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Covid-19 : quels sont les enjeux de la relance économique européenne ?

Le Conseil européen a chargé la Commission européenne d’élaborer un fonds de relance adossé au futur budget pluriannuel revu à la hausse. A la lumière des divisions politiques qui opposent les Etats membres sur le sujet, à quoi ce plan pourrait-il ressembler ? Et de quelle marge de manœuvre l’exécutif dispose-t-il ?

Le président du Conseil européen Charles Michel en discussion avec la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, lors du Conseil européen du 23 avril / Crédits : Union européenne
Le président du Conseil européen Charles Michel en discussion avec la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, lors du Conseil européen du 23 avril / Crédits : Union européenne

Jeudi 23 avril, le Conseil européen s’est réuni lors d’un sommet extraordinaire destiné à définir les contours de la relance économique post-crise du Covid-19. Un enjeu de taille, au vu des 7,1% de baisse du PIB de l’UE prévus en 2020, pour un résultat mitigé. Profondément divisés depuis de longues semaines sur le tour à donner à ce plan de relance à long-terme, les 27 chefs d’Etat et de gouvernement se sont contentés d’approuver les mesures d’urgences à court-terme élaborées par l’Eurogroupe le 9 avril dernier : 540 milliards d’euros, répartis en trois “filets de sécurité” .

Ces trois mesures comprennent un mécanisme de réassurance chômage européen, à hauteur de 100 milliards d’euros, destiné à protéger les travailleurs ; des prêts à taux préférentiel pour les entreprises accordés par la BEI, à hauteur de 200 milliards d’euros ; et le déblocage de 240 milliards d’euros par le Mécanisme européen de stabilité (MES), destinés à aider les Etats sur les marchés financiers.

Le plan de relance à long-terme, lui, n’a pas donné lieu à un accord concret, le Conseil européen se contentant de suivre les recommandations de son président Charles Michel et de la présidente de l’exécutif européen Ursula von der Leyen, qui leur avaient adressé un courrier quelques jours plus tôt. Dans ce texte, ils défendaient l’option d’un plan de relance adossé au futur budget pluriannuel de l’UE pour la période 2021-2027, budget qui serait revu à la hausse et adapté aux enjeux liés à la crise économique actuelle. Ils prônaient également la mise en place d’un fonds de relance, sans préciser le lien avec le budget pluriannuel. Les dirigeants européens ont donc chargé la Commission de préparer une proposition de budget et de fonds de relance, qu’elle devrait présenter le 6 mai prochain.

Au vu des nombreuses divergences qui demeurent entre les Etats membres et de l’ampleur de la crise qui frappe l’Union européenne, quelles sont les pistes envisageables pour la Commission européenne ? Et dans quelle mesure sont-elles réalistes politiquement ? Toute l’Europe fait le point aux côtés de Jérôme Creel, directeur du département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et professeur associé à l’ESCP Business School.

Quel montant supplémentaire pourrait être engagé dans le budget européen et le fonds de relance ?

A ce sujet, les propositions se sont multipliées ces dernières semaines. Le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire a évoqué le chiffre de 500 milliards d’euros, le gouvernement espagnol 1500 milliards d’euros, soit 10% du PIB européen environ, tandis que la présidente de la Commission européenne a quant à elle évoqué la nécessité de parler en “milliers de milliards” et que Politico, s’appuyant sur un document interne de l’exécutif européen, annonce qu’un investissement supplémentaire de 2 000 milliards d’euros est à l’étude. Des montants considérables, comparables à ceux déjà engagés par la BCE (environ 1000 milliards d’euros d’opérations de rachat des dettes obligataires des Etats membres de la zone euro sur les marchés financiers sur l’année 2020 et 1 500 milliards pour des prêts à plus longue maturité, ainsi qu’un accès des banques commerciales à des prêts de la BCE à des taux négatifs), auxquels viennent s’ajouter les plans de relances nationaux mis en place par les Etats membres.

A observer les montants évoqués, on se dit que les Européens ont pris la mesure de cette crise” , pose Jérôme Creel. L’économiste tempère néanmoins : “Ces chiffres doivent être pris avec prudence, et leur portée dépend de nombreux facteurs qui permettront de juger de l’ambition de la Commission. Si l’on part sur 1 500 milliards d’euros par exemple, ce ne sera pas du tout la même chose s’ils sont concentrés sur les deux ou trois prochaines années que s’ils sont étalés sur les sept années du prochain budget. De la même manière, on ne sait pas encore si les montants en jeu concernent l’ensemble du budget ou les montants additionnels financés par la hausse des contributions des Etats membres.

Comment ces fonds pourraient-ils être levés ?

Quel que soit le montant fixé par la Commission, sa présidente Ursula von der Leyen a déjà évoqué une piste pour financer ce budget revu à la hausse : une augmentation des contributions des Etats membres. Sur le budget 2014-2020, elles correspondaient à 1,02% du RNB de chaque pays. Ursula von der Leyen a déjà suggéré d’augmenter ce plafond à 2%. “La sacro-sainte limite des 1% devient incompatible avec les politiques européennes dont l’UE a besoin pour sa politique industrielle ou de santé publique. Ce serait un signal fort politiquement, dont il est cependant difficile d’estimer l’apport étant donné la récession qui s’annonce. Dans tous les cas, en doublant le pourcentage, on ne doublera pas les contributions des Etats membres au budget en valeur absolue” , note Jérôme Creel.

Outre le financement du budget, se pose la question de celui du fonds de relance qui lui sera adossé. Une première solution, la moins ambitieuse, est envisageable : lever des fonds sur les marchés par “effet de levier” . Explications de Jérôme Creel : “Dans ce scénario ‘bas’, la Commission s’appuierait sur les contributions supplémentaires garanties par les Etats membres. Sur la base de cet argent frais, via la Banque européenne d’investissement par exemple, il serait possible de lever 10, 12 voire 20 fois le montant initial sur les marchés.” C’est ce qu’on appelle l’effet de levier : grâce aux garanties des Etats -des institutions dites “éternelles” sur les marchés financiers- la Banque européenne d’investissement bénéficie d’une excellente notation et n’a aucun mal à trouver preneur à faible taux sur les marchés. Un moyen efficace de lever de l’argent à peu de frais : “En recapitalisant la Banque européenne d’investissement avec 100 milliards de contributions, les Etats peuvent espérer réunir beaucoup plus. C’est une solution à moindre coût économique et politique”, estime Jérôme Creel. Une solution défendue par les Etats dits “frugaux” , dont font partie l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche, et déjà privilégiée par la Commission européenne lors du plan Juncker.

Autre solution, soutenue par le Parlement européen et par plusieurs Etats membres dont l’Espagne, l’Italie ou la France, la mutualisation de la dette européenne via l’émission de “recovery bonds” . Pour faire face aux besoins de financement des politiques à moyen et long terme, la Commission s’endetterait au nom de l’Union européenne. Elle contracterait ainsi une dette communautaire auprès des banques, des fonds de pension et des fonds d’investissement. Avec là encore l’aide des Etats européens, explique Jérôme Creel : “Pour rassurer ces fonds, l’émission obligataire serait 100% garantie par les Etats de l’UE, peut-être au prorata de leur richesse. Dans cette configuration, elle serait donc principalement garantie par les grands Etats de l’UE qui disposent d’une signature -c’est-à-dire d’une qualité obligataire parmi les meilleures au monde- ce qui assure probablement à ces obligations la meilleure note.” Sur cette question, la Commission devra composer avec les divisions profondes qui opposent les Etats aux finances publiques les plus saines aux Etats les plus endettés.

Comment ces fonds pourraient-ils être redistribués ?

Autre question épineuse sur laquelle la Commission devra trouver un compromis : le mode de redistribution de ces financements, qu’ils proviennent du budget pluriannuel ou du fonds de relance. “A ce sujet, l’exécutif devra composer avec les deux camps qui se sont formés au Conseil : les partisans des prêts à faible taux d’intérêt et les partisans de transferts directs” , résume Jérôme Creel. La solution des prêts à taux faibles, soutenue par les Etats “frugaux” , bien souvent contributeurs nets au budget européen, leur permettrait d’éviter des transferts directs de richesse de leur territoire vers les Etats les plus endettés. Un scénario néanmoins risqué, prévient Jérôme Creel : “Considérer qu’on aide l’Italie, qui est très endettée, en laissant sa dette augmenter, est une erreur sur le long terme. L’Italie n’aura que l’avantage de se financer à des taux d’intérêts très bas, mais sa dette continuera à s’alourdir. Au prochain choc économique, elle ne pourra pas jouer sur sa politique budgétaire. Et comme elle fait partie de la zone euro elle ne peut donc pas jouer sur le volet monétaire. Or, son risque de défaut a déjà augmenté. Elle risque de se retrouver dans une situation critique à l’avenir.” De plus, les bénéfices réels de ces prêts semblent limités. Dans un article, co-signé avec les économistes Xavier Ragot et Francesco Saraceno, Jérôme Creel démontre ainsi que les fonds du Mécanisme européen de stabilité permettraient d’apporter un soutien minime à l’Italie, à hauteur de 0,04% de son PIB.

L’autre solution, plus solidaire, consisterait donc en des transferts des Etats les plus riches aux territoires les plus touchés par la crise, sur le modèle du budget européen, avec la PAC et les politiques structurelles. Reste néanmoins à en définir les règles et les montants. Or, “on ne sait pas si la clé de répartition du fonds de relance sera similaire au budget européen classique.” C’est cette inconnue qui permettra de jauger le niveau de mutualisation du fonds de relance, et donc sa capacité à favoriser une reprise équilibrée sur l’ensemble du territoire européen. Une inconnue qui participe à alimenter une “crainte” chez Jérôme Creel : “Il se peut que la Commission présente un projet aux atours ambitieux mais, le diable étant dans les détails, qu’il ne s’agisse pas d’une impulsion aussi importante et aussi nouvelle qu’on voudrait nous le faire croire car elle dépend de nombreuses variables comme le nombre d’années sur lequel elle court, le mode de redistribution ou encore le mode de contribution.”

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