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Ed Miliband : le Caïn travailliste

L’homme qui représentera le Labour lors des élections législatives le 7 mai prochain ne semble pas prédestiné au poste de Premier ministre. Ed Miliband est le petit dernier d’une famille d’intellectuels de gauche et a dû se battre, surmonter de nombreux obstacles, jusqu’à trahir les siens pour atteindre ses objectifs et arriver à la tête du Parti travailliste. Pourtant, il s’est affirmé et a su réorienter le Labour à gauche, alors que Tony Blair l’avait transformé en un New Labour très libéral. Reste à voir si cette ligne politique sera suffisante pour glaner les voix d’électeurs britanniques hésitants et déçus par le bipartisme.

Ed Miliband

Avec ses grands yeux rapprochés et son large sourire, Ed Miliband est souvent moqué dans les médias pour sa surprenante ressemblance avec le héros du célèbre dessin-animé ‘Wallace et Gromit’.

La presse est rarement tendre avec lui. Au Royaume-Uni, il est surtout perçu comme un ‘weirdo’ : un homme singulier, légèrement empoté et peu sociable. Ed Miliband se décrit lui-même comme un geek et serait, selon certains dires, capable de former un Rubik’s Cube en vingt secondes. Sous contrôle, un peu austère, il ne boit pas, ne fume pas. Et ce n’est pas sa performance lors du premier débat télévisé de la campagne électoral qui prouvera le contraire : les commentateurs l’ont unanimement qualifié de “robotique” . Il est certes parvenu à fendre l’armure récemment lors d’une interview plutôt légère donnée à Absolut Radio, mais la guerre médiatique est loin d’être gagnée.

Certains lui reprochent de manquer de stature pour le rôle de Premier ministre. Il est vrai qu’il paraît un peu falot face au très charismatique David Cameron, son rival pour les prochaines élections législatives. Cérébral et timide, on le sent mal à l’aise, à l’étroit dans ses costumes mal coupés qu’il troquerait sûrement volontiers contre un polo en coton.

Si son image lui fait incontestablement défaut, Ed Miliband n’en est pas moins un candidat convaincant : c’est un intellectuel passionné de politique et féru d’économie depuis toujours.

Conscient des critiques, Miliband rétorque qu’il ne tient pas à faire de la politique-spectacle mais qu’au contraire, il défend des valeurs et tient à changer le pays au profit des travailleurs britanniques.

Et pourtant, son parcours politique a tout d’une pièce de théâtre ponctuée de psychodrames.

Ed Miliband et son épouse Justine

Ed Miliband en compagnie de son épouse Justine.

La politique, une affaire de famille

Il est toujours difficile de grandir dans l’ombre d’un autre. Ed Miliband, lui, a dû se forger en marge de deux écrasantes personnalités : son père et son frère, de quatre ans son aîné.

Né en 1969, il est le fils cadet de Ralph Miliband, l’un des plus célèbres intellectuels britanniques de l’après-guerre. Juif polonais, ce dernier a dû fuir le régime nazi et s’est réfugié en Grande-Bretagne en 1940. Il a fait partie des troupes britanniques qui ont libéré l’Europe en 1944, ce qui lui vaudra la naturalisation en 1948.

Professeur à la London School of Economics, Ralph Miliband défend des idées marxistes tout en fustigeant Staline et ses pratiques ; il n’a d’ailleurs jamais adhéré au Parti communiste. En revanche, il est devenu membre du Parti travailliste avant de rendre sa carte, déçu des tactiques politiciennes. Dès lors, il ne vivra la politique qu’en intellectuel, en observateur et se consacrera à l’écriture. Il a ainsi contribué à forger la pensée de l’aile gauche du Labour.

Les deux petits Miliband ont donc évolué dans les hautes sphères de l’élite politique et intellectuelle depuis leur plus tendre enfance. Ils ont grandi dans le très chic quartier de Primrose Hill à Londres où leurs parents recevaient à dîner des personnalités telles que Ken Livingston, l’ancien maire de Londres, ou encore Nelson Mandela.

Comment s’affranchir d’un patrimoine aussi imposant ? La politique ayant toujours fait partie de la vie des Miliband, David et Ed adhèrent tous deux au Labour alors qu’ils sont adolescents. Tout naturellement, l’aîné des deux fils se dirige dans cette voie. Ed suit, mais reste dans l’ombre de son frère. Régulièrement, il se présente comme “l’autre Miliband” , ou quand le sarcasme tente de masquer la souffrance.

Comme son frère, Ed Miliband étudie la philosophie, la politique et l’économie à Oxford. Il enrichit toutefois son parcours de quelques années d’études à la London School of Economics, là où son père avait autrefois enseigné. Des deux fils, c’est tout de même Ed le plus brillant étudiant. Oxford est par ailleurs l’occasion pour lui de verser dans le militantisme.

Prisonnier d’un héritage familial et idéologique pesant, il a longtemps hésité entre emboîter le pas de son père et devenir universitaire, ou imiter son frère pour se lancer dans une carrière politique.

À sa sortie de l’université, il travaille brièvement en tant que journaliste pour la télévision, mais est rapidement repéré par la députée travailliste Harriet Harman, qui en fait sa plume. Débauché par Gordon Brown en 1994, Ed Miliband le suit quand ce dernier est nommé Chancelier de l’Echiquier en 1997. Une relation précieuse, puisque l’homme deviendra Premier ministre de 2007 à 2010.

M. Brown, impressionné par l’intelligence, l’efficacité et la discrétion de son conseiller, le prendra sous son aile et lui permettra de faire ses preuves en politique. Miliband lui restera toujours loyal.

En 2002, il décide de faire une pause et s’exile à Harvard, où il travaille en tant que ‘chercheur invité’. De retour en Grande-Bretagne deux ans plus tard, il obtient un siège de député à Westminster, comme son frère avant lui. Mais ce travail de parlementaire ne durera qu’un an : il entre vite au nouveau gouvernement de Tony Blair où il occupe le poste de secrétaire parlementaire chargé de l’Economie sociale, des associations et des charités. Un portefeuille qui peut sembler dérisoire à côté de celui de son frère qui, lui, est ministre de l’Environnement.

Lorsque Gordon Brown prend la relève de Tony Blair, il n’obtient d’abord aucun ministère, tandis que David est aux Affaires étrangères. Ce n’est qu’en 2008 qu’il obtiendra l’Environnement ; toujours dans le sillage de son aîné. Mais ce poste lui permet d’être plus visible, plus médiatisé et de jouer un véritable rôle politique. Ses idées lui valent les faveurs de l’aile gauche du Labour ainsi que des Verts.

Ed Miliband et son frère David

Ed Miliband et son frère David.

Un duel fratricide

Au sein même du Labour, les deux frères s’opposent : l’aîné partage les convictions de Tony Blair, défendant une gauche libérale, tandis qu’Ed Miliband se tient “à la gauche de la gauche” . Ce dernier s’inscrit dans une profonde critique du capitalisme et veut recentrer le Parti travailliste sur le social, sur… les travailleurs. Des positions qui lui valent d’être surnommé “Red Ed” (“Ed le Rouge”) par la presse conservatrice.

Inévitablement, les ambitions politiques des deux frères finissent par entrer en collision.

En mai 2010, après 13 années au pouvoir, le Labour cède sa place aux conservateurs et aux libéraux-démocrates. Premier ministre sortant, Gordon Brown abandonne également la tête du Parti travailliste. Lors des élections internes, les deux frères s’affrontent. Il y a du Shakespeare dans le parcours d’Ed Miliband, un conflit fraternel digne d’Hamlet.

Bien que David soit plus connu et plus populaire qu’Ed, c’est bien le cadet, peut-être le plus ambitieux, qui remporte la victoire, mais de justesse : 50,65 % contre 49,65 %. Peu importe : le nouveau chef du parti surpasse et “tue” ce frère qui était toujours sous le feu des projecteurs. La relation entre les deux hommes serait depuis brisée, même s’ils s’en défendent.

Une chose est sûre, cet épisode poursuit le nouveau leader travailliste et ternit sa réputation. Ed Miliband a fait passer ses ambitions avant sa propre famille, et l’actuel Premier ministre David Cameron ne manque de lui rappeler : “Vous avez poignardé votre frère dans le dos” . Pour beaucoup, il a usurpé un poste qui revenait naturellement et de droit à son frère, qui s’était mieux placé sur la scène politique.

Ed Miliband

Ed Miliband lors d’un meeting.

À gauche toute

Pourtant, s’il a été élu, c’est parce qu’en revendiquant des idées de gauche, Ed Miliband a su incarner le changement au sein du Parti travailliste, après la défaite aux élections législatives de 2010, sans pour autant se mettre les partisans du New Labour à dos.

Mais en succédant à Gordon Brown à la tête du Labour, il a du pain sur la planche. Le Parti tire de son dernier séjour au 10 Downing Street un bilan économique mauvais assorti d’un déficit public abyssal (10 %).

En outre, avec la ligne politique de Tony Blair, le Parti travailliste s’est éloigné de sa base électorale ouvrière et populaire. Miliband, lui, tient à renouer avec le peuple et former ainsi, selon son expression, “une opposition crédible” . Il souhaite réformer le New Labour dont il se distance sur des thèmes tels que le traitement des inégalités sociales ou encore l’intervention en Irak, très impopulaire au Royaume-Uni. S’il se présente aux élections législatives, c’est parce qu’il “pense que notre société est injuste : elle est faite en fonction des plus riches, et non en fonction de la majorité” .

Son principal mantra : l’empathie. Ed Miliband se soucie du quotidien des Britanniques, est à l’écoute des citoyens, capable de se mettre à leur place. Il suffit de le regarder s’écharper avec les membres du gouvernement dans l’enceinte de Westminster et se rendre compte qu’il ne cesse, pour critiquer la politique conservatrice menée par M. Cameron, de citer des exemples de la vie quotidienne des “petites gens” .

En plus de prôner une hausse des impôts pour les plus riches, il s’est positionné contre les ‘contrats zéro heure’, ces contrats qui ne garantissent aucun temps de travail - et donc aucun revenu fixe - massivement développés sous David Cameron, et qui incarnent à eux seuls l’extrême précarisation des actifs britanniques.

Ses positions ne sont pas très populaires auprès du patronat, et près d’une centaine de chefs d’entreprises se sont réunis pour publier une lettre ouverte intitulée : “Le Parti travailliste menace la reprise de la Grande-Bretagne” . Pour compenser, Miliband tente de susciter la sympathie des financiers de la City grâce à ses positions pro-européennes : pour lui, sortir de l’UE ferait fuir les investissements étrangers de la Grande-Bretagne.

Son argumentaire peut séduire mais semble un peu faible face aux bons chiffres économiques que David Cameron ne cesse de brandir pour défendre un quinquennat par ailleurs peu glorieux, et surtout face aux partis émergents qui ont bien l’intention d’obtenir, eux aussi, une part du gâteau électoral.

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