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EU-Talk n°9 avec François Heisbourg

Sortir de l’euro pour sauver l’Union européenne ? C’est la thèse avancée de François Heisbourg, président de l’International Institute for Strategic Studies (IISS basé à Londres), et conseiller spécial du président de la Fondation pour la Recherche Stratégique. Fédéraliste convaincu, François Heisbourg déplore que les conditions de fonctionnement d’une monnaie unique, instruments politiques et budget fédéral conséquent, ne soient pas réunies. L’euro devient alors vecteur de division et non d’unification. En direct des locaux de Toute l’Europe, François Heisbourg a débattu le 7 février avec les internautes. Il est l’auteur de l’ouvrage “La fin du rêve européen” publié en 2013 chez Stock.

François Heisbourg

Retrouvez le contenu intégral du chat ici et le compte-rendu du Live Tweet.

11h02 Toute l’Europe :
Bonjour,
Le chat va bientôt commencer. Posez vos questions !

11h17 Commentaire de la part de François HEISBOURG
Bonjour à tous !

11h18 Commentaire de la part de Jérémy
A quoi est due, selon vous, la crise de la zone euro ?

11h21 François HEISBOURG :
La crise spécifique de la zone euro est due à la combinaison des problèmes inhérents à l’€ (une monnaie fédérale sans institutions fédérales) et des politiques fortement récessives appliquées pour sauver l’€, qui nous ont valu six années sans croissance à l’échelle de la zone euro

11h22 Commentaire de la part de José
Pouvez-vous nous expliquer la différence entre monnaie unique et monnaie commune ?

11h25 François HEISBOURG :
L’euro est une monnaie effective alors que l’ancien ECU (European currency unit), qui a précédé la mise en place de l’€, était une monnaie de compte commune. Je propose que l’on tente de revenir à cette situation, avec un euro comme successeur de l’ECU comme monnaie de compte dans le cadre d’un système monétaire européen dans lequel les monnaies nationales seraient effectives.

11h25 Commentaire de la part de Marc
Est-ce parce que l’Euro a été initialement calqué sur le Deutschmark que la zone euro est maintenant en crise ?

11h32 François HEISBOURG :
C’est une des raisons : l’euro a été ‘vendu’ aux opinions comme aux marchés comme étant ‘stark wie die Mark’ (fort comme le DM), créant avec succès la présomption que la zone euro était comme l’Allemagne : d’où la convergence des taux d’intérêt à partir de 1996 vers les taux allemands et la notion, non prévue dans les traités, que tout incident dans les pays membres serait géré solidairement, comme si le pays concerné (Grèce, France, Espagne, etc) était l’équivalent fonctionnel de l’Allemagne. A partir de ce malentendu d’origine, les banques allemandes, françaises et autres ont prêté aux pays fragiles comme s’il n’y avait aucun risque (alors que personne ne pouvait ignorer que la Grèce, par exemple n’avait pas de cadastre, une comptabilité publique bidouillée etc.). C’est ce qu’on appelle le “moral hazard” (l’aléa moral), dans le jargon financier.

11h32 Commentaire de la part de Matthias
Que va-t-il se passer pour des pays comme la Grèce ou l’Espagne si la zone euro n’existe plus ? Sur quelle solidarité européenne compter ?

11h36 François HEISBOURG :
Pour l’Espagne, la combinaison des réformes économiques réalisées avec une dévaluation de la monnaie nationale doperait l’industrie et l’agriculture espagnole à l’export. Par ailleurs, le fait qu’une bonne partie de la dette publique et privée espagnole est détenue dans le pays éviterait un alourdissement de la dette du fait d’une dévaluation. Mais il ne faut pas trop perdre de temps : la sortie durable de 25% de la population active du marché du travail (et de plus de 50% des jeunes) rendrait difficile leur retour dans le système productif.

11h42 François HEISBOURG :
Pour la Grèce, ce serait beaucoup plus difficile. Avec 6 années ininterrompues de dépression économique (-25% du PIB, comme en Allemagne en 1932), le chômage de longue durée a probablement rendu inapte au retour sur le marché du travail une bonne partie de la population. La troïka, en infligeant ce régime à la Grèce, a créé une situation dans laquelle la Grèce devra rester sous perfusion de ses créanciers (l’UE, pour l’essentiel), s’ils ne veulent pas perdre leur mise complètement. Comme on dit aux US lorsque l’on visite un magasin de porcelaine : ‘you break it, you keep it’ (vous l’avez cassé, vous le gardez!). Nous avons fait subir à la Grèce bien pire que le plus dur des programmes du FMI en Amérique latine ou Asie -et avec moins de succès que le FMI.

11h42 Commentaire de la part de Max
Comment sortir juridiquement de l’euro ?

11h48 François HEISBOURG :
Juridiquement, rien n’est prévu pour sortir de l’€. Mais les mesures prises depuis trois ans (fonds de stabilité, MSE, et autres instruments de mutualisation de fait des risques) n’étaient pas prévues par les traités, et il a fallu tantôt adopter de nouveaux traités ad hoc, soit faire comme s’il n’y avait pas de problème (c’est ce qui est aujourd’hui sur la table de la Cour constitutionnelle allemande s’agissant des mesures prises ou annoncées par Draghi pour sauver l’€ en 2012). Quand l’imprévu arrive (la crise), des mesures non prévues doivent être envisagées.

11h48 Commentaire de la part de Mélanie
Vous êtes pour la sortie de l’euro mais néanmoins fédéraliste. N’est-ce pas contradictoire ? Comment envisagez-vous un avenir européen sans l’euro - seule chose qui nous rassemble tous, finalement ?

11h56 François HEISBOURG :
Ma crainte est que la poursuite du sauvetage de l’€ avec ses effets récessifs et clivants ne mette en péril l’Union elle-même. Je sais que l’UE ne prévoit pas de marche arrière, mais quand on constate qu’une initiative (l’€) ne donne pas les résultats escomptés (prospérité, unité, stabilité), faute des soubassements fédéraux nécessaires à une monnaie unique durable et productrice de croissance, il faut savoir dire : on s’est trompé, la priorité immédiate doit être de relancer la croissance pour réduire le chômage de masse et faire re-converger le coeur et la périphérie de l’Union. C’est seulement après un retour à meilleure fortune qu’il sera possible de relancer une offre politique fédérale en Europe. Aujourd’hui, celle-ci est hélas inexistante.

11h56 Commentaire de la part de Pablo H
L’appel à sortir de l’euro que vous lancez me semble idéaliste. Vous parlez du cas du Brésil en 1994 qui est passé du cruzeiro au reais. Mais la situation économique était bien différente de celle que vit l’Europe actuellement : le Brésil était touché par l’hyperinflation alors que l’Europe est à la limite de la déflation. Si la réussite technique du Brésil est à saluer, y a-t-il des certitudes que cela fonctionne en Europe ?

12h02 François HEISBOURG :
Il n’y a en effet aucune certitude. La question est de savoir si nous devons nous contenter de la seule certitude que nous connaissions, à savoir les conséquences de la politique actuelle et elles ne sont pas jolies : six années sans croissance à l’échelle de la zone euro, c’est l’équivalent de près de 2 trillions d’euros (presque le PIB de la France) si l’on prend comme référence la croissance des six années d’avant la crise. Je ne me satisfais pas de cette situation, ni du chômage de masse, ni de la cassure entre l’Europe du sud et du nord. Je pense que cela vaut la peine de réfléchir aux alternatives (qui sont incertaines par définition), plutôt que de poursuivre dans la voie des actuelles certitudes.

12h02 Commentaire de la part de Catherine
Pourquoi personne n’est capable de nous chiffrer au centime près ce que l’euro nous a coûté et ce qu’il nous a fait gagner depuis sa mise en place ? C’est pourtant le seul critère valable et indiscutable à même de mettre tout le monde d’accord sur la nécessité de son maintien ou de son abandon. C’est pourtant basique et c’est ce critère qui conditionne tous nos choix économiques.

12h05 François HEISBOURG :
Pour une raison simple : parce que nous ne pouvons pas savoir avec certitude ce qui se serait passé en l’absence de l’€. Donc la réponse dépend des hypothèses que l’on peut émettre en la matière : c’est ce que j’ai fait avec le chiffrage auquel j’ai procédé dans la réponse à la question de Pablo H.

12h05 Commentaire de la part de Luc
Abandonner l’euro ne sapperait-il pas l’énorme travail d’intégration économique (type politiques communes d’emploi, libre circulation des travailleurs, interdépendance des industries), et du coup aboutirait à un abandon pur et simple de 50 ans de construction européenne ?

12h06 François HEISBOURG :
2 éléments de réponse:1) la construction européenne s’est faite sans l’€ pendant la période de 1950 jusqu’à la création de l’euro.

12h11 François HEISBOURG :
2) les pays non-euros de l’Union, y compris ceux qui sont associés à l’économie allemande (Suède, Pologne, Danemark, République tchèque) ne paraissent pas rencontrer de problèmes particuliers du fait de leur appartenance à une Union sans l’euro. Certains sont ‘bons européens’ (comme la Suède), tous ne sont pas partisans du opt-out à l’anglaise (comme le Danemark). Et des pays que je cite, ni la Suède, ni la Tchéquie, ni le Danemark (sans parler de l’incertain Royaume Uni) n’ont envie de rejoindre l’euro. Donc, je ne vois pas pourquoi il faudrait absolument être un tenant d’un euro aux effets centrifuges (pour l’UE dans son ensemble) et récessifs (pour la plupart des membres de l’eurozone) pour aussi être un bon Européen.

12h12 Commentaire de la part de Elise
L’euro est un des symboles forts de l’UE. En supprimant ce lien que nous partageons avec 324 millions d’Européens, ne craignez-vous pas d’éloigner encore plus les citoyens de l’UE et d’entailler le projet européen ?

12h13 François HEISBOURG :
Ce qui éloigne les citoyens de la construction européenne, c’est le chômage de masse et l’absence de croissance qui caractérisent les mesures prises pour maintenir en vie un euro dans une Europe sans institutions politiques fédérales

12h15 Commentaire de la part de Charles M
Prônez-vous un abandon définitif de l’euro ou bien, une fois qu’une véritable union politique sera formée (dans un siècle, peut-être avant ?), pourra-t-on envisager de relancer la monnaie unique ?

12h20 François HEISBOURG :
Non, je propose un démantèlement ordonné de l’euro (en admettant que la situation de calme créée par Draghi en 2012 nous en donne le loisir), de façon à faire redémarrer la croissance dans les pays les plus atteints par le chômage et les plus aptes du fait des réformes entreprises (Espagne, Italie notamment). Après une période de retour à meilleure fortune dans le cadre d’une Union revenue en substance au système monétaire européen des années 80, peut-être sera-t-il possible relancer l’union politique, et à partir de là, de revenir vers une monnaie unique. Mais nous ne devons pas refaire l’erreur des années 90-00, à savoir : faire l’euro en laissant l’union politique dans le fossé (avec comme point culminant le rejet du traité constitutionnel en 2005)

12h21 François HEISBOURG :
Merci à toutes et tous ! Bonne continuation pour vous et pour notre Europe.

12h22 Toute l’Europe :
Chers internautes, toutes les questions n’ont malheureusement pas pu être publiées, mais vous retrouverez le compte-rendu du chat en Une de Touteleurope.eu !

12h23 Toute l’Europe :
Merci à François Heisbourg, et à bientôt pour un nouveau chat !

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