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Henri Labayle : ” L’embryon de parquet européen est à portée de main”

Les récents événements liés au terrorisme remettent la politique européenne de sécurité sur le devant de la scène. L’Union européenne (UE) a abandonné l’utilisation de programmes de travail quinquennaux sur le sujet, pour leur préférer des orientations stratégiques, adoptées en juin 2014. Peu de temps avant les attentats de Paris, le Conseil s’était prononcé sur un renouvellement de la stratégie de sécurité intérieur de l’UE. Henri Labayle, professeur à l’université de Pau et des Pays de l’Adour et auteur du rapport sur le programme de Stockholm, revient sur ces différents outils de l’espace de liberté, de sécurité et de Justice (ELSJ) de l’Union européenne.

Commission européenne

Jusqu’à présent, l’UE adoptait des programmes quinquennaux concernant l’ELSJ. A la suite du programme de Stockholm, seules des orientations stratégiques ont été définies, pourquoi ?

La création de l’espace de liberté, de sécurité et de justice a été lancée par le Conseil européen de Tampere en octobre 1999. Cette institution, regroupant les chefs d’Etat et de gouvernement, a pris l’habitude de réaliser des plans quinquennaux (Tampere, La Haye et Stockholm) pour donner les grandes orientations stratégiques de ce programme. Le Conseil européen a également définit des orientations stratégiques, plus régulièrement, au sein de ces programmes. Aucun programme n’est venu remplacer celui de Stockholm. Les orientations stratégiques perdurent.

C’est l’une des questions que l’on est en droit de se poser. Pourquoi, alors même que l’Union européenne a désormais les moyens dans les traités de Lisbonne d’investir directement les questions de sécurité intérieure et de libre circulation et qu’elle a mis en place un comité de sécurité intérieure (COSI) chargé des questions opérationnelles.

Il est tout à fait curieux de voir que l’UE abandonne ce qui a été l’une des grandes conquêtes de l’UE, c’est-à-dire la programmation législative de ces travaux. Non seulement parce que cela permettait d’avoir une méthode de travail, mais en plus d’avoir une grille qui facilitait l’évaluation et qui permettait de savoir qui a fait quoi et surtout qui n’a pas fait quoi.

Derrière ce travail de planification, il y avait une méthode intéressante et intelligente, mais c’était évidemment contraignant. C’est vraisemblablement pour cette raison que les États ont préféré le vague de conclusions stratégiques qui leur permettent de garder les mains libres au fur et à mesure de l’avancement des travaux et pour ralentir tel ou tel autre si on en éprouve le besoin.
Ce n’est donc pas une avancée.

Le Conseil de l’UE s’est positionné sur le renouvellement de la stratégie de sécurité intérieure en décembre dernier. Est-ce une avancée dans la politique européenne de sécurité ?

Le Conseil de l’Union européenne, regroupant les ministres des Etats membres, adopte les stratégies de sécurité intérieure. Elles suivaient la ligne des programmes quinquennaux du Conseil européen et suivront désormais celles des grandes orientations stratégiques de cette même institution. Elles permettent d’exposer les menaces et défis communs auxquels les Européens sont confrontés. Elles définissent également de façon plus précise que les grandes orientations, un modèle européen de sécurité.

La stratégie est adoptée par le Conseil avec l’appui des autres institutions. Le traité de Lisbonne a peut-être donné compétence à l’Union en matière de sécurité mais il a mis deux verrous impossibles à dépasser.

Premièrement, toutes les questions de sécurité sont gérées sous le sceau de la coopération. Autrement dit l’Union développe une coopération entre les services compétents de ses Etats membres. Donc ce n’est pas l’Union qui règlemente. Nous ne sommes pas dans le cas d’une politique commune, comme c’est le cas pour le contrôle des frontières ou pour l’asile. Les Etats sont présents, coopèrent entre eux et l’Union s’efforce de les pousser à coopérer mieux, davantage, et à appliquer la reconnaissance mutuelle à rapprocher leurs législations pénales nationales. Mais le maître mot de ce domaine est coopération, et non intégration. Même si l’ancien pilier a disparu, la méthode travail est la coopération.
Deuxièmement, selon plusieurs points du traité, en matière de sécurité national et de sauvegarde de la sécurité intérieure, c’est l’Etat et lui seul qui est compétent.

Il faut que l’Union navigue au milieu de ces deux écueils, la méthode de coopération et la réserve de compétence nationale. La principale capacité d’action de l’UE, c’est d’essayer d’impulser, d’influencer, de coordonner les efforts des Etats membres qui restent en l’état les seuls décideurs.
C’est avec beaucoup de mécanismes de soft law, de programmes, de stratégies, de plans d’action que l’UE tisse une sorte de toile d’araignée destinée à contraindre les Etas à aller de l’avant et à collaborer davantage ensemble, mais c’est un long travail.

Quelle est la place du Parlement européen dans la politique européenne de sécurité ?

Le Parlement européen a de plus en plus sa place, ne serait-ce que parce qu’il est devenu co-législateur dans la quasi-totalité des matières, y compris de la coopération pénale. Bien évidemment, il pèse. Il ne faut pas oublier que c’est lui qui a les clefs du budget. Pour tous les fonds sur la sécurité intérieure, qui permettent de faire fonctionner les agences européennes, c’est le Parlement qui a la compétence budgétaire.

Enfin, son pouvoir de contrôle est considérable, notamment parce qu’il peut saisir la Cour de Justice de l’Union européenne, qu’il peut lancer des commissions d’enquête, qu’il est susceptible de servir de forum pour mettre en cause l’attitude des Etats dans tel ou tel dossier. Il est devenu aujourd’hui un acteur de plein pied.

Vous critiquez le développement des agences européennes ayant un lien avec la sécurité dans votre rapport, pourquoi ?

Je crois que c’est tout le paradoxe de la construction européenne dans ce domaine. On est au cœur d’une matière de souveraineté, d’une matière régalienne, la sécurité intérieure, le passage des frontières.

Paradoxalement, alors que c’est plus difficile à investir pour l’intégration européenne, il est frappant de voir que c’est vraisemblablement l’un des domaines dans lesquels le phénomène des agences s’est le plus développé. Très tôt, dès le début des années 90, les Allemands reviennent à la charge avec la convention Europol pour parvenir à la créer. Depuis, ce phénomène n’a cessé de croître en débordant sur le domaine de l’asile et de l’immigration. Il y a une véritable prolifération, qui montre que si ces agences ne sont qu’une simple étape, nous serions alors dans un schéma d’administration très fédéral.

Le schéma d’administration du droit de l’UE consiste à confier aux Etats membres le soin de mettre en œuvre le droit de l’Union et les politiques de l’Union. C’est dans ce domaine de souveraineté qu’on le malmène le plus, puisqu’on crée des agences à qui on confie le soin de coordonner et de travailler dans ces secteurs-là.

C’est un vrai paradoxe, qui s’explique en partie par le constat d’impuissance des Etats, qui ne peuvent pas gérer seuls et qui n’ont pas d’autres solutions que d’essayer de travailler ensemble. Il me semble que Frontex est un bon exemple de ce point de vue.

La période transitoire de la communautarisation de l’ESJ est arrivée à son terme au 1er décembre 2014. Quelles en sont les conséquences ?

Le principal changement est majeur. Enfin, la Cour de Justice, dans le domaine de la coopération judiciaire et policière, devient pleinement compétente. C’est-à-dire que le régime dérogatoire qui existait depuis le traité d’Amsterdam (1997), dans le domaine du recours en manquement et des questions préjudicielles, disparaît. Désormais la Cour de Justice peut connaître des manquements des États membres. C’est un progrès majeur.
C’est justement parce que le Royaume-Uni ne voulait pas que cette compétence s’exerce qu’il s’est aménagé le droit de sortir de l’espace de liberté, dans sa partie répressive en tout cas. Au 1er décembre, les Britanniques ont exercé cette compétence, puisque par un mouvement très compliqué, ils ont exercé une possibilité d’ “opt out” puis d’ “opt in” . C’est-à-dire que le pays a réadhéré à un certain nombre de textes.
La Commission désormais pourra utiliser le recours en manquement pour sanctionner tel ou tel Etat qui ne respecterait pas ses obligations.

Les traités prévoient la possibilité de créer un parquet européen. Est-ce envisageable au vue de la récente actualité liée au terrorisme ?

Créée par une décision du Conseil européen en 2002, Eurojust est une entité de concertation des parquets nationaux de l’Union et composée de 27 représentants nationaux : juges, procureurs et officiers de police détachés par chaque pays membre. Basée à La Haye, elle peut accomplir ses tâches par l’intermédiaire d’un ou plusieurs membres nationaux ou bien en tant que collège. De plus, chaque Etat membre peut désigner un ou plusieurs correspondants nationaux, qui peuvent aussi constituer un point de contact du réseau judiciaire européen.

C’est un vieux fantasme qui peine à voir le jour. Une proposition a été déposée par la Commission européenne pour créer un parquet européen. Il devait être compétent pour juger de la protection des intérêts financiers de la communauté. Donc sa compétence aurait été réduite, quitte à ce qu’ensuite les Etats décident d’élargir sa compétence dans un deuxième temps.

Pour la première fois dans l’histoire du traité de Lisbonne, la proposition de la Commission a été retoquée par les parlements nationaux, qui ont adressé un carton jaune en raison du mécanisme du contrôle de subsidiarité. Celui-ci permet à une majorité de parlements nationaux européens de contester une proposition de la Commission car elle n’a pas respecté le principe de subsidiarité. Cela a donc entravé la progression de ce dossier.

La Commission a maintenu sa position qui est aujourd’hui négociée au Conseil, mais qui en a beaucoup rebattu. C’est-à-dire que la géométrie de ce parquet européen ne sera pas ce qu’elle a été prévue d’être au départ.
Je ne suis pas certain que la Commission ait eu entièrement raison d’agir comme elle a agi, puisque suivant le traité, c’est à partir d’Eurojust que ce parquet européen doit être créé. Je pense donc qu’aujourd’hui, l’embryon de parquet européen est à portée de main. Il convient, plutôt que de créer une énième structure, de renforcer Eurojust, bien davantage que ce que font les Etats, qui n’ont pas beaucoup d’ambitions dans ce domaine. Eurojust est compétent en matière de terrorisme.

Cette agence est assez méconnue et devrait avoir une place centrale dans l’ESLJ, bien davantage que celle qu’on veut bien lui aménager. Mais il y a des réticences nationales considérables. Pour ma part l’institution d’avenir est Eurojust pour peu que les Etats le veuillent bien.

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