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Faut-il revoir les critères de Maastricht ?

Le think tank EuropaNova a 15 ans. Un anniversaire fêté entre les salons du Quai d’Orsay vendredi 14 janvier, à l’invitation de la ministre des Affaires européennes Nathalie Loiseau, et le Grand Rex, où se tenaient samedi 15 janvier plusieurs conférences. Dans l’une des salles du cinéma parisien, trois des nombreux intervenants de la journée se sont interrogés sur la pertinence des critères de Maastricht.

Faut-il revoir les critères de Maastricht ? - Crédits : nevarpp / iStock
Faut-il revoir les critères de Maastricht ? - Crédits : nevarpp / iStock

Ils sont le bouc émissaire de la critique de l’Union européenne. Les braver ouvertement est devenu pour certains responsables politiques une marque de courage face à Bruxelles, accusée d’étrangler les dépenses publiques des États membres… Énoncés à l’article 140 du traité sur le fonctionnement de l’UE, les fameux critères de Maastricht - initiés en 1992 pour préparer l’arrivée de l’euro - contraignent les États membres à présenter, entre autres, un déficit public annuel inférieur à 3% du produit intérieur brut (PIB) et une dette publique inférieure à 60% du PIB.

Or pendant la crise des dettes souveraines, qui a frappé la majorité des Etats membres et en particulier la Grèce, les douloureuses réformes destinées à réduire drastiquement les dépenses publiques semblent surtout avoir touché les classes populaires et moyennes, renforçant le sentiment d’inégalité et contribuant à la déstabilisation des régimes.

Alors que neufs États membres présentent encore une dette publique supérieure, voire très supérieure, à 80% du PIB, la pertinence de ces critères, notamment en temps de crise, est donc remise en question. Ceux-ci sont-ils toujours adaptés aux impératifs sociaux et climatiques actuels ? Ne faudrait-il pas les relier à des objectifs plus qualitatifs ?

“S’éloigner de l’actualité”

Selon Sylvie Goulard, la sous-gouverneure de la Banque de France, “le débat prend parfois un tour passionné et inexact” . Il faudrait donc “s’éloigner de l’actualité pour évaluer ce qu’il se passe” .

Historiquement, “on a oublié pourquoi on a fait l’euro” , rappelle d’abord la responsable : avant le traité de Maastricht, le marché commun était morcelé sur le plan monétaire, contraignant bien souvent les pays européens à dévaluer leur monnaie pour rester compétitifs face au robuste Deutsche Mark, symbole de la prospérité allemande. Mais Outre-Rhin, le chancelier fédéral Helmut Kohl était l’un des rares défenseurs de l’euro. L’Allemagne craignait que ses voisins ne profitent de cette nouvelle solidarité pour laisser filer leurs dépenses publiques. L’abandon du mark a donc été consenti, mais conditionné à l’adoption d’un “système qui repose sur la discipline budgétaire” .

Par ailleurs, ce ne sont pas “les pays qui ont le plus laissé filé la dépense publique qui ont les plus hauts taux de croissance” aujourd’hui, ajoute Sylvie Goulard, qui invite donc à évaluer la pertinence des dépenses publiques, vérifier leur soutenabilité et surtout leur efficacité.

Bien que la France ait le plus haut taux de dépenses publiques par rapport à son PIB, son système éducatif est par exemple l’un des plus inégalitaires de l’UE, selon l’OCDE. “Remettre en cause les critères de Maastricht, ce n’est pas tout seul taper du poing sur la table en reprochant aux pays du Nord d’être égoïstes : il faut tous se remettre autour de la table” et “ne pas oublier que c’est un jeu collectif” .

De gauche à droite : Stéphane Cossé (économiste et modérateur), Sophie Javary, Sylvie Goulard et Sandro Gozi lors de la conférence “Peut-on dépasser les critères de Maastricht ?” au Grand Rex - crédits : François Silvestre de Sacy

Distinguer les dépenses destinées aux investissements d’avenir

Les générations futures seront les prochaines à porter ce fardeau des dettes publiques : c’est “l’ennemi public n°1, la sanction la plus injuste pour les nouvelles générations” , martèle Sandro Gozi, ancien secrétaire d’État à la Présidence du Conseil des ministres italien, chargé des Affaires européennes. Mais doit-on pour autant leur laisser aussi porter le fardeau du réchauffement climatique ? “Les dépenses publiques ne devraient-elles pas soutenir la transition écologique ?” , interroge ce membre d’honneur d’EuropaNova.

La dépense publique qui parie sur l’avenir ne doit pas être considérée comme une dépense courante inefficace” , nuance ainsi Sandro Gozi. Selon lui, il faudrait plutôt mettre en place des politiques qui encouragent les investissements productifs et d’avenir, la transition écologique et numérique… une perspective dont on voit les prémices à travers le plan Juncker qui investit une part du budget européen dans des projets industriels ou innovants via des instruments financiers traditionnels (prêts, garanties, etc.)

D’autant plus que le Brexit donne à l’UE l’opportunité de “créer autour de la zone euro un ensemble de marchés de capitaux qui va pouvoir fonctionner” , se réjouit Sophie Javary, responsable Corporate finance Europe à la BNP Paribas. Selon cette administratrice d’EuropaNova, “de plus en plus, un certain nombre d’investisseurs attachent de l’importance à la finance dite durable” , ce qui pousse à réorienter l’utilisation des fonds vers des projets plus vertueux.

Pour l’ancien secrétaire d’État italien, les règles sont donc nécessaires dans la mesure où l’on partage une monnaie et un marché unique sans véritables politiques économiques et sociales communes. Mais le problème de la négociation entre Bruxelles et Rome autour du budget italien pour 2019 - retoqué par la Commission européenne qui considère qu’il ne respecte pas les engagements italiens de réduction de la dette - est que “les deux côtés se concentrent sur l’aspect nominal et quantitatif […] sans regarder le contenu des mesures” . Pour autant, précise-t-il, “les batailles, il faut les faire dans les règles pour les remettre en question. Actuellement la stratégie de mon pays est très mauvaise : il joue la mauvaise bataille avec un mauvais résultat” .

“Ce n’était pas mieux avant”

Sandro Gozi note également que l’UE a pu s’éloigner des classes moyennes et défavorisées : “c’est une erreur fondamentale qu’on est en train de payer très cher” . La crise grecque et le manque de transparence des réponses de la “troïka” ont “eu un impact dévastateur sur la perception de la question européenne” . Pour cet ancien responsable politique italien, “si on continue de poser un débat dans lequel on répète aux contribuables, aux électeurs, aux abstentionnistes ‘qu’il n’y a pas d’alternative’ on va perdre notre bataille” .

A quelques mois des élections européennes, comment alors rétablir un lien émotionnel et de confiance avec les citoyens ?, s’interroge l’auditoire tandis que certains citoyens ont l’impression que leurs responsables politiques ne gouvernent pas pour l’intérêt général et ont perdu le contrôle de la souveraineté de leur État.

Pour les trois intervenants, il faut surtout rappeler que “ce n’était pas mieux avant l’euro” et ses règles, et que la monnaie unique a permis de reprendre le contrôle des questions monétaires. “Quand on regarde l’Europe depuis Shangaï on constate qu’elle a de la souveraineté grâce à l’euro” , souligne Sylvie Goulard tout en reconnaissant que “cette souveraineté de l’euro n’est pas suffisamment organisée” . Il faut maintenant réfléchir à la “réforme démocratique de la zone euro” avec au cœur du débat, “la transparence” , complète Sandro Gozi.

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