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Budget : quelle sanction européenne pour la France ?

Examiné par l’Assemblée nationale depuis le 14 octobre, le projet de loi de finances 2015 de la France est également à l’étude à Bruxelles depuis aujourd’hui. Prévoyant un déficit de 4,3 % du PIB, le pays est largement hors des clous du Pacte de stabilité et de croissance et pourrait recevoir un avis négatif de la part de la Commission européenne. Outre l’impact politique certain d’une telle critique, le spectre d’une amende d’au moins 0,2 % du PIB n’est pas totalement à exclure. Les tractations ont débuté. L’issue est incertaine.

Jean-Claude Juncker et Michel Sapin

4,3 % de déficit en raison de “circonstances exceptionnelles” ?

“La France prend ses responsabilités, mais l’Europe aussi doit prendre ses responsabilités et adapter sa politique à la situation économique d’aujourd’hui, sinon on risque de rester longtemps, beaucoup trop longtemps, dans une très faible croissance avec une très faible inflation” . L’argumentaire de Michel Sapin, ministre français des Finances, est prêt. Il aura fort à faire pour convaincre la Commission et ses homologues européens du bien-fondé des positions françaises.

Car le déficit public demeurera éloigné des 3 % du PIB prévus par les règles européennes. Il ne se réduirait que de 0,1 point par rapport à l’année dernière. Quant au déficit structurel - indicateur clé de la Commission ne tenant pas compte de la conjoncture - ici aussi la France est dans le rouge. Le pays s’était engagé à le réduire de 0,8 % en 2015, la baisse ne devrait être que de 0,2 %. Paris arguera d’un changement de mode de comptabilité pour expliquer cette contre-performance. Une justification qui sera étudiée de près.

Procédure et calendrier :
- 15 octobre : remise du projet de plan budgétaire à la Commission européenne ;
- 29 octobre : date limite pour la publication d’un avis négatif par la Commission européenne ;
- 19 novembre : date limite éventuelle pour la remise d’un projet amendé de plan budgétaire à la Commission européenne ;
- 30 novembre : date limite pour la publication de l’avis général de la Commission européenne sur la situation économique de l’UE ;
- Le Conseil se prononce ensuite sur les éventuelles “circonstances exceptionnelles” et “mesures suivies d’effet” mises en place par les Etats. En fonction, une mise en demeure avec sanction économique automatique d’au moins 0,2 % du PIB peut être décidée.

De toute évidence, aux yeux de Bruxelles, le projet de loi de finances pour l’année 2015 présenté par le gouvernement ne sera pas jugé satisfaisant. Au total, ce sont 21 milliards d’euros de réduction des dépenses publiques qui sont prévues : 7,7 milliards pour l’Etat, 3,7 milliards pour les collectivités territoriales et 9,6 milliards pour la Sécurité sociale. Cherchant à limiter la pression fiscale pesant sur les contribuables et les entreprises et pénalisé par une croissance atone et une inflation extrêmement basse, l’Exécutif a jugé qu’il ne pouvait aller au-delà. Pour Bercy, les circonstances sont “exceptionnelles” et les institutions européennes doivent en tenir compte.

Le strict respect des règles à l’épreuve des réalités politiques et économiques

Pour l’heure, le degré de compréhension des partenaires de la France semble plutôt restreint. Au petit jeu des déclarations fracassantes, la victoire revient probablement à Jeroen Dijsselbloem, ministre néerlandais des Finances, président de l’Eurogroupe et farouche partisan de l’orthodoxie budgétaire. “On leur a donné deux ans et la question est : comment ont-ils utilisé ce temps ? Pour être tout à fait franc, je crois qu’ils ne l’ont pas utilisé” , a-t-il assené. Dans un style nettement plus feutré, Jyrki Katainen, actuel commissaire européen aux Affaires économiques et futur vice-présent de la Commission, a jugé les spéculations “prématurées” .

De fait, le cas français est extrêmement sensible, tant pour la Commission, qui doit se prononcer sur le texte, que pour le Conseil, en charge des éventuelles “mises en demeure” . Politiquement, les marges de manœuvre de l’exécutif européen sont étroites. Son rôle est évidemment de faire respecter les règles et de ne pas accorder de traitement de faveur à quiconque. La profession de foi de Pierre Moscovici, futur commissaire aux Affaires économiques, ne dit pas autre chose. D’autant que de nombreux Etats ont payé et continuent de payer un lourd tribut pour l’application de ces règles. Et, en parallèle, la Commission est naturellement soucieuse de ne frapper trop durement la deuxième puissance économique de l’UE.

Au sein du Conseil - les ministres européens des Finances étaient réunis lundi 13 octobre - le tiraillement est le même. Si l’ambiance est tendue et que l’exaspération monte vis-à-vis de la faiblesse des résultats français, le but reste néanmoins de trouver une solution “par le haut” . D’autant plus que Manuel Valls a mis en place une stratégie de communication offensive et que les perspectives de croissance et d’inflation dans l’ensemble de la zone euro ne sont pas faramineuses. Tel devrait être d’ailleurs l’argument clé du gouvernement français. Les prévisions allemandes ont été sensiblement revues à la baisse et les instituts économiques font état d’un besoin crucial d’investissements afin de relancer l’activité. Dit autrement : le revers de la médaille des politiques de rigueur.

L’Europe en panne de croissance : échappatoire de la France ?

D’un point de vue global, partout en Europe, un assouplissement des contraintes et l’injection de liquidités seraient rarement vus d’un mauvais œil. Pêle-mêle, Espagne et Grèce, où la relance semble poindre, accusent toujours des taux de chômage autour de 25 % et des niveaux de dette plus que préoccupants. En Italie également, l’inquiétude se porte sur la dette, évaluée à 133,5 % du PIB. Le budget austéritaire pour 2015 pourrait en outre aggraver le déficit. Enfin, le Royaume-Uni se prépare à une nouvelle cure brutale de coupes budgétaires, ce qui ne manquera pas d’engendrer un coût social important d’ores et déjà dénoncé, notamment par le secteur de la santé.

Chiffres clés de l’économie française :
- Déficit public : 4,3 % du PIB en 2015 (4,4 % en 2014) ;
- Dette publique : 94 % du PIB en 2015 (92,1 % en 2014) ;
- Dépenses publiques : 56,1 % du PIB en 2015 (56,5 % en 2014) ;
- Recettes fiscales : 278,9 milliards d’euros en 2015 (273,2 milliards d’euros en 2014).

Dès lors, si l’on peut raisonnablement penser que la Commission européenne va rendre un avis négatif à propos du budget français, les conséquences de cette décision ont de bonnes chances de rester politiques. Un impact non négligeable pour l’image de la France, mais sans conséquence juridique ou financière. Car dans le même temps, si les “conséquences exceptionnelles” évoquées par Paris risquent également d’être jugées non recevables par Bruxelles, les institutions devraient néanmoins estimer que le gouvernement a pris des mesures satisfaisantes “suivies d’effet” pour remédier à la situation. Une précision qui n’a rien de sémantique dans la mesure où cela permettrait à la France d’éviter des sanctions pour déficit excessif. Ces dernières, prévues par le Pacte de stabilité et de croissance, sont comprises entre 0,2 et 0,5 % du PIB - soit une somme considérable - et sont censées rester dissuasives.

Cette issue permettrait donc à la France de s’en tirer à bon compte et de redonner du temps pour concrétiser les réformes et mettre en marche le tournant qu’Emmanuel Macron, nouveau ministre de l’Economie, doit incarner. A cet égard, le choix de la date du 15 octobre pour dévoiler son plan “pour l’activité et l’égalité des chances économiques” , visant à “changer les mentalités” , permettre un “choc de confiance” , et s’attaquer aux “trois maladies françaises : défiance, complexité et corporatisme” , n’est évidemment pas fortuite.

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