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Brexit et tourisme : la question à 170 milliards de livres

Le 23 juin prochain, les Britanniques se prononcent sur le maintien de leur pays au sein de l’Union européenne. Jusqu’ici un peu oubliée de la campagne, la question de l’avenir du secteur du tourisme en cas de sortie de l’UE vient d’être remise sur la table par plusieurs professionnels du secteur, et même par le Premier ministre David Cameron fin mai. Car le sujet concerne les locaux comme les étrangers : les Britanniques qui partent en vacances risquent de voir le coût de leur séjour augmenter, et les Européens qui travaillent dans l’industrie touristique sur place craignent pour leur avenir dans le pays. Toute l’Europe s’est rendu à Londres pour interroger l’ABTA, l’Association des agents de voyage britanniques, qui vient de publier un rapport sur le sujet.

Passeport britannique

Ne pas céder à l’alarmisme ambiant

230 livres sterling (291 euros). C’est le dernier chiffre brandi par David Cameron et son gouvernement dans le cadre de la campagne du “remain” . C’est ce que représenterait, pour une famille britannique de quatre personnes, le coût supplémentaire de huit jours de vacances dans un autre pays de l’UE si le Royaume-Uni venait à la quitter. Un chiffre calculé par le Trésor de Sa Majesté (le ministère de l’économie et des finances), dont le Guardian assure qu’il ne manquera pas de faire réagir les partisans de la sortie de l’UE, probablement à coup d’accusations de “scaremongering” (alarmisme), un mot très à la mode actuellement outre-Manche.

Alarmisme, un sentiment auquel l’Association des agents de voyage britanniques (ABTA), ne veut pas céder. C’est pour répondre à la fois aux inquiétudes des quelques 1200 professionnels du secteur touristique qu’elle représente, mais également des consommateurs britanniques adeptes des voyages à l’étranger, qu’elle a commandé un rapport intitulé “What Brexit means for UK travel ?” (Quelles conséquences d’un Brexit sur le secteur touristique britannique ?) au cabinet d’audit Deloitte.

Nous voulions fournir des éléments fondés sur des faits, pas sur des émotions” explique ainsi Nina Kapur, en charge des relations publiques à l’ABTA.

Chute de la livre et hausse du prix du billet d’avion

A la question “quel serait l’impact global d’un Brexit sur le consommateur se rendant en dehors du Royaume-Uni ?” , Nina Kapur rejoint tout d’abord les récents propos de David Cameron. “Dans la période immédiate après un Brexit, il existe un risque significatif de chute de la livre sterling face à l’euro et au dollar” , explique-t-elle. “Pour les voyageurs britanniques se rendant à l’étranger, cela signifie moins d’argent dans leurs poches, ce qui aura un impact direct sur leur pouvoir d’achat” .

A ceux qui disent qu’une livre sterling plus faible encouragera les étrangers à venir passer leurs vacances au Royaume-Uni, elle répond que les Britanniques “effectuent près de 29 millions de voyages vers l’Union européenne chaque année, alors que seuls 9 millions de touristes européens visitent le pays sur la même période” . Ce serait donc les premiers qui pâtiraient plus de la situation.

Vient ensuite la question de l’éventuelle hausse du prix des billets d’avion. Depuis l’entrée en vigueur des accords de ciel ouvert en 1992, le coût des voyages en avion a chuté de 40%, et le nombre de lignes a bondi de 180%. C’est le principal cheval de bataille des compagnies à bas coût comme easyJet (basée au Royaume-Uni) et Ryanair (compagnie irlandaise mais qui possède de nombreuses bases au Royaume-Uni), qui militent toutes les deux contre une sortie de l’UE. La première à même invité David Cameron dans son quartier général à l’aéroport de Londres-Luton pour qu’il réponde aux questions des nombreux employés présents.

La dirigeante d’easyJet Carolyn McCall s’est pour l’occasion fendue d’un discours au ton fermement pro-européen : “easyJet a été fondée à la suite de la dérégulation du transport aérien par l’Union européenne. Nous sommes désormais une véritable compagnie paneuropéenne, opérant plus de 800 trajets dans 31 pays” . Puis de rappeler que ses avions ne sont pas en reste : “l’Airbus A320 que vous voyez ici dans ce hangar a été entièrement fabriqué en Europe, et ses ailes ainsi que d’autres matériaux qui le composent sont construits ici même au Royaume-Uni” . “La zone aérienne commune créée par l’UE permet à n’importe quelle compagnie européenne de voler n’importe où en Europe. C’est aussi simple que cela. Il n’y a ni limites, ni restrictions, ni coûts. C’est ce qui a permis de conserver des coûts faibles, et à des compagnies aériennes à bas coûts comme easyJet d’étendre leur réseau” [easyJet].

Nina Kapur souligne en effet que si le Royaume-Uni quitte l’Union, “les compagnies aériennes devront renégocier leurs autorisations de vol avec chacun des 27 pays-membres” . Ce qui engendrerait des coûts supplémentaires pour les compagnies, et peut être une répercussion sur le prix final du billet.

Les voyageurs Britanniques moins bien protégés ?

Il existe de nombreuses réglementations européennes aux effets très positifs pour la protection des consommateurs et des tour-opérateurs” explique Mme Kapur. Par exemple, les compensations obligatoires en cas de retard ou d’annulation des vols. “Si le pays quitte l’UE, cette règle ne s’applique plus, et le gouvernement devra réécrire ce droit en loi nationale, ce qui coûtera du temps et de l’argent, encore une fois” . Même chose pour l’accès à la Carte européenne d’assurance maladie (CEAM) qui est réservée aux citoyens des pays membres.

En ce qui concerne les frais d’itinérance de la téléphonie mobile, l’Union européenne est responsable de leur plafonnement, et dès avril 2017 de leur suppression totale. “Les opérateurs téléphoniques pourraient bien décider d’augmenter leurs prix à nouveau” en attendant une éventuelle réaction du gouvernement.

Les patrons de British Telecom (BT) et Vodafone, les deux principaux opérateurs téléphoniques, ont en effet souhaité avertir les consommateurs britanniques des conséquences d’un Brexit. Gavin Patterson, PDG de BT a déclaré que grâce à l’UE, son entreprise avait été en mesure de fournir à ses clients “des frais jusqu’à 90% moins élevés pour les Britanniques se rendant sur le continent” et que les électeurs “doivent réfléchir avant de tourner le dos à une institution qui les aide à s’assurer que de tels avantages soient fournis” [The Guardian].

Les professionnels du tourisme impactés par une restriction de la libre circulation

La libre circulation des personnesdonne aux entreprises britanniques accès à un plus large réservoir de talents” ajoute Nina Kapur. Le débat sur le sujet est ici plus complexe : “si nous souhaitons conserver l’accès au marché unique, nous devrons conserver la libre circulation des citoyens européens vers le Royaume-Uni. Mais nous n’aurons plus aucun pouvoir de négociation puisque nous ne siègerons plus dans l’Union européenne. Si au contraire nous décidons de restreindre la libre circulation vers le Royaume-Uni, l’UE restreindra la libre circulation de son côté aussi” . Il sera donc plus difficile pour les Britanniques de venir travailler en Europe et vice-versa.

En 2014, le secteur du tourisme représentait 4 millions d’emplois, un chiffre qui devrait s’accroître” selon l’ABTA. “Ce secteur attire une main d’œuvre de passage, de par sa nature saisonnière et flexible, d’où le fait qu’il emploie de nombreux migrants venus de l’UE” . En cas de Brexit, les entreprises du tourisme seront confrontées à des coûts d’embauche plus élevés. Il y aurait en plus un risque de perdre une large quantité de main d’œuvre qualifiée.

En ce qui concerne la libre circulation des biens, David Cameron a également été clair : ce serait la fin des “booze cruises” , littéralement “croisières d’alcool” : le phénomène qui consiste pour les Anglais à traverser la Manche en ferry dans l’unique but d’acheter de grandes quantités d’alcool en France, où les taxes sur l’alcool sont moins élevées. “Les gens vont souvent en France pour revenir avec leur voiture pleine de caisses de vin !” admet volontiers Nina Kapur. Avec la fin de la libre circulation, le Royaume-Uni pourrait bénéficier des produits détaxés, mais il ne serait plus possible de ramener une quantité illimitée de biens dans leur pays.

Enfin, lorsqu’on lui demande si l’industrie du tourisme britannique est assez forte pour attendre un éventuel rebond économique promis par les partisans du Brexit en cas de sortie de l’UE, Nina Kapur se montre optimiste : “Je veux y croire” commence-t-elle. “En 2015, 39 millions de Britanniques ont voyagé à l’étranger. C’est la première année que nous retrouvons des chiffres équivalents à la période d’avant la récession de 2008. Le tourisme et le voyage contribuent à hauteur de 170 milliards de livres à l’économie nationale. Il pourra y avoir un regain dans le tourisme domestique dans un premier temps.” Pour conclure, elle indique que les Britanniques “seront en mesure d’attendre la reprise économique, mais cela pourra être plus cher sur le court terme et il pourrait y avoir un recul initial avant de revenir à des niveaux de croissance que nous connaissons aujourd’hui” .

Retrouvez le rapport “What Brexit means for UK travel ?” sur la page spéciale de l’ABTA consacrée au référendum du 23 juin (en anglais).

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