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Estefania Torres Martinez (Podemos) : “nous pouvons marquer le cours politique de l’Espagne et de l’Europe”

A trois jours des élections législatives espagnoles, prévues pour le 20 décembre, la fin du bipartisme semble de plus en plus probable. Le Parti populaire (conservateur) au pouvoir se trouve non seulement concurrencé par le Parti socialiste ouvrier (PSOE), mais aussi par Ciudadanos (centre-droit) et Podemos (gauche radicale) issu du mouvement du mouvement des Indignés. Discréditée par des scandales de corruption à répétition et la crise économique qui a lessivé le pays, la classe politique traditionnelle peine à créer l’engouement face à des électeurs désireux de changement.

Présent au Parlement européen de Strasbourg, Toute l’Europe a rencontré Estefania Torres Martinez, eurodéputée élue sous les couleurs de Podemos, selon qui il faut s’attendre à des surprises au soir du 20 décembre.

Podemos

Touteleurope.eu : Podemos n’est-il pas en perte de vitesse depuis quelques semaines et après plusieurs succès lors des dernières élections locales espagnoles ?

Estefania Torres Martinez : Non, au contraire. Les derniers sondages indiquent plutôt que les intentions de vote remontent en notre faveur. Et nous sommes même convaincus qu’il y a non seulement une remontée, mais un véritable engouement populaire. Par exemple hier, dans les Asturies à Oviedo, d’où je viens, nous avons fait un meeting avec plus de 5 000 personnes. A Madrid, il y a quelques jours, il y avait aussi environ 11 000 personnes.

Les “mairies du changement” (“Ayuntamientos del cambio”) désignent les municipalités gagnées par des forces politiques soutenues par Podemos lors des élections municipales espagnoles de mai 2015. Parmi celles-ci figurent Madrid, Barcelone ou encore Saragosse.

De toute façon, si ça ne tenait qu’aux sondages, je n’aurais pas été élue au Parlement européen, Ada Colau n’aurait pas gagné à Barcelone et Manuella Carmena ne serait pas non plus devenue maire de Madrid. Et nous avons tous les autres “maires du changement” [voir encadré ci-contre] qui ont gagné les élections municipales avec notre soutien, ainsi que des députés et des élus des communautés autonomes [régions, ndlr] qui nous sont proches. Tout ceci, les sondages ne peuvent pas le dire. Nous attendons donc les résultats avec optimisme et nous pensons qu’il va y avoir des surprises lors de ces élections générales.

Podemos est néanmoins un parti très jeune. Ne manque-t-il pas d’une meilleure implantation locale pour espérer gagner les élections du 20 décembre ?

En l’espace de très peu de temps, nous sommes avons mis sur pied une stratégie très puissante pour bien figurer lors de ces élections générales. Même si nous avons l’impression de n’avoir pu nous adresser à l’ensemble des électeurs dans le pays. Au cours des prochaines années, évidemment, nous allons voir comment les citoyens se mobilisent et adhèrent au mouvement Podemos. Je pense que nous deviendrons alors plus forts.

D’autant que l’implantation, nous l’avons déjà, car nous avons obtenu de nombreux succès lors des élections locales. Mais il est vrai que nous avons besoin d’un encore plus grand soutien populaire pour rendre le pays plus décent.

Podemos pourrait-il n’être qu’un parti ‘conjoncturel’ ? Survivrait-il à un retour durable de la croissance et à une baisse substantielle du chômage ?

Je pense que Podemos est né de l’indignation du peuple à la suite de la gestion, par les élites économiques, d’une crise qui s’est révélée être une escroquerie. Cette dernière a rendu les riches encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres. Cela a divisé notre population et il faut donc que les citoyens s’indignent parce que les classes politiques ne sont pas non plus parvenues à limiter les effets de la crise. Podemos est né de cette indignation et a ensuite cherché à la convertir en changement politique. Le parti n’est que l’instrument. Podemos est capable de répondre à cette demande de la société et s’il parvient à continuer sur cette voie, il deviendra un parti d’avenir et pourra s’enraciner dans la vie politique espagnole.

Estefania Torres Martinez

Estefania Torres Martinez, 33 ans, est eurodéputée Podemos depuis mars 2015. Au Parlement européen, elle travaille principalement sur les questions relatives à l’environnement et à l’agriculture.

Le Premier ministre sortant Mariano Rajoy a refusé tous les débats lors de la campagne, hormis celui du 14 décembre, avec seulement Pedro Sanchez, le chef du PSOE. N’est-ce pas un mauvais choix alors que deux autres partis, Podemos et Ciudadanos, sont crédités de scores à peu près aussi importants que le PP ?

Mariano Rajoy et le Parti populaire cherchent à faire croire à la société que tout est comme avant, que la vie politique ne concerne que les deux vieux partis, et qu’il n’y a aucun autre moyen de sortir de cette crise. Pour cette raison, il a refusé le débat et la confrontation avec le reste du spectre politique. Le problème c’est qu’en faisant ce choix, il avoue avoir peur de se confronter avec le vrai pays. Mariano Rajoy et le Parti populaire n’ont plus la capacité de regarder les Espagnols dans les yeux et de leur dire qu’ils ont un projet pour eux. Le seul projet qu’ils ont est de continuer de dévaster les classes populaires.

L’Espagne se situe-t-elle au début d’un changement politique majeur ?

Oui, je pense que l’Espagne est actuellement en train de vivre une deuxième transition, mais qui n’a rien à voir avec la précédente [la fin du franquisme et la mise en place d’un régime démocratique entre 1975 et 1982, ndlr]. Et maintenant que nous sommes dans une démocratie, le peuple a beaucoup moins peur d’affronter un changement politique qui s’annonce historique, avec comme objectif de vivre mieux. Au-delà de l’Espagne seule, cela peut être un exemple pour toute l’Europe. Nous pensons que nous pouvons marquer le cours politique de l’Europe.

Le 20 décembre, il est possible qu’aucun parti ne soit en mesure de gouverner seul. Podemos serait-il susceptible de participer à une coalition ?

Tant que le résultat des urnes n’est pas connu, je pense qu’il est délicat de parler de la constitution d’une éventuelle coalition. Podemos propose un programme sans équivoque et nous n’en dévierons pas. Le seul pacte que nous souhaitons passer est avec les citoyens. De plus, nous préférons nous positionner sur des thèmes, dire si nous sommes d’accord ou non, plutôt que de discuter avec untel ou untel.

Pour en savoir plus sur les élections législatives espagnoles, consultez également notre datavisualisation, ainsi que nos portraits de Pablo Iglesias, leader de Podemos et de Pedro Sanchez, chef de file du PSOE

Un blocage politique ne serait-il pas dommageable pour l’Espagne ?

La situation dommageable, c’est celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Il est difficile de faire pire. Le plus grand préjudice qui pourrait arriver à notre pays est l’absence de changement. Que les vieilles formules politiques d’un autre temps puissent conserver le pouvoir. Elles n’ont à proposer qu’un ancien remède à la crise dans laquelle ils nous enferment. Le changement ne pourra se concrétiser que dans un rapport de force, par le biais d’un mouvement comme le nôtre qui correspond aux demandes des citoyens.

A quel point le positionnement des partis sur la question catalane sera déterminant pour remporter ces élections législatives ?

Figure de proue du mouvement indépendantiste catalan et président de la région depuis 2010, Artur Mas est aujourd’hui poursuivi en justice pour avoir organisé une consultation populaire sur l’indépendance de la Catalogne en novembre 2014.

Sur ce sujet, comme sur tous les autres, il est important d’adopter un positionnement logique et cohérent. Nous défendons “le droit de choisir” . Le peuple catalan, comme tous les autres peuples espagnols, a le droit de choisir avec quel type de gouvernement et de quelle manière il souhaite vivre. Nous nous en tenons à ce principe : si les Catalans désirent être consultés, ils ont droit à cette consultation et ils ne doivent pas être poursuivis en justice pour cela [voir encadré ci-contre].

La stratégie politique de l’ensemble des autres partis sur cette question est de choisir un camp. Nous, le seul camp que nous voulons choisir est celui du peuple. Et c’est dans les urnes que les Catalans doivent pourvoir décider de leur futur. C’est pourquoi ces élections générales revêtent une grande importance également pour cet enjeu, car si c’est notre mouvement qui l’emporte, la Catalogne aura droit à sa consultation.

Si Podemos arrive au pouvoir, quelle politique européenne mettra-t-il en place ?

Podemos, présent au Parlement européen, démontre déjà la politique européenne qu’il souhaite appliquer. Notre ligne est très claire. Nous sommes contre l’austérité. Nous sommes pour l’Europe des peuples. Nous croyons qu’il faut que la sortie de crise inclue les citoyens et non pas qu’elle les laisse sur le bord de la route. Nous pensons que les élites doivent également reconnaître leur part de responsabilité dans la crise que nous traversons. Pour nous, l’Europe de demain devra être solidaire et juste.

Podemos est un parti pro-européen. Les élections européennes 2014 sont d’ailleurs le premier scrutin pour lequel nous nous sommes présentés. Et nous savons bien qu’un changement politique en Espagne ne serait pas suffisant. Nous souhaitons qu’il y ait un changement politique dans la majorité des pays européens. C’est pour cela que nous avons soutenu Syriza en Grèce et que nous pensons que tous les changements politiques de ce type en Europe seront positifs.

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