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Bruno Palier : “Pas de bonne réforme des retraites sans économie de l’avenir”

Réforme des retraites : la question mobilise aujourd’hui l’opinion publique en France. Les négociations entre gouvernement et syndicats sont comme souvent houleuses, et la journée du 1er mai sera elle-même l’occasion d’une démonstration de force des manifestants sur le sujet. Or, crise oblige, de nombreux gouvernements de l’Union européenne vont devoir eux aussi repenser leurs systèmes de retraites. Comment le débat se pose-t-il dans ces pays ? Nous avons posé la question à Bruno Palier, chargé de recherche au CNRS et au Cevipof et spécialiste des systèmes de protection sociale en Europe.

Touteleurope : Quels sont, en France, les enjeux de la réforme des retraites ?

Bruno Palier : Il y en a beaucoup !

Chargé de recherche au CNRS et au Cevipof, Bruno Palier est l’auteur du “Que sais-je” La réforme des retraites réédité et actualisé en mars 2010.
Le premier enjeu de la réforme des retraites est financier. Avec les faibles taux d’emploi des jeunes, des séniors et le temps partiels subis par de nombreuses femmes, plus un chômage élevé, les cotisations ne sont pas suffisantes pour payer les retraites actuelles. La France est actuellement en déficit.

Le second est, à plus long terme, démographique. La taille de la population active va rester stable tandis que le nombre de retraités va augmenter, du fait à la fois du “papy boom” et de l’allongement de la durée de vie : non seulement plus de retraités partent en retraite, mais ils vivent plus longtemps. Ce déséquilibre démographique va être difficile à financer, en tout cas au niveau actuel des retraites et des cotisations. 

On appelle “papy boom” le départ à la retraite des personnes nées aux lendemains de la seconde guerre mondiale.
Ce sont les deux enjeux mis en avant par le gouvernement. Mais, si l’on veut une réforme complète de notre système, d’autres méritent d’être soulignés.

Tout d’abord le problème des inégalités sociales. Entre hommes et femmes : les femmes touchent en moyenne une retraite quasiment deux fois moins importante que les hommes. Mais aussi entre classes sociales : en France un cadre vit en moyenne 7 ans de plus qu’un ouvrier, donc bénéficie de plusieurs années de retraite supplémentaire… et ça on n’en parle pas. Enfin entre le niveau de retraite d’une personne en contrat de travail typique et une personne en situation “atypique” : temps partiels, multiplication de contrats à durée déterminée avec des interruptions, périodes de chômage non indemnisées… dont l’acquisition des droits à le retraite est très mal prise en compte.

Ensuite, le traitement différentiel des générations. Les générations qui partent en retraite au cours des années 2000 sont celles dont le revenu à la retraite est le plus élevé, et dans le cadre des réformes actuelles ou prévues, on ne leur demande aucun effort.

Celles qui partiront à la retraite dans 20 ou 30 ans n’auront pas du tout les mêmes conditions d’accès à la retraite. Est-il normal que chaque génération soit traitée de façon différente au regard de la retraite et surtout qu’on ne demande rien aux jeunes retraités d’aujourd’hui qui sont pourtant la classe d’âge la plus riche de France ?

Avant dernier enjeu : l’emploi des seniors. Comment faire en sorte que les Français puissent et souhaitent travailler plus longtemps ?

Enfin, le défi le plus global : comment redonner de la croissance et des emplois de qualité à la France, de façon à ce que plus de gens travaillent et dans de meilleurs conditions, pour pouvoir travailler plus longtemps et financer nos retraites…


TLE : Quelles sont les perspectives de cette réforme ?


Le gouvernement français publiera mi-mai un document d’orientation sur les retraites.
B.P. : Le débat actuel tourne autour de perspectives extrêmement étroites, puisqu’il s’agit de ne toucher que deux paramètres : le nombre d’années nécessaires pour avoir une retraite à taux plein et, ce qui était tabou jusque là, l’âge légal de départ en retraite. Ce dernier pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une astuce : on ne toucherait pas à l’âge légal mais il y aurait une décote supplémentaire si l’on part avant 61 ou 62 ans.

Une troisième perspective a été avancée : des cotisations nouvelles prélevées sur certains revenus, peut-être les plus riches. Mais on entend peu de choses sur l’emploi des seniors, les inégalités, la stratégie économique française qui nous permettrait de retrouver une croissance durable, plus d’emplois et de meilleure qualité.


TLE : Comment le débat est-il posé dans les autres pays d’Europe ?

B.P. : Cela dépend des pays.

En Europe du Sud, notamment en Grèce et en Italie, la situation est pire que la situation française. La Grèce en particulier a été incapable de réformer son système de retraites (les conditions de départ à la retraite y sont encore plus favorables qu’en France).

Il risque aussi de revenir en Espagne et en Italie, où la démographie est encore plus défavorable qu’en France à cause des faibles taux de fécondité. Cependant les Espagnols et les Italiens ont fait appel à l’immigration, donc leur population active est plus importante qu’on ne le prédisait il y a 10 ans.

Dans le reste de l’Europe continentale (Allemagne, Pays-Bas, Belgique…), des réformes importantes ont été faites, qui prévoient une baisse considérable des taux de remplacement des retraites publiques, beaucoup plus qu’en France. Celui-ci sera compensé par des retraites complémentaires financées par capitalisation, qui sont en Allemagne fortement subventionnées par l’Etat pour les plus démunis et les parents de familles nombreuses (alors que les exonérations fiscales dont bénéficient les versements aux fonds de pension en France ne concerne que les personnes qui payent l’impôt sur le revenu, donc les plus aisés). Actuellement le débat dans ces pays porte sur l’allongement de l’âge légal de départ, qui passerait de 65 à 67 ans.

Dans le nord de l’Europe, les réformes ont déjà eu lieu. En Suède par exemple on estime avoir fait une importante réforme structurelle en 1998, avec des mécanismes d’ajustement automatiques qui permettent au système de ne pas dépenser plus qu’il ne reçoit. Cette année, le niveau des retraites n’a ainsi pas augmenté, et même baissé pour les retraites les plus élevées.

Or dans ces pays nordiques, le débat a autant tourné sur les retraites que sur la croissance, le type d’emplois et la capacité des pays à faire face à la mondialisation. La réforme a été associée à une stratégie de mobilisation de l’emploi des seniors, et plus généralement une stratégie économique d’investissement dans le capital humain, l’éducation, la formation, la recherche. Cela leur permet aujourd’hui d’avoir des activités économiques de pointe, donc des emplois de qualité, donc une croissance qui finance les retraites.


TLE : Peut-on appliquer les recettes de ces pays “modèles” dans d’autres pays ?

B.P. : On le pourrait si on le voulait. On devrait faire en sorte que les seniors puissent travailler, obtenir un allongement effectif de l’âge de la retraite…

En Finlande l’âge légal est passé en dux ans de 59 à 62,5 ans, grâce à une mobilisation nationale pour favoriser l’emploi des seniors. Avec des systèmes de décote et de surcote comme en France, mais aussi des subventions à l’amélioration des conditions de travail et à la formation tout au long de la vie, y compris au-delà de 50 ans. Enfin, par une mobilisation médiatique, c’est-à-dire des campagnes d’affichage valorisant les seniors comme étant des salariés d’expérience, qui devraient être mobilisés par les employeurs et non démobilisés comme en France.


TLE : Dans une interview accordée au Monde, vous affirmiez qu’il était aussi difficile de réformer les retraites en France que dans le reste de l’Europe…

B.P. : Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il n’y a pas de gènes “astérixiens” qui empêcheraient la France de faire des réformes alors que d’autres y parviendraient. Posons les termes du débat, réfléchissons, regardons ce qui se fait ailleurs et essayons d’avancer. On a pu le faire sur d’autres domaines en France, il n’y a pas de raison qu’on ne le puisse pas sur les retraites.

Ce que j’ai aussi essayé de dire, c’est que c’est aussi difficile à l’étranger, qu’ailleurs ça ne s’est pas non plus fait en un jour. Il y a eu des manifestations, des mobilisations, la Suède a mis 14 ans à négocier sa réforme.

Après, on doit comparer les pays qui ont décidé de changer d’économie et ceux qui ont décidé de sauver une économie qui n’est plus viable dans la mondialisation actuelle. Nous faisons partie de la deuxième catégorie, et nous ne sommes pas les seuls…


TLE : Les réformes annoncées en Grèce vous semblent aller dans le bon sens ?

B.P. : Les seules réformes qui me semblent aller dans le bon sens sont celles qui investissent dans l’économie de l’avenir.

En fait, il aurait tout simplement fallu appliquer la stratégie de Lisbonne… essayer de devenir une économie de la connaissance, performante, de créer plus et de meilleurs emplois. Il faudrait que les Européens continentaux, dont les Français, ne soient pas schizophrènes et cessent de faire le contraire de ce qu’ils disent à Bruxelles.

On n’en serait peut-être pas là si on avait appliqué la stratégie de Lisbonne. Le taux d’emploi des seniors atteindrait 50% (les Allemands y sont parvenus), 3% de notre PIB serait consacrées à la recherche (le chiffre est supérieur en Suède), on aurait amélioré nos systèmes éducatifs et mieux pris en charge la petite enfance… les solutions ne doivent pas être cherchées très loin.

Je regrette que la stratégie UE2020, qui garde le côté “économie de la connaissance” et le pacte de stabilité et de croissance, ait perdu beaucoup de la dimension sociale de la stratégie de Lisbonne. Parce que tous les objectifs de Lisbonne n’ont pas été atteints, on jette le bébé avec l’eau du bain. On oublie que des progrès considérables ont été faits, non en France mais dans beaucoup de pays, concernant l’emploi des femmes et des seniors. De plus, transformer l’économie de l’ensemble de l’Europe est une stratégie de très long terme.

Enfin, on ne réalise pas à quel point l’euroscepticisme progresse, du fait que l’Europe n’apparaît pas assez sociale, pas assez préoccupée de protection et de sécurité sociale. On n’a pas tiré les bonnes leçons politiques des référendums français et néerlandais, et de façon plus générale de l’euroscepticisme.


TLE : L’UE doit-elle peser différemment dans la réforme des retraites ?

B.P. : Je crois savoir que 40% du budget européen est consacré à soutenir le secteur primaire de l’économie… sur ces 40%, les Français en bénéficient d’une grande partie. Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur investissement dans l’avenir des activités économiques de l’Europe. Les manifestations de tracteurs montrent qu’on va avoir du mal à changer ça, mais c’est un enjeu important.

En savoir plus :

Bruno Palier : La réforme des retraites, Que sais-je - Presses Universitaires de France

Comparatif : L’âge de la retraite dans l’UE - Touteleurope.fr

UE 2020 : une stratégie qui suscite le débat - Touteleurope.fr

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