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Brexit : “le vote ne dépendra pas vraiment de l’accord entre le Royaume-Uni et l’UE”

Dernière ligne droite pour les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Alors qu’un accord semble à portée de main, le sommet européen des 18 et 19 février à Bruxelles devrait en révéler le contenu. Afin de pourvoir ensuite convaincre les Britanniques de voter pour rester dans l’Union européenne, David Cameron espère obtenir gain de cause sur la limitation des prestations sociales aux travailleurs européens installés au Royaume-Uni.

Renaud Thillaye, directeur adjoint du think tank Policy Network, basé à Londres et spécialiste des questions européennes, a répondu aux questions de Touteleurope.eu. Selon lui, un accord devrait être trouvé : les divergences persistantes relevant surtout d’une mise en scène destinée aux opinions nationales.

Drapeaux du Royaume-Uni et de l'Union européenne

Touteleurope.eu : A trois jours du sommet européen, probablement décisif, sommes-nous proches d’un accord entre le Royaume-Uni et l’Europe ?

Renaud Thillaye : Oui, je pense qu’on est proches. Même si on ne peut être sûr à 100% que l’accord sera trouvé, les conditions sont réunies. Il y a eu suffisamment de travail en amont. Le projet d’accord proposé par Donald Tusk [président du Conseil européen, ndlr] est suffisamment détaillé. Tout ceci porte donc plutôt à l’optimisme, d’autant que David Cameron a vraiment envie de se débarrasser de cette discussion.

Renaud Thillaye

Renaud Thillaye est directeur adjoint du think tank international Policy Network, basé à Londres et spécialiste des questions européennes.

Après, il est possible qu’il y ait des pays qui compliquent un peu les choses, et qui utilisent l’occasion pour faire valoir des revendications. Mais à mon avis, ce sera davantage de la mise en scène qu’un véritable blocage.

Même la volonté de David Cameron de supprimer les prestations sociales pendant plusieurs années pour les travailleurs européens étrangers pourrait-être acceptée par les Européens, et notamment ceux du groupe de Višegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie et République tchèque) ?

Nous n’avons assisté à aucune déclaration, au cours des deux dernières semaines, laissant penser qu’un pays pourrait mettre son véto. Il n’y a eu que quelques manifestations d’humeur, mais pas de menace réelle. David Cameron a passé beaucoup de temps pour rencontrer ses homologues d’Europe centrale et orientale.

Et puis il faut bien garder à l’esprit que le mécanisme prévu est tout de même assez limité. David Cameron a d’ailleurs été critiqué au Royaume-Uni pour cela : il est peu probable que cela fasse réellement diminuer le nombre de migrants européens s’installant dans le pays.

La presse britannique n’a en effet pas été tendre dernièrement avec le Premier ministre, jugeant les concessions européennes décevantes. David Cameron est-il en train de perdre l’opinion ?

On ne peut pas avoir de certitudes. Personnellement, je ne crois pas que le vote va dépendre outre mesure de l’accord avec l’UE. Le sentiment de la presse est évidemment important et aura un impact sur l’opinion à court terme. Mais en réalité, les éléments qui feront à mon sens la différence au moment du référendum, sont autres, et pas encore définis.

Il s’agit d’abord du contexte politique immédiat. Par exemple, s’il y a une nouvelle crise de réfugiés ou des tensions à Calais, cela jouera un rôle important. Ensuite, le taux de participation sera également déterminant. Dans quelle mesure les Britanniques plutôt pro-européens, mais pas forcément passionnés, se mobiliseront ? Nous ne le savons pas. Il va également falloir attendre de voir quelle sera la prise de position d’un certain nombre de leaders conservateurs, comme le maire de Londres Boris Johnson. Et enfin, le discours officiel du Parti travailliste reste encore à être précisé.

Tout cela va se mettre en place dans les semaines et mois à venir, et ne dépend pas nécessairement de l’accord avec l’Europe.

Boris Johnson pourrait-il se positionner pour un Brexit dans l’optique de remplacer ensuite David Cameron à la tête du Parti conservateur, et donc du pays ?

Il s’agirait d’une stratégie extrêmement risquée. Et il est plus que probable que Boris Johnson en a conscience. Mon pronostic est qu’il fera campagne pour rester dans l’Union européenne, même s’il laisse entendre qu’il pèse encore le pour et le contre. Il a d’ailleurs tout intérêt à paraître hésitant et comme le moins fervent de ceux qui prônent le statu quo. Car en cas de défaite, il ne serait pas décrédibilisé.

Au Royaume-Uni, des élections internes aux partis politiques peuvent avoir lieu n’importe quand, y compris lorsqu’ils sont au gouvernement. Comme cela est arrivé à Margaret Thatcher en 1990, un Premier ministre en exercice peut devoir quitter son poste s’il perd le leadership de sa formation.

Comment la campagne pour le référendum va-t-elle s’organiser ? Les travaillistes vont-ils s’allier avec les conservateurs pro-européens ?

Il y aura une campagne officielle pour le ‘remain’ [‘rester’] et une campagne officielle pour le ‘leave’ [‘partir’]. La loi britannique exige en effet qu’une seule plateforme par position peut être financée par des fonds publics. C’est pour cette raison qu’un certain nombre de figures du Parti conservateur, des travaillistes, ou encore des libéraux-démocrates et du monde des affaires se sont regroupées au sein d’une plateforme intitulée ‘stronger in’ [‘plus forts à l’intérieur’]. Mais cela n’a pas empêché le Labour de lancer sa propre campagne, qui ne reçoit donc pas d’argent public, mais qui s’adressera à son propre électorat.

D’une manière générale, le leadership du Labour, et notamment de Jeremy Corbyn, mènera certainement une campagne plutôt modeste. Il s’est exprimé clairement pour dire qu’il appellerait à voter pour rester dans l’Union européenne, mais il ne s’agit absolument pas d’un combat prioritaire pour lui.

En France, Marine Le Pen, si elle est élue présidente de la République, a annoncé qu’elle suivrait l’exemple britannique et convoquerait un référendum sur l’appartenance à l’Europe. David Cameron n’a-t-il pas donné ici un argument potentiellement puissant à l’extrême droite antieuropéenne ?

Effectivement, c’est ce qu’un certain nombre de gouvernements a reproché au Royaume-Uni à demi-mots. Il faut bien comprendre que les partis populistes de droite adoptent un discours assez subtil selon lequel ils ne sont pas contre l’Europe, mais contre l’Union européenne. Ils proposent donc comme David Cameron de renégocier l’appartenance pour recouvrer une véritable souveraineté nationale tout en conservant une coopération avec les autres pays européens. De ce point de vue, le Premier ministre britannique est critiqué pour mettre de l’huile sur le feu et entretenir l’illusion qu’une démocratie nationale “peut prendre en otage” l’ensemble de l’Union européenne en organisant un référendum.

Cela étant, ce n’est pas une dynamique nouvelle, et ce n’est pas la première fois qu’un référendum est organisé en Europe. On a assisté à ça avec le traité constitutionnel de 2005, le traité de Lisbonne en 2009 et, plus récemment, en Grèce l’été dernier.

D’une manière générale, le débat sur le Brexit arrive à un moment inopportun pour l’Europe, secouée par plusieurs crises simultanées. En cas de départ du Royaume-Uni, l’UE serait-elle assez solide pour s’en remettre, voire pour relancer l’intégration européenne ?

L’hypothèse d’une réaction européenne par le haut est parfaitement envisageable : prendre acte et déplorer le départ du Royaume-Uni, pour ensuite agir afin de ne pas enterrer l’ensemble du projet européen. On pourrait alors assister au regroupement d’un certain nombre de pays, notamment au sein de la zone euro, autour de la France et de l’Allemagne. En revanche, d’autres Etats membres pourraient être tentés de suivre l’exemple de la Grande-Bretagne, comme les pays scandinaves ou certains d’Europe centrale, qui ne sont pas de fervents intégrationnistes. A plus forte raison si le Royaume-Uni démontre que les conséquences économiques d’une sortie de l’UE sont limitées. Il y aurait donc dans le même temps une distanciation des Etats situés plus en périphérie.

Restons toutefois prudents par rapport à cette hypothèse car, au fond, il y a très peu de pays à être réellement prêts à se passer de l’Union européenne. Par exemple, la Suède n’est pas favorable à plus d’intégration, ne souhaite pas adopter l’euro, mais une sortie de l’Union européenne n’est pas un sujet. Pour les Suédois, faire partie de l’Union européenne, c’est comme faire partie des Nations unies, c’est une évidence.

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