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Julian Jappert : “le sport est sous-utilisé par les institutions européennes”

Alors que la grand-messe mondiale du football bat son plein au Brésil, Touteleurope.eu saisit la balle au bond pour s’interroger sur la politique européenne du sport. Compétence encore largement entre les mains des Etats, le sport fait néanmoins l’objet d’une attention accrue de la part des institutions européennes, avec en ligne de mire la Semaine européenne du sport. Julian Jappert, directeur du think tank européen Sport et Citoyenneté, nous apporte son éclairage.

Androulla Vassiliou, commissaire européenne chargée du sport

La politique européenne est faiblement développée. Il n’y a par exemple pas de commissaire aux Sports. Pourquoi ? Est-ce un problème ?

Julian Jappert : Vous vous trompez. Il existe bien un commissaire aux Sports même s’il n’est pas très connu. Il s’agit de madame Vassiliou qui est également chargée d’autres compétences [le titre officiel d’Androulla Vassiliou est commissaire à l’Education, à la Culture, au Multilinguisme et à la Jeunesse, ndlr]. Le sport est une compétence d’appui inscrite dans le traité de Lisbonne, bien présente, et qui vient d’être confirmée sur le plan budgétaire cette année, sous le programme Erasmus+. Cela signifie que le chemin a beaucoup avancé ces derniers temps dans la politique du sport au niveau européen.

Le sport reste toutefois largement de la compétence des Etats. En réalité, l’Europe n’a l’air de s’intéresser au sport que d’un point de vue économique.

Oui tout à fait. Il s’agit bien d’une compétence d’appui. Cela signifie que les institutions européennes viennent appuyer, soutenir, les politiques nationales. Les principales compétences restent entre les mains des Etats ou des acteurs de la gouvernance du sport présents au niveau national. Après, le sport a néanmoins rencontré les institutions européennes depuis bien longtemps, il est vrai, sous ses aspects économiques. La Commission européenne et la Cour de justice suivent de près cette thématique, comme cela a pu être le cas avec l’arrêt Bosman. Et les institutions commencent à s’intéresser au sport, sous d’autres angles : le respect du droit de la concurrence, la santé, la corruption ou encore l’éducation.

Cette dimension sociale du sport, dont s’emparent progressivement les institutions européennes, va-t-elle s’incarner avec la Semaine européenne du sport, créée très récemment ?

Complètement. Une grande partie du budget que j’ai évoqué va être réservé à cette initiative. Cette dernière est déjà lancée. Il y a eu une première réunion avec quelques acteurs majeurs comme le Comité national olympique français. Notre think tank devrait également être l’une des parties prenantes, sur les thématiques sociétales. L’objectif de cette semaine réservée au sport est de fédérer tous les projets pouvant exister à l’échelle nationale pour mettre en place une communication plus importante auprès des citoyens européens sur l’utilité de pratiquer un sport. Cela devrait créer un événement disposant d’une forte médiatisation.

Le football est le sport le plus populaire en Europe et un facteur de cohésion des peuples. L’Union européenne, qui ne dispose pas d’équipe propre, peut-elle se servir de ce sport comme source d’unité ?

La création d’une équipe européenne de football, une idée que l’on voit ressurgir régulièrement, est de l’ordre du fantasme. Même si cela intéresse du monde et que cela pourrait avoir un sens. Nous, on travaille plutôt sur l’association de symboles à des événements sportifs européens déjà existants. Comme faire jouer l’hymne européen dans une compétition européenne. Comme faire porter le drapeau européen en plus des drapeaux nationaux. Selon nous, ce sont des choses qui peuvent favoriser l’émergence d’une citoyenneté européenne. Bien entendu, le sport seul ne suffira pas et ne règlera pas tous les problèmes et tous les maux dont souffre l’Europe. Mais il n’en reste pas moins que le sport est sous-utilisé par les institutions européennes pour véhiculer des idées surtout quand on voit la puissance médiatique du sport et l’intérêt pour ce sujet, particulièrement auprès des jeunes. Aujourd’hui, les sportifs et les sportives sont les principaux héros des jeunes, ce sont les personnes auxquelles ils souhaitent le plus ressembler.

Le think tank européen Sport et Citoyenneté est un lieu de réflexion et de mise en réseau auprès des pouvoirs publics, du secteur économique et des acteurs associatifs afin de promouvoir les valeurs du sport et de militer pour leur meilleure implantation dans la société.

Par ailleurs, le sport véhicule et exacerbe aussi des sentiments nationaux et régionaux. On soutient naturellement son pays et son club au niveau local. Cela va plutôt contre l’idée selon laquelle le football peut rassembler les Européens. Toutefois, lorsque son équipe est éliminée, j’ai quand même l’impression que les Européens se tourneront vers les autres équipes du continent. Et ce soutien, certes indirect, participera au développement de l’idée européenne.

L’organisation de la Coupe du monde au Brésil n’est pas sans créer des controverses. Les pratiques de la FIFA sont particulièrement critiquées. Et les Brésiliens ont le sentiment qu’ils ne gagneront rien de cette opportunité. Est-ce la même chose lorsqu’une compétition a lieu en Europe ? Quelle est la position des institutions européennes vis-à-vis de la FIFA ?

La première chose à dire est que la Commission va toujours respecter l’autonomie des fédérations sportives. Elle ne s’immisce en rien dans l’organisation des événements sportifs. Le mouvement sportif reste parfaitement autonome. Par conséquent, l’Union européenne n’est pas concernée par les éventuels dysfonctionnements ou abus de la FIFA ou d’autres organisations sportives.

Deuxièmement, mesurer l’impact économique et social de tels événements est d’une complexité extrême. Il y a eu des tentatives, notamment à l’occasion de l’organisation de la Coupe du monde de rugby en France en 2007. Il existe de nombreuses études sur les retombées économiques de telles compétitions : elles sont souvent contradictoires. Sur le plan économique, on ne sait donc quoi penser, tandis que sur le plan sociétal, il n’y a rien !

On est en train de se poser cette question dans le cadre de l’organisation de l’Euro 2016 en France. Notre think tank participe à un groupe de travail avec le gouvernement français et la Fédération française de football. On essaie de calculer ça. Le raisonnement est donc le même pour la Coupe du monde au Brésil. Nous ne sommes aujourd’hui pas en mesure de dire si l’impact économique sera excellent ou au contraire décevant. On ne peut réellement s’en rendre compte que sur le long terme. La ville de Barcelone profite encore aujourd’hui de l’organisation des Jeux olympiques de 1992 et a développé des projets sociaux, éducatifs ou encore de pratique du sport.

L’Euro 2020 n’aura pas lieu dans un pays en particulier, mais sera organisé à travers l’Europe. Cela va-t-il renforcer encore la dimension européenne de cette compétition ? Ce mode d’organisation peut-il se généraliser ?

Il y a déjà eu des cas d’organisation conjointe d’une compétition, comme par exemple pour l’Euro 2000 en Belgique et aux Pays-Bas. L’édition de 2020 sera la première à être tenue dans une douzaine de pays. Les coûts et la prise de risque peuvent être partagés à plusieurs. Surtout en période de crise, on peut donc tout à fait imaginer que ce mode d’organisation puisse se reproduire. En tout cas, notre think tank croit à ce procédé et avait d’ailleurs fait la proposition pour les Jeux olympiques d’une candidature de deux villes, française et allemande. Cette solution permet en outre de limiter l’exacerbation du nationalisme dans le sport.

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