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Européennes : pourquoi l’abstention est-elle si forte ?

42 % des Européens se sont rendus aux urnes en 2014 afin d’élire leurs députés au Parlement européen. Crise de la représentation, institutions complexes et lointaines, faible couverture médiatique… Pourquoi le taux de participation aux élections européennes est-il si faible ?

Quels sont les facteurs de l'abstention aux européennes ? - crédits : andriano_cz / iStock
Quels sont les facteurs de l’abstention aux européennes ? - crédits : andriano_cz / iStock

La première élection européenne au suffrage universel direct qui s’est tenue en 1979 a attiré 62 % des électeurs inscrits. Depuis, la baisse du taux de participation est systématique à l’échelle de l’UE. En 1994, alors que celle-ci compte 12 Etats membres, la participation a déjà diminué de plus de cinq points avant de se stabiliser à près de 43% en 2009 et 2014.

Une participation plus faible à l’Est

La participation aux élections européennes est néanmoins loin d’être uniforme selon les pays.

C’est la Slovaquie qui décroche la palme de l’indifférence avec seulement 13,05 % des Slovaques à s’être rendus aux urnes pour le scrutin de 2014. A l’exception de la Roumanie, de la Bulgarie et de l’Estonie, les pays d’Europe de l’Est présentent les taux de participation les plus faibles, inférieurs à 30 %. Les différentes phases d’élargissement de l’UE ont donc pu contribuer à tirer vers le bas la participation moyenne à l’échelle de l’UE.

La France et l’Allemagne se situent dans la moyenne avec une participation respective de 42,43 % et 48,10 % en 2014.

Par ailleurs, seuls 7 pays sur 28 observent une participation supérieure à 50 %. Les citoyens sont particulièrement assidus dans l’isoloir en Belgique (90 %), au Luxembourg (86 %) et en Grèce (60 %), les trois pays de l’UE où le vote est… obligatoire. Au contraire de Malte qui présente pourtant une participation proche de 75 % et fait ainsi figure d’exception.

Pour les élections à venir, la participation française pourrait se maintenir à 43 %, selon les estimations renouvelées quotidiennement par l’institut de sondage IFOP. Une enquête réalisée fin février sur un panel étendu de 10 002 personnes prévoyait quant à elle une participation éventuelle de 42 %… soit une abstention de 58%.

Comment cette abstention s’explique-t-elle ?

L’abstention électorale, un “mal européen”

Au même titre que la plupart des élections en Europe, les européennes subissent d’abord une crise de la représentation. Les niveaux de confiance accordés aux acteurs politiques, aux partis et aux institutions diminuent depuis plusieurs décennies et atteignent ces dernières années des niveaux inquiétants, par exemple chez les Français. 67 % d’entre eux s’accordent à dire que la démocratie ne fonctionne “pas très bien” ou “pas bien du tout” dans leur pays, selon le Baromètre de la confiance politique publié en 2018 par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Un chiffre qui, en 1973, s’élevait à 46 % des Français, selon les premières enquêtes menées dans le cadre de l’Eurobaromètre.

Plus généralement, 41 % des Européens se déclarent peu ou pas du tout satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays. Seuls 42 % disent avoir confiance en l’UE et 35 % en leur gouvernement national, selon l’Eurobaromètre publié en décembre 2018.

Symptôme de cette confiance en berne des citoyens dans leurs institutions, la participation aux élections législatives en France diminue de façon quasi-systématique depuis 1978. Alors que cette année-là, 84,86 % des électeurs inscrits s’étaient déplacés pour voter au second tour, la participation est tombée à 42,64 % en juin 2017. Un record. Et un taux presque identique à celui des européennes de 2014…

Par ailleurs, si la participation reste relativement élevée à la présidentielle, elle diminue aussi aux élections municipales, presque continuellement depuis les années 1980.

Cette tendance à déserter les urnes est observée dans la plupart des Etats membres. En Allemagne, le taux d’abstention est compris entre 24 et 30 % lors des trois dernières élections fédérales de 2009, 2013 et 2017 contre 22 % en 2005 et 9 % en 1971. En Italie, la participation aux élections générales baisse continuellement depuis les années 1970 (le vote obligatoire a été supprimé en 1993). Au Royaume-Uni, la participation aux élections législatives tombe sous la barre des 60 % en 2001 et demeure inférieure à 70 % depuis.

En Pologne, l’abstention est structurellement considérable. “Lors des élections parlementaires de 2015, seule la moitié des électeurs polonais sont allés voter, contre près de 60% des Slovaques et des Tchèques pour des scrutins comparables en 2016 et 2017, et contre 70% des Hongrois en 2018″ , souligne ainsi Przemysław Kossakowski, doctorant à l’Université de Gdansk.

Il y a un contexte politique auquel les élections européennes n’échappent pas” , explique ainsi le politologue Olivier Costa, directeur de recherches au Centre national pour la recherche scientifique (CNRS). Et finalement, les européennes ne s’en sortent pas si mal.

Un désintérêt pour l’UE

Un éventuel rejet de l’Union européenne et de ses institutions n’explique pas de façon satisfaisante ce niveau d’abstention. En 2014, l’actuel président du Mouvement européen Yves Bertoncini notait qu’une telle explication pouvait paraître convaincante pour un pays comme le Royaume-Uni “où le débat public est souvent très critique vis-à-vis de ‘l’Europe de Bruxelles’ “… mais semble toutefois inadaptée à d’autres Etats membres où l’UE bénéficie malgré tout d’une image positive.

L’abstention aux européennes témoignerait plutôt d’un désintérêt pour ses politiques et ses institutions jugées complexes et lointaines. “En France il n’y a plus un enthousiasme délirant envers l’UE. Globalement, les français souhaitent que la France reste dans l’UE, donc en tant que telle, l’abstention traduit plutôt un désintérêt qu’un rejet” , note Mathieu Gallard, directeur de recherche à l’institut Ipsos.

Des institutions perçues comme complexes et lointaines

Car les citoyens ne sont pas particulièrement au fait du rôle et des compétences du Parlement qu’ils sont appelés à élire. Celui-ci évolue au sein d’une architecture européenne “extrêmement complexe pour les Européens de tous les pays”, note Mathieu Gallard : “il faut vraiment s’y intéresser pour en comprendre les mécanismes qui sont très différents des mécanismes nationaux.

Or les politologues observent que les citoyens se rendent aux urnes s’ils comprennent clairement les enjeux de l’élection. “Les gens vont voter dans un premier temps parce qu’ils ont l’impression de bien comprendre” , explique ainsi Olivier Costa. Médiatisée et expliquée dans un cadre institutionnel familier aux électeurs, la présidentielle en France présente un taux de participation relativement élevé.

Aux européennes, les enjeux politiques restent flous, d’autant plus que l’organisation de l’hémicycle européen par groupes politiques transnationaux répond aussi à des logiques spécifiques. La complexité du fonctionnement institutionnel de l’UE est donc un facteur non négligeable de l’abstention.

Le choix d’aller déposer son bulletin dans l’urne est aussi corrélé au sentiment d’être concerné par ce qui se joue. Or, c’est d’abord au niveau local et national que sont prises les décisions tangibles qui affectent le quotidien et le portefeuille des Européens : logement, protection sociale, fiscalité, chômage… En France, les élections présidentielles et municipales présentent les taux de participation les plus élevés. A quelques exceptions près, une élection présidentielle voit au moins 75 % des inscrits se rendre aux urnes. Une tendance également observée en Allemagne alors que les élections fédérales de 2017 ont mobilisé 76,15 % des inscrits.

Les européennes subissent en France le même sort que les régionales ou les cantonales (respectivement 49,9 % au premier tour en 2014 et 49,8 % au premier tour en 2015). Et c’est évidemment sans compter les prud’hommales ou encore les élections professionnelles…

Les citoyens s’abstiennent aux européennes, et aux élections en général, s’ils “ont le sentiment que c’est compliqué, que ça ne va pas avoir d’impact sur eux” , résume Mathieu Gallard.

Des équilibres constants et des compétences limitées

Et justement, les élections européennes n’entrainent pas de changements profonds dans la répartition des équilibres politiques au niveau des institutions européennes. Alors que des législatives peuvent provoquer une véritable alternance, les élections européennes renouvellent le Parlement européen mais ne bousculent que marginalement les orientations politiques de l’UE.

Le nouveau Parlement approuve en effet de nouveaux commissaires, eux-mêmes nommés par les Etats membres, ainsi que le président de la Commission. Le Conseil européen (les chefs d’Etat et de gouvernement) ne change pas ses orientations politiques. Le Conseil de l’UE (la réunion des ministres des Etats membres) n’est en aucun cas modifié.

Dans l’objectif de renforcer la légitimité démocratique de l’UE, les pouvoirs du Parlement européen, qui représente les citoyens et l’intérêt général européens, ont été renforcés au fil des années. De telle sorte qu’il partage à présent un pouvoir de co-décision avec le Conseil.

Ce dernier reste cependant l’autorité de référence dans quelques rares domaines clés. En matière de fiscalité par exemple, le Parlement est simplement consulté et son avis n’a rien de contraignant. Celui-ci n’a pas non plus son mot à dire s’agissant des décisions de politique économique de la zone euro. Le droit d’initiative législative revient par ailleurs entièrement à la Commission européenne.

Le Parlement est-il pour autant illégitime et “mal élu” du fait de cette forte abstention ? “Personne ne met en cause la légitimité du congrès américain en tant que chambre représentative” , tempère Olivier Costa, alors que les midterms de novembre 2018 n’ont mobilisé que 48 % des électeurs inscrits, un record de participation depuis 50 ans…

L’UE, un sujet “anti-télévisuel” ?

Au-delà d’une indéniable complexité d’institutions et de politiques, dont l’impact est perçu comme limité par les électeurs dans leur vie quotidienne, l’actualité de l’Union européenne fait rarement les gros titres. Des explications destinées à un public large sur les enjeux européens sont donc rares, notamment à la télévision, toujours privilégiée par 46 % des Français pour s’informer.

Une étude de la fondation Jean Jaurès relève ainsi qu’en 2018, pour les principaux journaux télévisés français, “les États de l’Union européenne ont été mentionnés dans 13,2 % de l’ensemble des sujets présentés à l’écran” et que “l’Union européenne, ses institutions, son action ou encore ses relations avec ses États membres sont mentionnés dans 2,7 % des sujets diffusés à l’antenne”…

Les rédactions interrogées par les auteurs évoquent un manque d’incarnations visuelles ou par des personnalités, des contraintes logistiques, des sujets politiques perçus comme “arides” , “anti-télévisuels” , ou encore un désintérêt pour les enjeux institutionnels en général. Cette faible médiatisation qui pose toutefois “la question de la visibilité des enjeux politiques européens au quotidien” , note l’étude. D’autant plus que l’actualité des États-Unis est sur-représentée dans les journaux télévisés.

Et en période électorale, l’actualité de la campagne n’est pas non plus un sujet privilégié par les médias car l’audience qu’elle draine demeure faible. Le premier débat organisé par France 2 entre les principales têtes de liste n’a rassemblé qu’1,9 million de téléspectateurs.

Une médiatisation relativement faible, donc, et loin de “motiver les Français qui s’intéressent assez peu à la politique en période ordinaire” , pour Mathieu Gallard. Ce dernier rappelle, une fois de plus, que cela n’est pas spécifique aux européennes. “Une élection législative partielle, personne ne va en parler et les taux de participation sont absolument désastreux” à l’inverse de la présidentielle qui fait l’objet d’une intense couverture médiatique durant plusieurs mois.

Pouvoirs publics et partis politiques y accordent aussi une importance limitée. “Les partis ne misent pas beaucoup sur cette élection, les pouvoirs publics n’en font généralement pas trop, les médias ne s’y intéressent pas donc les gens n’ont pas l’impression que ces élections valent la peine de se déplacer” , déplore de son côté Olivier Costa. Un cercle vicieux qui nourrit l’abstention.

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1 commentaire

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    Erwan de Cambourg

    L’abstention est si faible parce que les Zélus n’ont pas respecter le résultat du référendum de 2005. Nous, les électeurs ont dit NON, à 55%. Malgré quoi le Traité de Lisbonne a été ratifié.
    Quand on méprise les électeurs à ce point, il n’est pas difficile de comprendre qu’ils se détournent de ce que fait la classe politique. Et ce n’est qu’un exemple d’acte anti-démocratique.