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Europe de la défense : les planètes enfin alignées ?

La Commission veut avancer dans un domaine aussi ancien que la construction européenne : “l’Europe de la défense”. Bruxelles en fait l’un des axes majeurs de sa stratégie pour l’avenir de l’Europe, aux côtés de propositions jusqu’ici essentiellement économiques et sociales. L’objectif est de profiter d’un contexte géopolitique favorable pour renforcer l’intégration européenne en matière de défense, sans pour autant concurrencer l’OTAN ou parler d’armée européenne.

Char de l'armée allemande

Le 7 juin, la Commission européenne a rendu public son document de réflexion sur l’avenir de la défense européenne. Ce dernier s’inscrit dans sa stratégie globale pour l’avenir de l’Union et fait suite à trois premiers textes sur le Socle européen des droits sociaux, la maîtrise de la mondialisation et l’avenir de l’Union économique et monétaire. Elaboré conjointement par Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie de l’UE, et Jyrki Katainen, vice-président de la Commission pour l’Emploi, la Croissance, l’Investissement et la Compétitivité, le document relance une idée aussi ancienne que sensible, mais qui trouve aujourd’hui une actualité nouvelle.

Capacités de défense et interopérabilité

De fait, jamais depuis la fin de la Guerre froide les Européens n’auront eu à affronter autant de défis. Comme l’énumère la Commission, “à l’est, certains pays sont confrontés à des menaces et vulnérabilités militaires, économiques et politiques” , alors qu’en Méditerranée et en Afrique, “la multiplication des zones non gouvernées et de conflits a laissé un vide qui a permis aux terroristes et aux criminels de prospérer” . Et qui explique dans une assez large mesure les flux migratoires très importants en direction de l’Europe et la multiplication des attentats qui frappent le continent.

L’heure est par conséquent à l’augmentation des “capacités de défense” , estime l’exécutif européen. D’autant que l’arrivée au pouvoir de Donald Trump fait des Etats-Unis un partenaire stratégique moins fiable pour les Européens, et que la sortie du Royaume-Uni de l’UE est de nature à lever l’un des blocages historiques à l’établissement d’une Europe de la défense. Les citoyens européens sont de surcroît très majoritairement favorables - 70% environ - à cette perspective.

Sur le plan pratique, l’un des principaux enjeux sera d’améliorer l’interopérabilité des capacités militaires européennes. Cette dernière est à l’heure actuelle extrêmement faible : la comparaison avec les Etats-Unis étant particulièrement édifiante. Lorsque les Américains utilisent 30 systèmes d’armes différents, les Européens en utilisent 178. Alors qu’un seul modèle de char existe aux Etats-Unis, les Etats membres en possèdent 17. Ou encore pendant que 6 types d’avions de chasse sont exploités outre-Atlantique, 20 différents sont utilisés en Europe. La capacité des pays européens à intervenir conjointement sur le terrain s’en trouve donc sérieusement entravée. Sans parler des économies d’échelle susceptibles d’être réalisées dans l’hypothèse d’une harmonisation des équipements.

Pour y remédier, l’exécutif européen envisage trois scénarios. Le premier serait proche du statu quo : les Etats membres continueraient de décider au cas par cas de l’opportunité d’une coopération en matière de défense. Une deuxième option irait jusqu’à mutualiser certaines ressources financières et opérationnelles et confèrerait à l’Union davantage de prérogatives en matière de cybersécurité, de protection des frontières et de lutte contre le terrorisme. Enfin, le troisième scénario, de loin le plus ambitieux et privilégié par la Commission européenne, ferait aboutir l’idée d’une défense commune. Si les Etats membres y consentent, “la protection de l’Europe deviendrait une responsabilité de l’Union et de l’OTAN dont chaque partie tirerait profit” . L’UE serait à même de mener des opérations de “haute intensité” grâce à une intégration poussée des forces militaires.

Un fonds européen de défense pour accroître la complémentarité

Quel que soit le chemin emprunté par les Etats, un Fonds européen de défense doit être constitué. A l’horizon 2020, ce dernier est appelé à être abondé à hauteur de 5,5 milliards d’euros. 500 millions d’euros par an seront consacrés à la recherche en matière de défense et proviendront intégralement du budget européen. Et 5 milliards d’euros par an seront disponibles pour le développement, dont 1 milliard issu de l’Union européenne. L’objectif, insiste la Commission, n’est pas la création, à terme, d’une armée européenne ou la duplication des capacités de l’OTAN. Les Etats membres seront les propriétaires du matériel produit et l’UE restera complémentaire de l’Alliance atlantique, ce qui est une exigence de nombreux pays européens, notamment de l’est.

Toutefois, s’il ne s’agit pas du grand soir pour l’Europe de la défense, cette évolution s’apparenterait tout de même à une “révolution copernicienne” , pour reprendre l’expression de Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques. Comme l’a également indiqué Jean-Claude Juncker, président de la Commission, le “soft power ne suffit plus” . “Se sentir en sécurité chez soi est le plus fondamental et le plus universel des droits. Notre Union doit le garantir aux Européens” , soutient-il.

Et M. Juncker devrait pouvoir compter sur le soutien de la France et de l’Allemagne. Relancé par l’élection d’Emmanuel Macron, le couple franco-allemand entend en effet défendre l’approfondissement de l’Europe de la défense et cherche à jouer sur la complémentarité des deux pays. A la France les capacités opérationnelles et de réaction rapide. A l’Allemagne les compétences logistiques et les moyens financiers. La nomination de Sylvie Goulard, jusqu’ici eurodéputée et proche de son homologue allemande Ursula von der Leyen, au poste de ministre des Armées était à cet égard tout sauf fortuite. Démissionnaire, Mme Goulard devrait logiquement être remplacée par une personnalité à même de poursuivre sur cette ligne.

Jean-Claude Juncker et Federica Mogherini, en 2015 au Parlement européen - Crédits : Parlement européen

Quelle volonté politique ?

Mais qu’en sera-t-il du reste de l’Union ? Comme le rappelle Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More (think tank européen de centre-droit), dans une tribune parue dans Le Figaro, les “disparités” entre les Etats membres sont en effet criantes. 75% de l’effort européen en matière de défense émane de seulement 5 pays : la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. En outre, les Européens réduisent depuis plusieurs années leurs efforts et leurs effectifs militaires, creusant leur retard avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine. “Depuis la fin de la Guerre froide, les Etats européens ont baissé la garde, et même largement désarmé” , écrit M. Lesueur, qui précise que rien ne pourra être réalisé au niveau européen, sans une augmentation des budgets nationaux de défense.

Dit autrement, l’Europe de la défense ne verra le jour que si les gouvernements font preuve de volonté politique. Une idée partagée notamment par Arnaud Danjean, eurodéputé membre des Républicains et spécialiste des questions de défense. Ce dernier a favorablement accueilli le document de réflexion de la Commission et, selon lui, son approche prudente est la bonne, car parler d’une armée européenne aurait tué “l’idée même de faire des progrès pragmatiques en matière d’intégration de certaines capacités” . Espérer une révolution sur le plan opérationnel est, pour M. Danjean, chimérique, ne serait-ce que parce que “les règles d’engagements ne sont pas les mêmes” suivant les pays.

La clé serait donc bien de jouer sur la “complémentarité” et de s’appuyer sur les capacités françaises pour accroître “l’autonomie stratégique” de l’Union. Un objectif qui indique en lui-même le changement d’ambition de l’Union européenne en matière de défense. Constituer une “coalition des volontaires” sera à cet égard nécessaire, explique également Philippe Lamberts, chef de file des Verts au Parlement européen. “Nous voyons la complexité des opération à mener et la difficulté, avec des appareils militaires considérablement réduits, à maintenir une permanence sur les théâtres d’opération. Même pour les grands pays de défense” , poursuit-il. Et nous aurons tout à gagner à ne pas dépendre des capacités américaines ou russes, achève-t-il.

Les discussions entre les 28 sur l’avenir de l’Europe de la défense figurent à l’ordre du jour du Conseil européen des 22 et 23 juin prochains, et devraient se poursuivre au cours des prochains mois, la Commission se montrant optimiste quant à leur aboutissement. “Cette fois, j’en suis convaincu, c’est la bonne” , a notamment harangué Pierre Moscovici.

Par Jules Lastennet

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