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Agnès Alexandre-Collier : “La vie politique britannique évolue vers un nouveau cycle”

Le 7 mai prochain, les électeurs britanniques éliront les 650 membres de la Chambre des Communes. Un événement majeur pour le Royaume-Uni qui assiste à une campagne aux résultats très incertains. Quel est le bilan économique de David Cameron ? Comment sont perçues ces propositions sur l’immigration outre-Manche ? Quel est le poids du SNP ou du UKIP ? Dans une interview, Agnès Alexandre-Collier, professeur en civilisation britannique à l’Université de Bourgogne, et auteur d’un livre sur “Les partis politiques en Grande-Bretagne” (Editions Armand-Colin), analyse les enjeux nationaux de ce scrutin.

Agnès Alexandre-Collier

Touteleurope.eu : Le morcellement sans précédent de l’électorat risque-t-il d’affaiblir le système britannique, conçu pour assurer la majorité d’un des deux grands partis ?

Agnès Alexandre-Collier : Tout dépend de l’interprétation que l’on décide d’avoir : si l’on considère que la force et la stabilité d’un Etat reposent sur le bipartisme, il y a effectivement un affaiblissement des partis. En revanche, on peut aussi interpréter ce phénomène comme une évolution vers un système plus démocratique.

On observe effectivement une évolution nette du système partisan vers un système multipartite. De nouvelles forces politiques sont en train d’émerger. Nous sommes dans une nouvelle configuration qui accorde aux petits partis, comme le UKIP ou le SNP, une plus grande longévité.

Mais c’est un phénomène qui a déjà commencé lors des dernières élections de 2010. La notion de bipartisme n’existe plus vraiment en Grande-Bretagne.

Une coalition vous semble-t-elle inévitable ?

Les Britanniques ont compris que l’issue des élections de 2010 n’était pas une situation exceptionnelle. Ils sont préparés à l’idée d’une coalition qui pourrait devenir la norme dans le paysage politique de leur pays.

La vie politique britannique évolue vers un nouveau cycle, c’est-à-dire un système partisan fragmenté avec la perspective d’avoir de plus en plus un “hung Parliament” , c’est-à-dire un Parlement sans majorité absolue.

En théorie, le prochain gouvernement dispose de multiples possibilités. Tout d’abord, le parti majoritaire peut décider de gouverner avec un gouvernement minoritaire, mais c’est une solution presque systématiquement exclue dans la mesure où, en temps de crise, un gouvernement a besoin de s’appuyer sur des forces stables et d’avoir une majorité pour gouverner correctement.

Deuxièmement, organiser de nouvelles élections, ce qui paraît improbable dans le contexte actuel. Enfin, le parti majoritaire peut conclure une alliance et former une coalition gouvernementale avec un petit parti.

Cette dernière option semble donc inévitable au vu des sondages : les partis majoritaires sont au coude à coude. Mais il est difficile de prévoir quel type de coalition sera formé. Plusieurs configurations possibles : une alliance entre les travaillistes et les nationalistes écossais (SNP), une alliance entre les conservateurs et les libéraux-démocrates, et même une alliance entre les travaillistes et les conservateurs ! Bien qu’évoquée, cette hypothèse a rapidement été écartée par les spécialistes.

Concernant le UKIP, est-ce le début d’une extrême-droite britannique ?

Je ne pense pas que l’on puisse parler d’ “extrême-droite” , parce que toutes les extrêmes-droites ne se valent pas partout en Europe. L’extrême-droite britannique n’est pas comparable à l’extrême-droite française.

L’idée de l’extrême-droite sur le continent européen est celle d’un parti antisystème, construit en-dehors et contre le système en place. Ce n’est pas le cas du UKIP qui, à l’origine, était un groupe de pression formé juste après la ratification du traité de Maastricht pour faire campagne contre le maintien du pays dans l’UE. Ce n’est qu’ensuite qu’il a été désigné comme un “single issue party” , c’est-à-dire un parti qui évolue autour d’un seul thème.

Le parti de Nigel Farage n’a donc pas du tout le même historique que l’extrême-droite française, et son programme s’est diversifié très progressivement à partir du moment où il a commencé à recueillir des sièges au Parlement européen. D’ailleurs, le UKIP refuse d’être associé à l’extrême-droite.

Politiquement, le parti UKIP est assez difficile à cerner. Il a des positions nationalistes et anti-immigration assez fortes, tandis que son programme socio-économique est proche du thatchérisme, avec une volonté de réduire le plus possible le rôle de l’Etat. Le parti prône en effet l’expression des libertés individuelles sans contrainte, et réclame par exemple le retour du droit de fumer dans les pubs. Difficile, alors, de le qualifier d’extrême-droite.

Par ailleurs, il faut savoir qu’il existe déjà un vrai parti d’extrême-droite au Royaume-Uni : le British national party (BNP), qui est très minoritaire.

L’évolution du UKIP va dépendre des résultats du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE. Si le pays décide de sortir de l’Union, le UKIP n’aura plus aucune raison d’exister.

Quelles sont les enjeux de ces élections pour le SNP ?

Le SNP est en train d’émerger clairement, surtout depuis le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en septembre dernier. Cette élection représente plusieurs enjeux très forts pour le parti.

D’abord, le SNP projette de gagner un maximum de sièges au Parlement. Les sondages indiquent qu’ils pourraient passer d’une poignée de sièges à une cinquantaine, c’est-à-dire presque autant que les libéraux-démocrates qui font partie de la coalition gouvernementale actuelle alors que ces derniers pourraient perdre de très nombreux sièges.

Ces résultats ne sont pas seulement liés à la personnalité de sa nouvelle dirigeante, Nicola Sturgeon, dont la prestation lors du premier débat télévisé a été fort appréciée, mais s’expliquent aussi par le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Le SNP n’a pas pu gagner et va donc tenter de rendre l’Ecosse de plus en plus souveraine en faisant progresser la dévolution, c’est-à-dire la mise en place d’un Parlement écossais autonome dans certains domaines comme l’éducation, les transports etc.

Un autre enjeu est que le SNP risque, en fonction des résultats aux élections, de jouer un rôle de pivot. Le Parti travailliste pourrait se tourner vers eux pour former une coalition gouvernementale, mais ce serait une configuration étrange : Nicola Sturgeon serait en effet plus proche des conservateurs que du Labour, même si le SNP est originellement un parti de centre-gauche.

Quel est le bilan de David Cameron sur l’emploi et la croissance ?

Cela dépend des points de vue ! Pour les conservateurs, et quand on observe les chiffres, le bilan est très positif : le chômage a baissé, l’inflation est faible, les salaires ont augmenté. Mais le problème du déficit public structurel n’a toujours pas été réglé, de même que pour le déficit de la balance des paiements qui date de la Seconde guerre mondiale.

Le programme d’austérité de la coalition gouvernementale a eu un impact contrasté : si l’on s’en tient aux chiffres du chômage, le bilan est bon. Mais cette baisse du chômage avait déjà commencé sous Gordon Brown. Il faut également s’interroger sur la question de l’emploi : beaucoup de postes ont été supprimés dans la fonction publique, tandis que l’emploi s’est précarisé dans le secteur privé.

Comment les propositions de David Cameron sur l’immigration en provenance de l’Union européenne sont-elles accueillies outre-Manche ?

Ses propositions sont bien accueillies. À la suite d’un sondage européen d’opinion des Britanniques sur l’immigration, il est ressorti qu’ils sont plus favorables qu’ailleurs en Europe à des mesures strictes de limitation de l’immigration.

Les Britanniques sont par ailleurs globalement eurosceptiques, même si les derniers sondages sont de plus en plus partagés. Aujourd’hui, 45 % des sondés sont favorables au Brexit. Les avis sont donc très serrés, l’opinion publique est très partagée et tout va se jouer sur la campagne référendaire, si elle a lieu.

Si les conservateurs sont réélus, une grande énigme se posera : de quelle manière le parti conservateur orchestrerait cette campagne sur le référendum ? Le parti du Premier ministre est très divisé sur la question. Il est difficile de savoir comment David Cameron se positionnerait. S’il estime que les négociations menées avec les partenaires européens ont abouti, dans ce cas, il devrait être favorable à un maintien du Royaume-Uni dans l’UE.

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