Toute L'Europe – Comprendre l'Europe
  • Actualité

EU-Talk n°14 sur la fiscalité avec Alain Trannoy

Depuis la médiatisation du scandale financier révélant un système d’évasion fiscale massive au Luxembourg, le LuxLeaks, de nombreuses questions se posent : en quoi consistent exactement les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales et les politiques d’attractivité fiscales des Etats-membres ?

Tandis que ces accords anticipés permettent à certaines multinationales d’échapper à leurs impôts en France, peut-on estimer le manque à gagner pour l’Etat français ? Combien coûte la fraude fiscale à la France ?

Au niveau européen, comment compte réagir la Commission européenne à l’évasion fiscale en Europe ?

Les Etats-membres de l’UE sont-ils en faveur d’une harmonisation fiscale ?

Une convergence des systèmes fiscaux au sein de l’UE est-elle réalisable ?

Alain Trannoy a répondu en direct à vos questions, mercredi 10 décembre de 12h à 13 h.

Directeur de l’école d’économie d’Aix-Marseille, Alain Trannoy est également directeur d’études à l’EHESS (école des hautes études en sciences sociales), membre du Conseil d’analyse économique (CAE) et président de l’Association Française de Sciences Economiques (AFSE).

Il est l’auteur de “Il Faut Une Révolution Fiscale - Qu’en pensent les économistes ?” chez Eyrolles les Echos.

Retrouvez le contenu du chat ici :

12h02 Toute l’Europe :
Bonjour,
Le chat va bientôt commencer !

12h06 Alain Trannoy
bonjour

12h07 Commentaire de la part de Darmon
Dans l’affaire LuxLeaks, on dénonce le “tax ruling” ? Pourriez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?

12h28 Alain Trannoy
En bon français ce sont des “rescrits” qui consistent à demander à l’autorité fiscale une dérogation au droit commun.

12h28 Commentaire de la part de Atem
Quelles sont les différences entre optimisation fiscale et évasion fiscale ? Au niveau européen cela revient-il au même ?

12h30 Alain Trannoy
L’optimisation fiscale consiste à utiliser les défaillances des traités bilatéraux en matière de fiscalité de façon à transférer les profits de pays à taux de taxe élevés vers des pays à taux de taxes faibles
L’optimisation participe de l’évasion fiscale puisqu’il s’agit de diminuer la masse taxable.
L’optimisation est une technique d’évasion fiscale.

12h32 Commentaire de la part de KimLi
On parle beaucoup du Luxembourg, mais les Pays-Bas et l’Irlande ne permettent-ils pas aussi l’évasion fiscale à grande échelle ?

12h33 Alain Trannoy
Absolument. Dans l’Europe des 28, Pays-Bas et Irlande participent également à grande échelle. En particulier les Pays-Bas ont ce qu’on appelle des “boîtes à brevets” qui permettent de diminuer ou d’exempter les revenus tirés de la propriété intellectuelle.
L’Irlande supprime un certain nombre de dispositifs dérogatoires comme le “double irlandais” , mais va renforcer les exonérations liées à leurs “boîtes à brevets” (selon une communication du ministre des finances irlandais).

12h35 Commentaire de la part de Karamba
Quelles différences entre l’évasion fiscale des personnes et celle des entreprises ? Les combat-on de la même manière ?

12h36 Alain Trannoy
L’échange automatique d’informations bancaires va rentrer en vigueur pour une centaine de pays à partir du 1er janvier 2017, et cela participe du combat contre la fraude fiscale individuelle.
Pour les personnes il s’agit beaucoup plus de fraude que d’évasion fiscale.
La lutte contre l’évasion fiscale des entreprises appelle à des réponses autres.

12h37 Commentaire de la part de Jon
Quelle somme la France perd-elle chaque année en raison de l’évasion fiscale des entreprises ? Et des particuliers ?

12h39 Alain Trannoy
La fraude à la TVA est en train de prendre de l’ampleur et atteindrait selon l’OCDE 25 milliards d’Euros. Elle implique à la fois les ménages et les entreprises.
Si l’on prend globalement l’ensemble des impôts, il existe un écart de l’ordre de 10% entre les recettes fiscales ou sociales perçues et celles attendues - s’il n’y avait aucune évasion ou aucune fraude. Donc cela représente au total quelque chose comme 90 milliards d’euros par an. C’est une estimation mais cet écart en pourcentage est l’un des plus faibles au monde.

12h41 Commentaire de la part de Sylvain
Que pensez-vous de la “taxe Google” annoncée au Royaume-Uni ? La France pourrait-elle s’en inspirer ?

12h42 Alain Trannoy
La “taxe Google” consiste à taxer 25% des bénéfices effectivement réalisés au Royaume-Uni et qui sont transférés par optimisation fiscale vers d’autres pays.
Le problème est de savoir comment calculer les bénéfices effectivement réalisés par Google
… pour l’instant nous n’avons pas le détail de la manière dont le Royaume-Uni va procéder.
La Grande-Bretagne a toujours été contre la coordination fiscale en Europe. On voudrait espérer que cette mesure témoigne d’un changement d’état d’esprit.

12h44 Commentaire de la part de Jeanine12
Que pensez de la mise en cause de Jean-Claude Juncker dans le scandale LuxLeaks ? Peut-il être encore un allié du Luxembourg alors qu’il est désormais à la tête de la Commission européenne ?

12h47 Alain Trannoy
Fouché a été ministre de la police sous Napoléon alors qu’il avait été un criminel… les malfaiteurs sont les meilleurs policiers. Le problème est peut-être moins le Luxembourg qui est sous les feux de la rampe que les Pays-Bas qui pratiquent les rescrits depuis plus longtemps et de manière plus efficace pour attirer les holdings chez elle
L’opposition des Pays-Bas est peut-être à moyen terme plus problématique car ils sont les champions des boîtes à brevet. La boîte à brevet est un dispositif qui permet de localiser les brevets et pour lequel les dispositifs fiscaux sont très avantageux. a titre d’exemple, si une entreprise américaine a une filiale en France qui fait appel à la filiale aux Pays-Bas pour l’utilisation des brevets, la filiale française paie très cher les royalties des brevets et donc fait très peu de profit en France, tandis que la boîte hollandaise fait beaucoup de profits peu taxés.

12h51 Commentaire de la part de Patàtarte
Bonjour, l’évasion/optimisation/fraude fiscale n’est pas uniquement liée à la “pression” fiscale locale. En point de PIB et en comparaison avec le niveau de prélèvement local, quels sont les pays les plus/moins touchés ? Par exemple, le Danemark, avec son taux de prélèvements très élevé, est-il plus particulièrement touché ?

12h54 Alain Trannoy
Il faut distinguer les entreprises et les particuliers : pour les entreprises, plus un pays a des multinationales, plus il est touché. En particulier, les Etats-Unis sont fortement touchés et les multinationales américaines sont les premières bénéficiaires des comportements d’un certain nombre de pays européens comme Irlande, Luxembourg, Pays-Bas. D’autant plus que les multinationales américaines font beaucoup plus de profits que les multinationales françaises.
Pour les particuliers : plus un pays a des taux d’impôt sur le revenu ou des taux sur la fortune élevés , plus il est touché. Entre aussi en considération l’efficacité de l’administration fiscale, et à cet égard on estime que la Grèce et l’Italie sont les plus touchés concernant la fraude et l’évasion des particuliers.

12h56 Commentaire de la part de Aurore
Quels sont les facteurs faisant obstacle à une convergence des systèmes fiscaux en Europe ? A l’inverse, quelles sont les pistes pour une vraie réforme fiscale ?

12h58 Alain Trannoy
Le premier obstacle c’est le traité de Lisbonne, où la règle de l’unanimité prévaut pour toute question fiscale. Donc il suffit que les intérêts financiers des grandes entreprises multinationales soient concentrés dans un pays pour que ce pays soit suffisamment proche des intérêts de celles-ci et pose donc un veto. Dans un passé récent, Luxembourg, Autriche, Irlande, Pays-Bas, Grande-Bretagne se sont à des degrés divers toujours opposés à une plus grande coordination.
Les points positifs sont la prise de conscience de l’inégalité de la charge fiscale et l’obligation de rembourser les dettes forcent à la coopération fiscale internationale.
A cet égard, l’importante dette américaine ou britannique est un atout, car ces pays aussi cherchent des recettes fiscales.
A court terme, est en discussion la question des boîtes à brevets et “curieusement” la France fait partie des pays interrogés par la Commission à ce sujet
Ensuite, un projet est bloqué depuis 2011 d’un impôt sur les sociétés intégré au niveau européen, qui va être remis sur la table des négociations comme l’a indiqué Pierre Moscovici. Une autre proposition que j’ai faite dans le cadre du Conseil d’analyse économique (voir note n°14 du CAE) est celle d’une coopération renforcée entre différents pays comme la France et l’Allemagne qui pourraient adopter ce projet européen en espérant un effet boule de neige.

13h06 Commentaire de la part de Patàtarte
Considérez-vous que la création en Europe d’une monnaie unique avant une harmonisation fiscale poussée était une erreur ? N’était-ce pas mettre la charrue avant les bœufs ? Ou pensez-vous au contraire que l’Euro pousse à cette harmonisation et qu’il était nécessaire pour y arriver, lentement mais surement ?

13h07 Alain Trannoy
L’impôt est le domaine de souveraineté nationale, comme la défense, et donc sensible. C’est aussi le domaine par excellent où le Parlement s’exprime.
Le problème pour créer un véritable impôt européen vient pour l’instant du manque de légitimité du Parlement européen pour parler au nom de l’ensemble des citoyens européens de sujets fiscaux. L’idée de Jacques Delors a été depuis le début que la monnaie unique forcerait les Européens à se sentir de plus en plus proches (et donc de plus en plus solidaires).… et donc d’accepter de parler de sujets fiscaux ensemble. Quand on parle avec les Allemands, il ne sont pas contre cette intégration fiscale (contrairement à ce que l’on pourrait croire), mais ils veulent le faire avec des partenaires qu’ils jugent fiables.

13h11 Toute l’Europe :
Le chat va devoir se clôturer ! Merci beaucoup à Alain Trannoy pour ses réponses très intéressantes !

13h12 Alain Trannoy
Merci pour toutes ces intéressantes questions et j’espère avoir pu contribuer à éclairer un peu les enjeux fondamentaux autour de ces questions !

13h13 Commentaire de la part de Patàtarte
Merci à Mr Trannoy et à touteleurope.

13h14 Toute l’Europe :
Merci aux internautes pour les questions et réactions ! A très bientôt pour un nouveau EUTalk avec Toute l’Europe !

Votre avis compte : avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans cet article ?

Pour approfondir

À la une sur Touteleurope.eu

Flèche

Participez au débat et laissez un commentaire

Commentaires sur EU-Talk n°14 sur la fiscalité avec Alain Trannoy

Lire la charte de modération

Commenter l’article

Votre commentaire est vide

Votre nom est invalide