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Bastien Nivet : L’accord européen sur la Centrafrique, “timide européanisation d’une réponse initialement française”

D’ici fin février, l’Union européenne enverra en République centrafricaine 500 soldats européens en soutien à l’opération française Sangaris. Enseignant-chercheur à l’Ecole de Management Léonard de Vinci et chercheur associé à l’IRIS, Bastien Nivet revient sur la décision des 28 ministres européens des Affaires étrangères qui ont donné leur feu vert lundi 20 janvier. Une nouvelle étape pour la défense européenne ?

Carte pays Centrafrique (c) Commission européenne

Réunis le 20 janvier, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont approuvé l’envoi d’environ 500 soldats européens à Bangui. Peut-on parler de “réponse européenne” à ce conflit ?

Bastien Nivet est enseignant-chercheur à l’Ecole de Management Léonard de Vinci (EMLV, Paris La Défense) et chercheur associé à l’IRIS. Ses recherches portent principalement sur l’Union européenne, ses Etats membres et leurs politiques européennes, étrangères et de défense ; les relations extérieures de l’UE en général, et la PESC et la PESD en particulier ; les rapports des citoyens aux questions européennes et de défense ; la régionalisation des problématiques et politiques de sécurité et de défense ; les relations UE/Afrique-subsaharienne ; la notion de puissance dans les relations internationales.

Evoquer une timide européanisation d’une réponse initialement française au conflit serait plus juste ! Dans la foulée de l’intervention française au Mali en janvier 2013, suivie d’une mission de formation de l’UE (l’opération EUTM) donnant l’image d’un timide soutien européen, la France s’est retrouvée une nouvelle fois un peu seule en République centrafricaine. La situation plaçait pourtant la communauté internationale, y compris les Européens, devant la responsabilité évidente de prévenir des violences de grande ampleur, voire un génocide selon certains.

Depuis plusieurs mois, des voix se faisaient ainsi entendre pour souligner qu’il était politiquement et moralement difficilement soutenable au sein de l’UE de laisser la France seule (aux côtés, malgré tout, de forces africaines de la MISCA) sur ce terrain centrafricain particulièrement explosif et difficile à stabiliser.

Du côté européen, il y avait par exemple une certaine hypocrisie à promettre de l’aide humanitaire dès lors que la situation sécuritaire sur le terrain ne permettait pas l’acheminement de l’aide humanitaire et le déploiement des ONG dans de bonnes conditions.

Jusqu’à présent hostiles à une intervention, l’Allemagne et le Royaume-Uni pourraient-ils changer de position ?

Il faut distinguer ici la position des pays quant à l’idée d’une intervention européenne, et leur position quant à leur participation directe à cette opération éventuellement validée à 28. Le fait que les ministres européens des Affaires étrangères aient entériné lundi le principe d’une opération de l’Union européenne (UE) en République centrafricaine montre que plus aucun Etat membre n’est hostile à ce qu’une opération de l’UE en tant que telle soit déployée.

Mais l’accord ne signifie pas, loin de là, que tous participeront à cette éventuelle opération. Il sera intéressant de suivre, dans les jours à venir, l’exercice dit “de génération de force” , par lequel les Etats précisent leurs contributions respectives. Une partie d’entre eux chercheront à donner l’impression qu’ils soutiennent l’opération tout en évitant de s’engager par l’envoi de troupes au sol.

Les positionnements et arguments du Royaume-Uni, désireux de réduire ses opérations extérieures après ses engagements longs et coûteux en Irak et en Afghanistan, et de l’Allemagne, souhaitant se montrer solidaire de ses partenaires français mais réticente depuis plusieurs années à l’idée d’envoyer des troupes au sol sur le continent africain, seront particulièrement intéressants à observer.

Qu’en est-il de la proposition française d’un financement européen des opérations extérieures ?

La France soulève depuis plusieurs années la question du financement des opérations extérieures de l’Union européenne, car elle trouve le système actuel injuste et inapproprié. En effet, les Etats membres sont responsables du financement et du paiement de leurs contributions aux interventions extérieures, si bien que ceux des 28 qui contribuent le plus en hommes, y compris dans des conditions parfois difficiles, sont aussi ceux sur lesquels repose le coût des opérations pourtant estampillées “UE” .

Le principe d’un financement des opérations extérieures européennes faisant davantage partager le fardeau financier de ces opérations (à défaut du fardeau humain et matériel), n’est pas encore acquis, comme en a attesté la réception plutôt mitigée de l’idée d’un fonds européen pour le financement des interventions d’urgence, proposé par la France lors du sommet européen consacré en partie à la défense en décembre 2013. Plus encore, même si ce principe était acquis, il resterait à négocier et élaborer la clé de répartition de ce financement, exercice diplomatico-budgétaire potentiellement compliqué lui aussi.

Dans un contexte de contraintes budgétaires et de crise économique, cette question du financement des opérations de l’UE se pose néanmoins avec une acuité renouvelée. Elle teste, comme d’autres questions, le niveau de solidarité entre Etats membres…

Une défense européenne commune est-elle possible sans une vraie politique étrangère commune ?

La dimension de défense de l’UE, aujourd’hui définie par l’acronyme de PSDC, a été initiée au tournant des années 1990-2000 comme l’outil opérationnel, le “bras armé” de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE. Sur le plan politique comme institutionnel et juridique, tout ce qui touche à la défense ou au militaire dans l’UE n’est qu’un ensemble d’outils au service du politique, ce qui est tout à fait normal sur le principe.

Mais comme la PESC se construit pas à pas au gré des convergences et divergences entre Etats membres de l’UE, il existe des cas de figure dans lesquels les Etats membres ont des divergences de diagnostic sur une situation ou sur les moyens d’y répondre (militaires ou non par exemple). Dans de tels cas, la PSDC ne sert à rien s’il n’y a pas de convergence européenne sur la réponse à apporter une à crise et sur le fait que l’UE soit le cadre approprié pour y répondre, et s’il n’existe pas de volonté politique commune d’agir dans un cadre européen.

L’UE reste un acteur international “composite” (composé de 28 Etats membres et de plusieurs niveaux institutionnels et décisionnels) et “intermittent” (présent et efficace sur certains dossiers géostratégiques, plus effacé voire inexistant sur d’autres). La politique de sécurité et de défense de l’UE est inévitablement marquée par cette double caractéristique de l’acteur dont elle n’est qu’un outil parmi d’autres.

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