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Elections législatives hongroises du 6 avril : les doubles jeux de Viktor Orban

Dimanche 6 avril, les Hongrois sont appelés aux urnes pour renouveler le Parlement. Une première depuis la réforme constitutionnelle et électorale controversée mise en place par Viktor Orban, Premier ministre conservateur dont la dérive autoritaire est largement décriée à l’étranger. Sur la scène nationale, sa popularité, basée sur de bons résultats économiques et un discours résolument patriotique, devrait lui permettre une réélection dans un fauteuil. En face, l’opposition socialiste, désunie et toujours discréditée par son passage au pouvoir entre 2002 et 2010, ne semble pas en mesure de peser sur le scrutin. Thomas Schreiber, journaliste d’origine hongroise et auteur de nombreux ouvrages sur l’Europe centrale et orientale, décrypte pour Touteleurope.eu la “méthode Orban” et sa mainmise sur la Hongrie.

Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, proche d'un deuxième mandat consécutif


Touteleurope.eu : Les élections législatives ont lieu dimanche en Hongrie. Le Fidesz, le parti de Viktor Orban, peut-il conserver la majorité des deux tiers au Parlement ?

L’ampleur de la victoire de Viktor Orban va dépendre du taux de participation

Thomas Schreiber : Effectivement, il s’agit de l’un des principaux enjeux et l’une des dernières inconnues du scrutin. D’après les derniers sondages, c’est tout à fait possible ! Le cas échéant, le Fidesz serait en mesure de gouverner à sa guise et n’aurait pas à faire appel à un soutien du Jobbik, le parti hongrois d’extrême-droite. L’ampleur de la victoire, qui ne peut théoriquement pas échapper à Viktor Orban, va dépendre du taux de participation, prévu autour de 60 %. Plus il sera élevé, plus le score de l’opposition devrait être important.

Touteleurope.eu : En 2010, au moment de l’élection de Viktor Orban, le parti socialiste hongrois était dans un état calamiteux. Peut-il aujourd’hui récupérer des sièges au Parlement ?

T.S. : L’écart entre le Fidesz et la gauche hongroise reste tout à fait conséquent. Aujourd’hui, on voit mal comment le parti socialiste hongrois pourrait être en mesure de contester la victoire à Viktor Orban. D’autant que l’opposition se présente en ordre dispersé, avec plusieurs personnalités jouant un rôle important. Il n’existe pas de leader de la trempe de Viktor Orban. Ni Gordon Bajnai, Premier ministre de 2009 à 2010 et spécialiste des questions économiques, ni Attila Mesterhazy, actuel chef du Parti socialiste hongrois, ne disposent d’une popularité suffisante pour avoir une réelle chance de victoire. Ce qui est véritablement regrettable, car il n’y a donc personne à même de fédérer le mécontentement d’une partie importante de la société hongroise.

Touteleurope.eu : D’autant que sur le plan économique, le Fidesz peut s’enorgueillir d’un bilan positif…

T.S. : C’est vrai. A court terme du moins, la situation financièrement du pays s’est améliorée. Si bien qu’aujourd’hui Viktor Orban peut faire campagne en scandant que la Hongrie fait mieux que les autres. Et à cela s’ajoute la baisse du prix de l’énergie, qui a logiquement été extrêmement bien reçue par la population. Toutefois, c’est maintenant que les choses vont se compliquer. Les inégalités se développent et une nouvelle nomenklatura proche du pouvoir émerge.

Touteleurope.eu : Dans quelle mesure la réforme constitutionnelle et la modification de la loi électorale influent-elles sur le jeu politique ?

Thomas Schreiber est journaliste français d’origine hongroise. Longtemps éditorialiste à RFI, il collabore à plusieurs journaux et revues en France et en Hongrie, dont Le Monde, L’Express, Politique Internationale, TV5 Monde. Il a été co-responsable de l’annuaire de la Documentation Française, consacré à l’Europe centrale et orientale (1968-2000). Il est l’auteur de nombreux livres et est professeur associé à l’Ecole Militaire de Saint-Cyr.

T.S. : La réforme constitutionnelle était indispensable. Mais pour quel résultat ! La loi électorale a été astucieusement modifiée à l’avantage du Fidesz. Par voie de conséquence, la Hongrie s’éloigne des régimes démocratiques à l’occidentale. Sans devenir pour autant une dictature, le système ne permet plus l’alternance, en raison du fonctionnement verrouillé du “régime Orban” et des entraves à la liberté de la presse qui ont été décidées récemment. Seuls les journaux et chaines de télévision proches du pouvoir bénéficient du soutien financier de l’Etat. Les médias d’opposition ont toujours le droit d’exister, mais ne disposent pas des mêmes moyens. Cela étant dit, il est aussi vrai que même avec l’ancien système électoral, Viktor Orban serait très certainement reconduit dimanche. Son score serait très confortable, mais probablement pas suffisant pour retrouver une majorité des deux tiers au Parlement qui permet d’avoir les mains totalement libres.

Touteleurope.eu : Depuis son retour au pouvoir en 2010, Viktor Orban tient un discours résolument nationaliste. Certains observateurs le comparent même à l’amiral Horthy, dirigeant proche de l’Allemagne nazie durant la seconde Guerre mondiale. Que peut-on conclure de cette posture ?

T.S. : La première chose à préciser c’est que ni Viktor Orban ni son Parti ne sont antisémites. Ils multiplient même les gestes, certes parfois purement rhétoriques, à destination de la communauté juive de Hongrie. Sur ce plan, le Fidesz se distingue incontestablement du Jobbik, parti ouvertement antisémite et pro-iranien, jugé infréquentable par la majorité des extrêmes-droites européennes, dont le Front national français. En parallèle, force est de constater que le Fidesz pratique un double jeu et cherche à séduire l’électorat du Jobbik en faisant vibrer leur corde sensible patriotique et nationaliste. Le but étant de limiter leur score pour se permettre de pouvoir sans gouverner sans leur soutien, qui serait pour le moins encombrant et désastreux pour l’image de marque du pays en Europe et à l’international.

D’un point de vue global, Viktor Orban et ses amis s’attachent à réécrire l’histoire contemporaine hongroise


C’est à cette aune que la comparaison entre Viktor Orban et l’amiral Horthy peut se comprendre. Avant le déclenchement de la guerre, Horthy devait composer avec une extrême-droite antisémite puissante et représentée au Parlement hongrois, alors qu’à titre personnel il occupait un positionnement de conservateur nettement plus modéré. Et sa décision, il est vrai très tardive, en 1944, de sauver les Juifs de Budapest et de chercher un armistice avec l’Union soviétique et ses alliés occidentaux est toujours mal vue par le Jobbik. Pour eux, l’amiral Horthy est vu comme un “capitulard” ami des Juifs.

D’un point de vue global, Viktor Orban et ses amis s’attachent à réécrire l’histoire contemporaine hongroise. Il présente l’expérience du communisme comme la mainmise de l’étranger sur le pays, qui aurait ensuite été prolongée par l’influence de l’Europe et de l’Occident à partir des années 1990. Suivant cette logique, le retour de la pleine souveraineté hongroise ne serait intervenu qu’en 2010 avec son retour au pouvoir.

Touteleurope.eu : Viktor Orban semble entretenir de bonnes relations avec Vladimir Poutine, ce qui l’a conduit à ne pas se prononcer en faveur de sanctions économiques lourdes dans le cadre de la crise ukrainienne. Existe-il une réelle proximité idéologique entre les deux hommes ?

T.S. : Incontestablement, le modèle d’Orban, c’est Poutine ! Mais seulement dans la pratique autoritaire et personnelle du pouvoir. Au-delà de ça, on ne peut faire état d’une réelle proximité idéologique entre eux. D’autant moins que Viktor Orban s’est régulièrement montré virulent à son égard lorsqu’il se trouvait dans l’opposition. Aujourd’hui, les deux pays entretiennent surtout des relations énergétiques. Outre la fourniture massive de gaz, Moscou et Budapest se sont entendues au sujet d’un soutien financier de la Russie pour la modernisation des centrales nucléaires hongroises, un accord négocié arbitrairement par Viktor Orban et dont les modalités sont tenues secrètes. Dans ce contexte, le Premier ministre ne peut se permettre de trop contribuer à la pression occidentale et se doit, ici aussi, de pratiquer un double jeu afin de ménager les sensibilités.

Touteleurope.eu : Si la Hongrie prend ses distances par rapport à Bruxelles, comment se fait-il que Viktor Orban puisse bénéficier du soutien de personnalités telles que Joseph Daul, président (français) du Parti populaire européen, présent dimanche dernier lors d’un meeting du Premier ministre hongrois ?

T.S. : Je pense qu’il faut y voir ici un soutien de la famille chrétienne-démocrate européenne à Viktor Orban. Joseph Daul, ou encore l’ancien chancelier allemand Helmut Kohl qui a également adressé ses encouragements au Fidesz, appartiennent à cette sensibilité politique. Et on ne peut que reconnaître le talent de Viktor Orban pour organiser ce genre de stratégies de communication.

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