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Véronique Trillet-Lenoir : “L’espace Schengen est mis en danger par l’absence de coordination dans la mesure du risque sanitaire”

Alors que la présidente de la Commission européenne a placé la santé parmi ses priorités lors de son discours sur l’état de l’Union le 16 septembre dernier, Véronique Trillet-Lenoir, députée européenne (Renew Europe), évoque les défis financiers et politiques à relever pour réaliser cette “Europe de la santé” qu’Ursula von der Leyen appelle de ses vœux. Et endiguer au mieux le rebond de l’épidémie de Covid-19 que connaît actuellement le continent.

Véronique Trillet-Lenoir prend la parole au sujet du vaccin contre le Covid-19 lors de la session plénière du Parlement européen le 14 mai 2020 - Crédits : Parlement européen / Daina LE LARDIC
Véronique Trillet-Lenoir prend la parole au sujet du vaccin contre le Covid-19 lors de la session plénière du Parlement européen le 14 mai 2020 - Crédits : Parlement européen / Daina LE LARDIC

Côté pile, un discours volontaire et ambitieux de la part de la présidente de la Commission européenne en matière de santé. Côté face, un compromis budgétaire trouvé par les Vingt-Sept à l’issue du Conseil européen du 21 juillet qui l’est beaucoup moins. Alors que l’Europe connaît une recrudescence de cas de contamination au Covid-19 depuis le mois de septembre, Véronique Trillet-Lenoir, eurodéputée Renew Europe et membre de la commission de l’Environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen, s’enthousiasme pour les positions franches adoptées par Ursula von der Leyen lors de son discours sur l’état de l’Union prononcé à Bruxelles. L’élue et cancérologue a répondu aux questions de Toute l’Europe en marge de la session plénière du mois de septembre au cours de laquelle le thème de la santé a largement été évoqué.

A 63 ans, Véronique Trillet-Lenoir, cancérologue, honore son premier mandat en tant qu’eurodéputée dans le groupe Renew Europe depuis 2019. Sa formation de médecin l’a naturellement menée à intégrer la commission ENVI du Parlement européen, en charge notamment des questions de santé.


Toute l’Europe : Comment avez-vous accueilli le discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der Leyen ?

Véronique Trillet-Lenoir : Je me suis félicitée de ce discours dans le sens où il place enfin la santé au sommet de l’agenda européen. Il traduit une volonté de construire une Europe coordonnée et souveraine en la matière, ce pour quoi nous nous battons dans mon groupe et ma commission. L’un des éléments les plus importants à retenir selon moi, c’est qu’Ursula von der Leyen a lié la Conférence sur l’avenir de l’Europe à une réflexion sur les compétences européennes en matière de santé.

Effectivement, la santé n’est aujourd’hui qu’une compétence d’appui de l’Union européenne. Cela signifie qu’elle ne peut que coordonner et harmoniser l’action des Etats membres, qui conservent toutes leurs prérogatives en la matière. Quelles sont les limites actuelles de ce mode de fonctionnement ?

L’Union européenne et en particulier la Commission coordonnent, recommandent et peuvent aller jusqu’à des actions d’évaluation. Dans le contexte de la crise du Covid-19, cela ne nous a néanmoins pas permis d’éviter l’écueil d’une juxtaposition de politiques nationales et des problèmes qui peuvent aller avec. C’est le constat que nous avons dressé au sein de mon groupe, et c’est la raison pour laquelle nous soutenons la présidente dans son ambition de mener une politique européenne de santé à proprement parler. Cela va dans le même sens que le programme de santé dédié qu’elle avait présenté au mois de mai dernier [la Commission européenne avait proposé d’allouer 9,4 milliards d’euros à la santé pour le futur budget à long terme] et qui allait au-delà de ce qu’on voit dans le plan de relance européen qui se contente - même si c’est très bien - d’apporter une aide financière à des politiques nationales de santé.

“Eviter l’écueil d’une juxtaposition de politiques nationales”

Quelles pistes concrètes évoquées lors de ce discours ont particulièrement retenu votre attention ?

J’ai entendu que la présidente de la Commission européenne voulait améliorer la coordination en donnant plus de moyens aux agents du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et de l’Agence européenne des médicaments. J’ai également entendu qu’elle appelait de ses vœux la création d’une agence de recherche européenne sur le modèle du BARDA américain [Autorité fédérale de recherche et de développement biomédical qui finance la recherche], ce qui va dans le sens de la résolution votée par le Parlement européen lors de la session plénière pour éviter les pénuries de médicaments.

Le Centre européen de contrôle et de prévention des maladies et l’Agence européenne du médicament existent déjà. L’un produit des études au niveau européen et l’autre contrôle la qualité des médicaments produits, importés et consommés sur le sol européen. Mais cette agence de recherche et de développement biomédical serait une nouveauté. Qu’apporterait-elle à votre sens ?

Elle permettrait d’avancer dans notre quête d’une souveraineté pharmaceutique retrouvée. A la manière de ce qui se fait aux Etats-Unis, elle permettrait de financer des partenariats publics-privés avec les laboratoires et donc de stimuler la recherche et l’innovation européennes. Cela limiterait le risque de pénurie et éviterait la forme de rivalité qui peut parfois opposer les équipes de chercheurs.

“Les promoteurs des initiatives cliniques doivent faire signer pratiquement 27 fois le même formulaire pour que tous les pays puissent travailler ensemble”

Justement, la crise du Covid-19 n’a-t-elle pas obligé l’Europe à mieux collaborer ? Dans le cadre de la recherche d’un vaccin, la Commission européenne a mis en place une stratégie massive de pré-achat auprès des laboratoires. Et l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas ont créé une alliance européenne du vaccin qui finance aussi des programmes de recherche…

Effectivement, ces initiatives surgies avec le Covid-19 sont très encourageantes et des efforts de coordination très importants ont été consentis sur la recherche. Mais si on s’attarde plus particulièrement sur la recherche clinique, c’est à dire la recherche appliquée aux patients, on a pu constater l’échec de l’essai Discovery [essai clinique européen pour tester des traitements contre le coronavirus] qui s’est heurté à une certaine forme de concurrence entre les équipes et à des tracasseries administratives auxquelles se sont confrontés les promoteurs des initiatives cliniques. Ces derniers doivent faire signer pratiquement 27 fois le même formulaire pour que tous les pays puissent travailler ensemble. C’est là-dessus qu’on doit encore progresser et là où l’Agence Européenne du Médicament (EMA) pourrait s’avérer très utile si cette mission de coordination et de simplification lui était donnée.

L’autre enjeu majeur, outre la recherche, c’est la production de ces médicaments. Quel est le degré de dépendance de l’Union européenne vis-à-vis de ses partenaires mondiaux ?

Actuellement, 80% des substances actives de base des médicaments sont produites en dehors d’Europe, principalement en Inde et en Chine. Concernant le produit fini, c’est-à-dire la gélule avec ses adjuvants, on a délocalisé 40% de la production, ce qui est quand même beaucoup. Il est donc prioritaire de rapatrier les produits de base, les substances au cœur du médicament. Au sein de la commission parlementaire ENVI et au sein du Parlement européen, nous avons réfléchi à ce sujet puisque nous avons travaillé sur un rapport d’initiative parlementaire qui propose des relocalisations.

“Il faut bien être conscient que si les industriels de la pharmaceutique ont délocalisé, c’est justement que les contraintes étaient moins fortes ailleurs.”

Comment y parvenir au vu de la concurrence mondiale ?

Le défi est de taille pour l’Europe. Il faut bien être conscient que si les industriels de la pharmaceutique ont délocalisé, c’est justement que les contraintes étaient moins fortes ailleurs. Il faut donc soutenir ce secteur tout en maintenant notre degré d’exigence environnemental et social. Pour ce faire, on pourrait justement compter sur cette agence de recherche et développement biomédical. A la manière de ce qui est fait actuellement sur la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, les Etats membres représentés par la Commission européenne partageraient avec les industriels une partie du risque financier et inciteraient à une production rapide, de qualité, et à la constitution de réserves stratégiques.

Quels médicaments doit-on chercher à relocaliser et produire massivement en priorité ?

Il faut concentrer nos efforts sur ceux qu’on appelle les “médicaments d’intérêt thérapeutique majeur” , qui font plus particulièrement l’objet de pénuries. La cortisone, le paracétamol, ce sont ces produits qui manquent. Ils sont simples et donc peu rentables pour l’industrie des médicaments. C’est pourquoi il serait utile que des établissements à but non lucratifs adossés à des pharmacies et des hôpitaux assurent la production de ces médicaments au niveau européen. Mais pour ce faire, il va falloir que les Etats membres soient suffisamment coordonnés pour définir entre eux des grands sites de production assez diversifiés pour qu’on ne soit pas obligés de rapatrier tous les produits dans tous les pays. C’est l’intérêt d’être 27.

“Nous avons vécu le Conseil européen du 21 juillet comme une douche froide”

Sur cette question de la coordination justement, quel regard portez-vous sur la gestion européenne de la crise sanitaire ?

Je dirais qu’on a d’abord vécu une phase de sidération au mois de mars. Personne n’a rien compris, l’Union européenne pas plus que l’ensemble des Etats membres ou que les autres puissances. Il y a ensuite eu une phase de réponse à la crise, qui s’est déclenchée très rapidement mais a vu émerger plusieurs problèmes : de la rétention de matériel médical, des masques destinés à un Etat saisis sur les tarmacs des aéroports par un autre [référence au conflit qui a opposé la République Tchèque à l’Italie en mars dernier].

Puis il y a eu une prise de conscience avec la proposition d’un plan de santé extraordinairement ambitieux de la Commission fin mai [9,4 milliards d’euros pour la période 2021-2027]. En parallèle, on a rouvert les frontières internes pour fermer les frontières extérieures à Schengen. On a organisé des achats groupés de matériel et de médicaments, les rapatriements, les transferts de médecins, la recherche d’un vaccin. Et puis nous avons vécu le Conseil européen du 21 juillet comme une douche froide. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont raboté la proposition budgétaire pour la santé [passée à 1,7 milliard].

Quelles conclusions tirer de ces six mois de crise du Covid-19 en termes de politique de santé ?

Quand on évoque les chiffres de l’épidémie (le nombre de cas, le nombre de tests, le nombre d’hospitalisations, le nombre de décès), les données sont mal partagées d’un pays à un autre. Même si tout le monde utilise des codes couleur similaires (vert, orange, rouge), la cartographie européenne des zones de risque correspond à des réalités différentes.

En conséquence, les pays européens ont mis en place de façon complètement désorganisée des contrôles et des restrictions aux frontières, ce qui a eu pour effet d’entraver les déplacements des Européens en vacances cet été, et, plus grave encore, de gêner et perturber la circulation des travailleurs transfrontaliers, des étudiants, des artistes et des hommes d’affaires.

L’espace Schengen est mis en danger par l’absence de coordination dans la mesure du risque sanitaire. C’est pourquoi la Commission européenne veut proposer des critères communs pour comptabiliser les cas de Covid-19 et pour déterminer les critères des différentes zones à risque.

Sur le plan financier, les positions de la Commission européenne et du Conseil européen semblent très éloignées. Dans quel sens pensez-vous que le rapport de force peut évoluer ?

Au Parlement européen, notre groupe défend une position de dialogue constructif pour négocier un budget pluriannuel le plus élevé possible, en matière de santé notamment, avec des garanties sur de nouvelles ressources propres. Nous espérons bien sûr aller au-delà des 1,7 milliard proposés par le Conseil européen. Mais nous nous “consolons” également en nous rappelant que le budget santé sera de toute façon augmenté : il sera multiplié au moins par 4 par rapport à 2014-2020 [1,7 milliard a minima, donc, contre 450 millions sur la période 2014-2020].

L’autre consolation, c’est de se dire qu’il n’y a pas que l’argent et que le problème d’harmonisation des mesures sanitaires sur les frontières, c’est une affaire de volonté politique. Le troisième motif d’espoir, c’est d’espérer de voir un jour les compétences de l’Union européenne en matière de santé évoluer. Cela permettrait d’avoir une Union européenne de la santé vraiment autonome et non plus une simple addition de plans de relance nationaux.

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