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EU-Talk n°16 avec Yves Bertoncini sur la politique de sécurité et de défense

Le 11 mars, la Haute représentante de l’Union européenne, Federica Mogherini, présentera son rapport annuel sur la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), lors de la plénière du Parlement européen.

Alors que le contexte international est en ébullition (Daech, Ukraine mais aussi Libye, République Centrafricaine …), de nombreuses questions persistent sur l’efficacité de la politique de sécurité et de défense de l’Union :

- Comment fédérer et renforcer la politique de sécurité de l’Union ?

- Quel est le rôle du Haut représentant dans ce domaine ?

- L’Union européenne est-elle réellement un acteur stratégique incontournable ?

- Pourquoi l’Union semble-t-elle réticente à recourir à l’outil militaire ?

- Une Europe “plus forte” telle qu’évoquée par Jean-Claude Juncker lors de l’arrivée de la nouvelle Commission est-elle possible ?

Yves Bertoncini

Yves Bertoncini est Directeur de l’Institut Jacques Delors. Il est administrateur de la Commission européenne. Il a travaillé dans les services du Premier Ministre français en tant que chargé de mission “Europe” au Centre d’analyse stratégique (2006-2009) et comme Conseiller auprès du Secrétaire général des Affaires européennes (2010-2011). Il est l’auteur de nombreux ouvrages, rapports et articles sur les enjeux européens. Il enseigne ou a enseigné au Corps des Mines, à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et à l’Ecole nationale d’administration.

Retrouvez le contenu du chat ici :

11h53 Toute l’Europe :
Bonjour à tous ! Le chat avec Yves Bertoncini Directeur de l’Institut Jacques Delors, va bientôt commencer !

12h04 Yves Bertoncini :
Bonjour, je suis heureux d’avoir l’opportunité de répondre à vos questions sur la politique européenne de sécurité et de défense - vaste programme !

12h06 Commentaire de la part de Georges
Une armée européenne, comme le propose Juncker, n’est-elle pas irréaliste ?

12h09 Yves Bertoncini :
Un projet d’ “armée européenne” était irréaliste dans les années 50, la Communauté européenne de défense a été rejetée, mais une armée européenne aurait aujourd’hui tout son sens, face aux défis qu’affrontent les Européens
Une “armée européenne” serait utile face à des défis comme l’agressivité de Vladimir Poutine ou le terrorisme islamiste, face auxquels l’union fait la force
Une “armée européenne” permet aussi d’être de mieux utiliser l’argent des contribuables européens, aujourd’hui trop dispersé : là aussi l’union ferait la force
Une “armée européenne” pourrait être constituée sur le mode OTAN et dans le cadre de l’OTAN : des troupes et des armes prépositionnées et prêtes à l’emploi si nécessaire - elle pourrait aussi s’appuyer sur des forces communes de type Eurocorps
Le projet d’ “armée européenne” est un projet à moyen terme, qui ne réunira sans doute pas tous les pays de l’UE, mais c’est important de l’afficher comme perspective comme l’a fait JC Juncker

12h16 Commentaire de la part de Latorre
C’est utile d’avoir une armée commune, alors que les groupements tactiques de l’UE n’ont jamais été utilisés ?

12h17 Commentaire de la part de Marie87
Pourquoi l’UE est-elle réticente à utiliser les outils militaires dont elle s’est elle-même dotée ? N’est-ce pas un aveu de faiblesse ?

12h18 Yves Bertoncini :
Une “armée commune” ne sera utilisée que s’il y a un accord clair sur les menaces communes : c’est d’abord pour ça que Poutine et Daech remette ce projet à l’ordre du jour
L’important est aussi que les Etats et leurs opinions publiques soient d’accord pour mobiliser des outils communs face à des menaces communes - les difficultés techniques seront alors aplanies plus facilement
L’intendance ne suit pas toujours à Bruxelles, car il est difficile d’unir des armées nationales - mais elle suivra si une volonté politique forte est affirmée

12h22 Commentaire de la part de Delano
L’implication militaire européenne reste très timide face à Daech. Boko Haram vient de prêter allégeance. Faut-il passer à l’offensive ? L’Europe le peut-elle et le veut-elle ?

12h28 Yves Bertoncini :
Il y a une intervention militaire de plusieurs Etats membres de l’UE en Irak, et notamment de la France, l’UE en tant que telle soutient cette intervention - la détermination à intervenir n’est pas encore aussi claire au Sahel
Ce qui peut inciter les Européens à passer à l’offensive en Afrique est la détérioration de la situation en Libye : Daech a désormais pris pied juste en face, sur la côte sud de la Méditerranée
La France est intervenue au Mali avec le soutien de plusieurs Etats membres de l’UE. Une intervention contre Boko Haram supposerait l’accord des autorités nigérianes

12h30 Commentaire de la part de Alex21
Pourquoi l’Union européenne en tant que telle ne fait pas partie de la coalition internationale contre Daech ?

12h33 Yves Bertoncini :
Belgique, Danemark, France, Pays-Bas et Royaume-Uni interviennent militairement contre Daech en Irak, Espagne et Portugal envoie des instructeurs militaires, mais l’UE en tant que telle n’a pas d’ “armée” à envoyer
L’UE est pleinement engagée dans le combat international contre Daech au niveau diplomatique, mais seulement certains de ses Etats membres, les plus déterminés et les mieux équipés, participent à la coalition militaire

12h34 Commentaire de la part de Violainelareine
Que peut faire l’Europe pour l’Ukraine ? Faut-il l’armer ?

12h37 Yves Bertoncini :
L’Europe a été et est unie pour soutenir l’Ukraine : elle n’a pas reconnu l’annexion de la Crimée, elle dénonce l’intervention russe, elle inflige des sanctions à la Russie, qui ont des effets sérieux sur ce pays
Les pays européens ne veulent pas intervenir militairement en Ukraine, et Poutine le sait ; ils veulent parvenir à une solution diplomatique, sur la base des accords de Minsk ; il n’est pas certain que des livraisons d’armes changeraient la donne pour parvenir à ce règlement - même s’il ne faut pas les exclure par principe

12h41 Commentaire de la part de Betty
En laissant Hollande et Merkel négocier seuls avec Poutine, l’UE n’a-t-elle pas démissionnée ?

12h41 Commentaire de la part de Jean-Paul
Dans les négociations avec la Russie, où est Federica Mogherini ? Pourquoi n’intervient-elle pas ?

12h43 Yves Bertoncini :
En matière diplomatique, il est utile que les pays les plus engagés et audibles soient en première ligne, tout en étant en accord et en liaison avec les institutions européennes : c’est ce qui s’est passé pour l’Ukraine il y a un an (Allemagne-France-Pologne) et tout récemment (Hollande-Merkel)
Ce n’est pas une “démission” de l’UE - ce serait plutôt une “mission de l’UE” exercée par certains Etats membres
F. Mogherini a pris récemment ses fonctions, elle a beaucoup de défis à affronter - elle n’a pas été trop en pointe sur la Russie compte tenu de l’activisme franco-allemand.
Il se trouve qu’on a reproché à F Mogherini d’être un peu trop “pro-russe” au moment de sa nomination, ce n’est pas le défi le plus facile à traiter pour elle - d’autant que le Président du Conseil européen Donald Tusk a lui choisi de se mobiliser fortement

12h48 Commentaire de la part de Nahtaliya
Viktor Orban est davantage l’allié de Moscou que de Bruxelles. Comment mettre sur pied une politique étrangère et de défense digne de ce nom à 28 ? Se passer de l’unanimité est-il possible ?

12h52 Yves Bertoncini :
Le positionnement pro-russe d’Orban n’a pas conduit la Hongrie à mettre son veto aux projets de sanction contre la Russie - au moins à ce stade. Et la Hongrie est membre de l’OTAN depuis 1999, elle n’a pas demandé à en sortir
Il est vrai qu’il est difficile de bâtir des consensus diplomatiques à 28, plus encore lorsqu’il s’agit de passer à des sanctions économiques ou à des interventions militaires. Dans ces cas-là, il faut au moins éviter les “vetos” pour agir dans le cadre de l’UE (cela a été fait pour l’Ukraine), à défaut agir en parallèle de l’UE et jamais contre ses positions bien sûr

12h55 Commentaire de la part de Nicole
L’Allemagne prétend être favorable à une armée commune : ce n’est pas un peu hypocrite de leur part, eux qui ont bloqué la décision pour les interventions en Libye, Mali et RCA ?

12h57 Yves Bertoncini :
A ma connaissance, ce n’est pas “l’Allemagne” mais sa Ministre de la défense Ursula Von der Leyen qui s’est déclarée favorable à la “perspective” d’une armée européenne - une position précise d’Angela Merkel serait utile
Le fait que JC Juncker ait évoqué le projet d’armée européen dans un journal allemand (le Welt am Sonntag) n’est sans doute pas un hasard : compte tenu de son passé nazi, ce pays est en effet traversé de profondes contradictions s’agissant des interventions militaires extérieures
L’Allemagne a cependant participé à des interventions militaires extérieures dans un passé récent, par exemple en Afghanistan. Peut-être est-ce justement lorsque ces interventions seront celles d’une armée européenne (et non allemande) que ce pays pourra être plus à l’aise ?

13h01 Commentaire de la part de Visiteur
L’Europe de la défense c’est un peu l’Europe des “Bisounours” comme dans beaucoup de politiques (Industries, environnement,…) alors que les militaires européens travaillent ensemble dans le cadre de l’OTAN. Ne serait-il pas l’heure de créer un Etat-major européen chargé de la défense européenne et qui représenterait tous les états membres ? Allons-nous dans cette voie ?

13h09 Yves Bertoncini :
Il y a déjà depuis 2001 un Etat-major de l’Union européenne (EMUE), qui a des fonctions d’évaluation, d’alerte et de planification stratégique, et qui est rattaché à F Mogherini : il a même une adresse à Bruxelles au 150, rue de Cortenbergh
Cet Etat-major de l’UE agit sous le contrôle du “Comité militaire de l’UE” , où sont représentés les chefs d’état-major des armées de chaque pays membre de l’UE C’est donc une première pierre sur laquelle l’UE doit bâtir davantage - il compte moins de 200 personnes à ce stade
Cet Etat-major est la seule structure militaire permanente intégrée de l’UE, le “Service européen pour l’action extérieure” constitue une tentative d’intégration similaire sur le plan diplomatique : c’est d’ailleurs parce qu’ils auront forgé plus de positions diplomatiques communes que les Européens pourront davantage agir en commun sur le plan militaire
Les rapprochements en matière d’industrie de défense (de type EADS) ou des forces armées seront eux aussi plus faciles si il y a une identification commune des menaces, et le constat que l’union peut être une réponse à ces menaces

13h18 Commentaire de la part de Fabien
Si on a une armée européenne, cela ne veut-il pas dire qu’il faut aussi une Europe politique ? Le SEAE est bien faible car il attend les ordres du Conseil pour agir

13h20 Yves Bertoncini :
Une armée est en effet un outil au service d’une vision politique : le SEAE a pour mission de forger une telle vision commune, en faisant intéragir des membres issus des Etats membres mais aussi du Conseil et de la Commission
C’est la perception d’une menace commune (l’URSS de Staline) qui a permis de lancer la construction européenne au début de la guerre froide ; c’est parce que les Européens regarderont davantage le monde d’aujourd’hui, dans lequel l’Europe vieillit et rétrécit, dans un contexte d’instabilité, qu’ils pourront trouver l’intérêt d’être plus unis
Les enquêtes d’opinion indiquent que les peuples sont très souvent convaincus que “l’union fait la force” - il appartient aux élites politiques, diplomatiques et militaires de transformer cette aspiration à l’union en actes plus concrets - vaste programme comme je le disais d’emblée !
Il me semble qu’il faut plus que jamais “Penser global et agir européen” : http://institutdelors.eu/01… C’est particulièrement vrai en matière diplomatique et militaire.

13h27 Toute l’Europe :
Merci à Yves Bertoncini pour cet échange très intéressant ! Merci à tous pour votre participation ! Un Storify sera très vite publié sur Touteleurope.eu.

13h29 Yves Bertoncini :
Je vous remercie pour toutes ces questions très stimulantes et vous invite à suivre les travaux de l’Institut Jacques Delors, notamment via notre site http://institutdelors.eu/ et sur les réseaux sociaux - Facebook : https://www.facebook.com/notre.europe et Twitter : https://twitter.com/DelorsInstitute

Merci aussi beaucoup à Toute l’Europe pour son invitation - à bientôt !

Y

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