positions révisionnistes et antidémocratiques. Les deux élus du KNP ont dû prendre leurs distances avec l’ancien président de leur parti, le révisionniste Janusz Korwin-Mikke [9], condition essentielle pour une alliance avec le PVV.

L’UKIP a réussi à fonder le groupe « Europe de la liberté et de la démocratie directe » en juin 2014 en s’alliant avec les partis ou les membres de la droite radicale suivants : le parti lituanien Ordre et Justice, les Démocrates Suédois, une dissidente du FN, un élu du KNP et enfin le mouvement italien 5 étoiles de Beppe Grillo. Nigel Farage [10], ex-leader de l’UKIP, avait refusé de s’allier avec le FN, estimant que « l’antisémitisme est dans l’ADN du Front National [11] ».

D’autres partis ont fait le choix de rejoindre le groupe « Conservateurs et réformistes européens » à l’image du souverainiste AfD et des partis de droite radicale Vrais Finlandais, Alliance Nationale (Lettonie) et le Parti Populaire Danois.

Bien qu’ayant le vent en poupe sur le plan électoral, les droites radicales européennes peinent à s’allier en raison de divergences stratégiques et idéologiques. C’est là leur véritable faiblesse. Leur force est que de nombreux commentateurs et responsables politiques les considèrent comme un ensemble uni sous la bannière de l’extrême droite. Or ce discours n’incarne plus la réalité et contribue à agrandir le fossé entre les discours et le ressenti des citoyens.

Copyright pour le texte et la carte Juillet 2015-Voy-Gillis/Diploweb.com

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